Lire des autobiographies n'a jamais été mon fort. D'une part, parce que les histoires en question appartiennent à des personnes existantes qui se mettent à nues, d'autre part, j'ai longtemps considéré cette démarche présomptueuse.
Se raconter. Pourquoi faire ? À ce sujet, un ami m'a très justement rappelé que tout le monde a une histoire à raconter, et qu'un auteur, s'il ne le fait délibérément, mettra de lui dans son œuvre quoi qu'il advienne, car sa personnalité, ses goûts et ses expériences sont tout autant de données qui influencent l'écriture d'un roman.
Toujours un peu sceptique, j'ai ouvert Mémoires d'une fourmi, en pensant m'ennuyer ferme devant l'histoire d'un type qui n'a enfoncé que des portes ouvertes dans sa vie.
Je me suis trompée.
Avant toute chose, l'auteur a choisi les arcanes du tarot pour livrer son histoire au lecteur, un ajout qui m'a fait sourire, car cette appropriation du genre autobiographique par le set de tarot rejoint la lignée de tous ses autres romans dans lesquels Bernard Werber créé un nouveau système, s'empare du réel pour le remodeler.
Cette autobiographie peu conventionnelle offre au lecteur un nombre important de conseils d'écriture, auxquels se mêlent les expériences vécues par Werber tout au long de sa vie. On apprend entre autres que ce dernier est une véritable machine à écrire : sa source d'inspiration intarissable s'abreuve de toutes ses rencontres, ses échecs et ses désirs pour façonner sans cesse un nouveau roman, fait qui illustre notre idée de départ, à savoir qu'un roman n'est pas imperméable, mais se nourrit de tout ce qui construit l'auteur.
À travers cette autobiographie, on apprend également que cet auteur à succès a essuyé de nombreux refus avant d'en arriver là où il est. Le fait le plus spectaculaire reste son roman Les fourmis qu'il a réécrit plus d'une quinzaine de fois. Oui, vous m'avez entendue. Plus de quinze fois en douze ans.
Modèle de persévérance, cet homme s'est imposé dans le monde de l'édition avec ses romans imaginaires révolutionnaires, dont la majorité prédisait l'échec sauf une poignée de personnes qui en pressentait l'avant-gardisme. Comme quoi, il suffit parfois d'une seule personne pour changer le cours de votre vie.
Pourtant, ce n'était pas gagné : ses premiers pas dans le monde ont été un tâtonnement, une exploration de soi par l'écriture et le spiritisme, une recherche de ce qui pourrait animer cette âme singulière et ce corps invalide et défaillant.
Ce point en particulier m'a touchée, car lorsque le corps devient un frein, une prison avec des murs qui se rétrécissent de plus en plus, la liberté se conquiert par l'intellect et l'imaginaire qui ne rencontrent aucune limite. Tout comme Proust qui a dépassé son asthme par l'écriture, Bernard Werber a surmonté sa spondylarthrite ankylosante de la même manière. Si un cailloux obstrue votre route, il subsiste toujours un moyen de le contourner, tel est l'enseignement que Sartre nous délivre et que Werber démontre avec son parcours semé d’embûches.
En définitive, Bernard Werber sait très bien se raconter, plus que Rousseau avec les Confessions dont je garde un souvenir amère. Son autobiographie, en plus de sonner vrai, vise un public assez large. Tout d'abord, les jeunes auteurs qui pourront grappiller quelques conseils précieux autour du processus d'écriture, les fans qui seront ravis d'apprendre les détails qui entourent la publication de ses romans, et ceux qui ne le connaissent que de nom, comme moi, pourront découvrir cet auteur autrement qu'à travers ses romans, de manière plus authentique et singulière. Parfois, il suffit simplement d'un coup de pouce pour s'intéresser à une œuvre, à un auteur, à un humain qui a une histoire à raconter, à partager au plus grand monde.
À partir d'aujourd'hui, M. Werber, je suis prête à vous lire.
