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Critique - Liens du sang (Octavia E. Butler) : L'esclavage sous la plume d'une des plus grandes autrices de SF !

Par Louis - CINAK
3 min 6 mai 2021
Critique - Liens du sang (Octavia E. Butler) : L'esclavage sous la plume d'une des plus grandes autrices de SF !
On a aimé
- Le réalisme de l'époque
- Le personnage de Rufus
On n'a pas aimé

- Y veut pas que des nègres qui causent mieux que lui commencent à nous mettre des idées de liberté dans la tête.

- Comme si on était trop bêtes pour pas penser tout seuls à la liberté… 

Octavia E. Butler est l’une des voix afro-américaines les plus importantes des 40 dernières années. Bien qu’elle nous ait quitté prématurément en 2006, son œuvre continue de faire parler d’elle et a ouvert la voie à une toute nouvelle vague d’auteurs américains de SF, Noirs ou non, qui traitent des conséquences du racisme, de la haine et de leur impact sur les esprits. Liens de sang est une véritable plongée dans l’histoire de l’esclavage dans les Etats du Sud des Etats-Unis : une jeune femme noire du 20ème siècle se retrouve propulsée dans une plantation en ces temps difficiles, aux côtés de ses ancêtres…

Dana est Afro-américaine et est victime d’un phénomène étrange et dangereux : soudainement prise de nausées, elle se retrouve transportée aux côtés d’un jeune enfant BlancRufus Weylin, fils d’un grand propriétaire sudiste au 19ème siècle. Sauf que Rufus est sur le point de se noyer et qu’elle lui sauve la vie. En effet, dès que le garçon est en danger de mort, Dana est propulsée dans le passé à ses côtés pour le sauver. Sauf que la vie n’est pas simple pour une femme Noire intelligente à cette époque : soit elle est esclave, soit une femme libre avec si peu de droits qu’elle reste à la merci des Blancs… C’est pendant ses brefs retours dans son monde, aux côtés de son mari, Kévin, qu’elle comprendra qui est vraiment Rufus pour elle. Dans le passé, elle rencontrera également son arrière-arrière-grand-mère, femme noire libre mais à la merci des Weylin…

Liens de Sang est une opportunité pour le lecteur de découvrir la réalité de l’époque, tant pour les Noirs que pour les Blancs. En 1810, on peut, certes être né libre, mais on peut se faire arracher ses papiers, se faire tabasser ou encore violer par les précurseurs du KKK. Et quand on est esclave, on est à la merci des contremaîtres bien souvent violents et qui usent du fouet à volonté et selon leur humeur. Les plus « chanceux » des esclaves sont ceux qui ne sont pas envoyés aux champs et qui travaillent dans la maisonnée des Weylin. Mais un regard trop peu amène peut leur coûter une mise en vente rapide (et donc une séparation avec leur famille), ou le fouet presque jusqu’à la mort… Tout cela Dana et Kévin (qui accompagnera épisodiquement sa femme) vont le découvrir, mais aussi comprendre que le désir de liberté a parfois disparu chez ces hommes et ces femmes.

Curieusement, on aurait dit qu’ils l’aimaient, le méprisaient et le craignaient tout à la fois. 

Dana étant Noire, elle rentre, de fait, au service des Weylin. Kévin, son mari, lui, a cette « chance » d’être Blanc, ce qui permet au lecteur de partager le point de vue d’un Blanc de l’époque. Dana et Kévin adoptent la vision de spectateurs, mais Dana a du mal à fermer les yeux sur les chants des jeunes esclaves qui nourrissent l’idée qu’ils sont esclaves et le resteront jusqu’à leur mort… Cette idéologie, Dana cherchera à la changer à travers Rufus qu’elle va voir grandir et qui lui est redevable depuis son plus jeune âge. Mais l’autrice n’est pas tombée dans l’anachronisme ou la naïveté !

Comme chaque retour de Dana est espacé de plusieurs années pour Rufus, elle le voit grandir et se forger sa propre personnalité. Bons ou mauvais, les changements sont réels et Dana se sent responsable, ce qui se ressent dans le style avec beaucoup d’autoréflexions de la part du personnage, mais aussi d’immenses frustrations !

Le personnage qu’est Rufus est particulièrement ambivalent, ce qui est génial mais aussi terriblement frustrant. On se prend d’affection pour le gamin qui partage des moments intimes avec ses esclaves noirs. Puis, on se met parfois à le détester plus on le voit grandir et se rapprocher de l’idéologie de l’époque. Il est bienveillant envers ses gens mais comme un maître envers son esclave préféré : le sourire aux lèvres et le fouet à la main…

Liens de Sang n’est pas qu’un roman de science-fiction parmi tant d’autres, c’est une leçon d’Histoire. Octavia E. Butler explore l’impact du racisme et de la suprématie blanche d’une très belle manière : à travers nos yeux d’hommes et de femmes libres. Liens de Sang rappelle que la liberté se gagne et que l’évasion peut coûter très chère…

 

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