- L'ambiance fantasy asiatique
Une vie de plus. Ce n’était pas grand-chose, juste une vie minuscule face à toutes celles qui avaient été perdues, mais c’était déjà ça. Une vie, ça faisait une sacrée différence à celui ou celle qui la vivait.
Percutant, original et très bien construit, l’Empire d’Ecume d’Andrea Stewart chez Big Bang est une très belle découverte YA (qui frise énormément avec l’adulte) ! Dans une ambiance asiatique, cette fantasy nous projette dans une sorte d’archipel indonésienne fantasmée où l’on suit l’héritière d’un empire, un contrebandier et la fille d’un gouverneur dans un empire prêt à s’effondrer.
Il y a plusieurs siècles, le fondateur de l’empire vainquit, grâce la magie des os, les Alangas, des dieux ivres de pouvoir, qui ont autrefois réduit l’humanité en esclavage. Cette prouesse fut permise par un sacrifice consenti (et toujours d’actualité) par tous les citoyens de ce nouvel empire : à la puberté, un éclat d’os derrière l’oreille est prélevé sur l’enfant. Ces éclats d’os, l’empereur les utilise pour modeler et animer des « concepts », des corps reconstitués à partir de cadavres humains et animaux, et qui font régner l’ordre et administrent fidèlement l’empire. Mais plus aucune menace ne pèse sur l’empire, et le peuple en a assez de ce rituel qui peut mettre en danger la vie de n’importe quel citoyen. En effet, le propriétaire d’un éclat utilisé par l’empereur tombera lentement mais sûrement malade, avant de décéder dans d’atroces souffrances…
C’est dans un contexte de rébellion et de déliquescence de l’empire qu’apparaissent 3 personnages extrêmement marquants. Lin est l’héritière de l’empire, mais une maladie lui a fait oublier nombre de ses souvenirs et son père, l’empereur, tend à préférer son frère pour lui succéder. C’est un personnage en quête perpétuel de repères et elle incarne la vraie partie Young-Adult du roman. Jovis, quant à lui, s’il devait être résumé serait un Han Solo au grand cœur qui recherche sa femme disparue et qui gagne en renommée à chacun de ses coups d’éclats (bien souvent involontaires) et qui se fait accompagner d’une créature hybride très mignonne et très utile, Mephisolou. Enfin, Philue est la fille d’un gouverneur et est amoureuse d’une femme de condition plus modeste qui baigne dans les milieux rebelles. Le personnage de Philue est très important pour l’autrice et le lecteur car elle permet de parler de la condition paysanne et de l’avarice des puissants qui mine les petites gens, tout en confrontant le lecteur aux sans-éclats, ces fameux rebelles !
La force de L’Empire d’Ecume est dans son ambiance bien particulière : une fantasy asiatique oscillant entre lumière et ombre où le peuple évolue aux côtés de créatures typiquement Frankenstein. De plus, l’empire étant composé d’îles très différentes, leur découverte est toujours très agréable et permet à l’autrice de développer son lore grâce aux ruines Alanga dispersées sur leurs rivages. Chaque personnage apporte une vision et un style différents à l’histoire. Jovis, toujours sur son bateau, nous laisse imaginer un monde vaste et ouvert. Philue sur son île nous fait voir le quotidien au sein de l’empire à l’échelle d’une grande île. Tandis que le récit de Lin est un véritable huit clos et une enquête car l’adolescente cherche ses souvenirs dans les couloirs froids et derrière les portes closes du palais.
On s’attache rapidement aux personnages (notamment à ceux de Jovis et de Mephisolou, pleins de sarcasme et d’humour) et le creux dans l’action que l’on rencontre entre les pages 200 et 300 est partiellement compensé par des héros qui se passent la balle en termes de dynamisme. Jovis, fortement mis en avant au début du roman, laisse de la place à Philue et Lin qui vont alors commencer à entreprendre des actions importantes pour leur histoire. Le souffle revient rapidement avec l’arrivée des sans-éclats dans l’équation et des révélations sur le passé de Lin (mais je n’en dirais pas plus…). Tout ce que je peux dire c’est que l’on a envie de voir les personnages se croiser et confronter leur point de vue et leur expérience de l’empire, quitte à privilégier la lutte à l’affinité entre les personnages.
L’Empire d’écume est un très bon premier roman d’une autrice de Young-Adult qui possède un style mature et qui sait superposer des intrigues bien ficelées tout en nous dévoilant doucement son univers de fantasy asiatique sombre et quelques fois dérangeante avec ses concepts faits d’assemblages de cadavres. La fin laisse planer l’ombre d’une menace plus grande pour l’empire qu’une simple guerre civile. Espérons que les qualités du premier roman se retrouveront par la suite !
Chez l’éditeur (Label Big Bang de Castelmore)
Crédit illustrateur : Charis Loke