- Le personnage nain de Baldek
Sa personne tout entière semblait avoir été bâtie dans l’adversité. Comme si, à tout moment, un ennemi pouvait se dresser devant lui. A cela s’ajoutait cette silhouette haute et sans grâce, ces muscles de soldat vieillissant. Pour autant, elle avait l’impression qu’il pouvait être sublime.
De part sa formation en science politique, Clément Bouhélier a visiblement cette envie de parler politique, mais son goût pour la fantasy lui a fait accoucher d’une saga que certains qualifient de politique-fantasy : Olangar. Et ils ont raison ! Mais cela serait oublier toutes les qualités dignes du roman d’aventures du 1er tome : Bans et Barricades !
Le prologue de près de 50 pages en impose et c’est indéniable. Torgend est un elfe vétéran de la bataille d’Oqananga et c’est ivre et lancé dans une bagarre de tavernes qu’il va se remémorer, comme s’il y était, cette bataille qui a permis aux hommes, aux nains et aux elfes de l’emporter sur une horde de peaux-vertes. D’entrée de jeu, Clément Bouhélier nous offre un chapitre bourré d’actions, de sauvagerie, de rancœur, de xénophobie mais aussi de courage, de résilience et surtout il nous apprend que Torgend est un ancien seigneur elfe… Chose curieuse pour un poivrot d’un bouge d’Olangar, la capitale du royaume…
Tout le long de ce premier roman, l’auteur nous intrigue et nous mène par le bout du nez, attisant sans cesse notre curiosité sur le passé de ce guerrier d’exception devenu un paria. Et c’est quand il viendra en aide à la jeune Evyna d’Enguerrand, fille d’un de ses anciens compagnons d’armes et à la recherche de la vérité sur la mort de son frère, que Torgend va nous livrer une partie de son histoire.
En effet, le frère d’Evyna serait mort en opération, loin au Nord, au Mur qui tient les orcs en respect depuis presque dix-sept ans. Sauf que personne ne peut étrangement la renseigner alors que les blessures sur le corps de son frère ne sont clairement pas la marque des orcs. Et curieusement, son unité a été entièrement dissoute. Ce qui a la conséquence de l’intriguer et d’emporter Torgend dans une histoire qui n’a de cesse de lui rappeler la guerre.
Cette mystérieuse affaire va donc les conduire à explorer les bas-fonds d’Olangar, la capitale en pleine révolution industrielle, avec ses cheminées, ses gueules-de-suie et ses révoltes ouvrières matées par un gouvernement à la solde des grands industriels. Et c’est justement pour lutter contre les dérives du marché que s’est constituée la Confrérie, un regroupement de nains, et qui parfois mène la vie dure aux usines dans l’intérêt de leur espèce. C’est cette lutte sociale et des classes que l’auteur arrive parfaitement à reconstituer avec cette ambiance de feu-qui-couve et parfois de barricades en pleines rues, en incluant la lutte entre les espèces. J’ai une affection sincère pour le personnage de Baldek, la main armée dans l’ombre de la Confrérie et qui reste toujours honorable et franc dans sa façon d’être et qui a à cœur la cause des nains.
Un autre personnage surprenant d’Olangar est la ville elle-même ! Une nouvelle Lankhmar de Fritz Leiber a vu le jour sous la plume de Clément Bouhélier. La cité vibre au son des marteaux et respire à travers la fumée des usines. On y retrouve également une pègre omniprésente et presque entièrement maîtresse de la ville qui s’opposera ou travaillera avec les politiciens pour maintenir ses affaires. Les personnages principaux apparaitront presque comme des redresseurs de torts (avec leur propre agenda cependant !). Le tout comme toile de fond d’un roman très porté sur l’action (mais qui laisse la part belle au complot et à l’intrigue) avec notamment la scène d’attaque d’un chemin de fer qui emprunte le meilleur aux codes du western : actions flamboyantes, explosions et bandits encagoulés !
Clément Bouhélier donne une identité propre aux personnages secondaires, voire même à ceux que l’on ne reverra plus jamais. Il arrive à esquisser des histoires personnelles profondes et qui légitimisent leurs actions (souvent répréhensibles) comme moucharder à la pègre. Cette immersion totale ira du serviteur de la grande générale en chef des armées au petit ouvrier qui a faim, ce qui accroit une fois de plus le réalisme du récit et de son univers. De plus, son style d’écriture est surprenant car il manie le flash-back d’une manière très agréable : avec des phrases très courtes en italiques en plein milieu de l’action présente, comme si le personnage se remémorait un souvenir très bref.
Bémol qui m’a parfois fait tiquer, je trouve que le personnage de Torgend est assez facilement tourné vers le meurtre pour résoudre les problèmes, ce qui m’a fait froncer les sourcils quelques fois en me demandant « Vraiment, il n’y avait pas autre chose à faire Torgend ? ». Il semblerait cependant que le personnage d’Evyna cherche à pallier à cette frénésie avec la culpabilité qui y est associée. A voir dans le tome 2 de la série !
Avec un prologue explosif et une fin tonitruante qui s’inspire des Misérables de Victor Hugo, Clément Bouhélier promet une fresque de fantasy à l’ère de la Révolution Industrielle remplie de réalisme, de politique et d’actions !
Crédit illustrateur (Poche) : Alain Brion