Yors, et sa voix
Meg, et tout l'humour qui pouvait se cacher sous le sombre
Deux mondes, deux héros, un texte : Noon du soleil noir est un livre un peu difficile à définir, à résumer en quelques mots. Écrit par L. L. Kloetzer ? Oui, mais il s'agit en réalité de quatre mains écrivant de concert. Illustré par N. Fructus ? Avec art et brio, et cela donne une qualité certaine à l'ouvrage entre nos doigts (il suffit de voir les deux images qui accompagnent cette chronique, ou même la superbe couverture), mais il est difficile de représenter ce qui se cache derrière la réalité, les habitudes et les rues qu'on prend quotidiennement. Avec pour héros Noon, le sorcier du soleil noir ? Oui, mais c'est masquer la voix assez claironnante et caractéristique de Yors, le narrateur et auxiliaire de Noon et de son aventure. Définitivement, Noon est un ouvrage brumeux, dont l'encre semble parfois sourdre d'un mauvais rêve, comme ceux de Noon tout le long des pages, et qu'il est difficile de résumer.
Cela tient peut-être aussi aux noms de ce monde, qui prennent souvent une forme développée, à l'exemple de « la Cité de la toge noire », où affluent toutes les marchandises du monde, et l'étrange Noon également, à la recherche... Difficile encore une fois de savoir ! Le lecteur intrigué suit d'abord l'épais Yors, vieux guerrier, un peu désabusé, sans manquer, comme souvent, d'une pointe d'humanisme, parfois aiguë face aux cruautés d'un monde sans pitié. L'arrivée de Noon bouleverse la vie de Yors et notre lecture, tant il se refuse à s'expliquer, et on devine presque son sourire à moitié effacé à travers les pages : « Désolé, mais il faudra attendre encore un peu ». Tout est encore en germes dans ce premier tome, mais se sentent déjà dans les profondeurs des tensions destinées à éclater, du moins on peut le craindre pour Yors et Noon, et Meg bien sûr (vous comprendrez).
C'est donc avec plus de questions que de réponses que le lecteur ressort de ce livre. Frustré ? On espère que non, même s'il faut s'armer de patience ; la saga commence lentement, mais ce n'est pas la première, et sûrement pas la dernière. Plus important, la mise en place de personnages et de cadres, le dressage de l'ambiance, l'inspiration ressentie, tout cela est de bon présage pour les tomes venus (le tome 2, dont la critique sera bientôt à lire ici-même) et à venir (à quand le tome 3 ?). L'usage assez personnel de la ponctuation et des renvois à la ligne semble également annoncer un style propre à ces quatre mains entrecroisées, et j'espère que ces traces seront de plus en plus prononcées. Classique dans sa facture, le livre pourrait le devenir en fait, s'il tient les promesses ici esquissées, et qu'il donne une véritable profondeur à des personnages auxquels on commence à s'attacher.
Car c'est cela que l'on demande instamment : que les personnages ébranlés soient contraints de sortir de leurs habitudes, de se rapprocher ou au contraire de s'éloigner. J'ai envie de découvrir ce que peuvent ces aventuriers encore un peu trop chouchoutés, ces personnages dont je veux le bien en souhaitant la douleur et la peine. Que Noon prenne son envol, et, comme dans l'une des meilleures parties du roman, risque tout et pour tout, car :
« La tentation est trop forte. Si un bec pouvait sourire, le grand oiseau sourirait. L'oeil d'or brille d'un éclat joyeux. Allons-y! »