Qui se souvient de ces longues heures passées à attendre le prince charmant, preux chevalier dont la beauté incandescente a transpercé votre cœur d'une flèche enchantée ? Combien de fois avez-vous rêvé de cet homme, combien de fois l'avez-vous cherché du regard dans la rue et espéré qu'un hasard bienheureux le mette sur votre route ? Or, cette rencontre ne survenant pas, ses traits se sont peu à peu estompés. Cet être parfait a peuplé de moins en moins vos rêves, et pour cause ; cette attraction qui faisait jadis pulser votre cœur s'est fanée.
En grandissant, vous avez compris que le prince charmant n'existait pas, qu'il ne franchira jamais les murs de votre imagination, et que ces traits masculins que vous avez moulte fois esquissés dans votre tête devraient peut-être perdre leur masculinité. Ainsi, ces contes de fée qui ont bercé notre enfance et notre jeunesse vous paraissent aussi insipides que le réel.
Mais, avant de jeter au feu ces tissus de mensonge, attendez un peu, car Sarah Pinborough, autrice de Poison, Charme et Beauté s'est chargée de donner un nouveau souffle à ces histoires dépassées, et quel souffle ! C'est avec enthousiasme que je me suis plongée dans cette magie inédite, dans ces univers revisités qui me promettaient bien des surprises.
Un message réactualisé ?
Tout d'abord, j'ai été charmée par la plume envoûtante de cette autrice qui parvient à happer son lecteur en seulement quelques lignes : son pouvoir de conteuse m'a entraînée dans les tréfonds des forêts denses où la magie imprévisible et pleine de vivacité sourit aux nains, mais engloutit les ignorants. Cette forêt enchantée borde les différents royaumes dans lesquels l'apparat dissimule les querelles et les complots mesquins qui jaillissent en coulisse.
Ainsi, l'autrice nous met en garde contre ce faste qui déguise la pourriture en joyau. À nous approcher trop près de la cour, nous pourrions nous brûler les ailes, semble-t-elle nous déclarer à travers ses personnages et son univers dont la menace ne plane jamais très loin.
En somme, la désillusion est le maître mot de ces réécritures.
En effet, dans chacune d'entre elles, le mirage finit par céder, laissant au personnage tout le loisir de contempler les vices qui s'y cachent et d'en goûter ses méfaits. Le désenchantement est cruel, mais nécessaire dans ces contes manichéens où la frontière entre le Bien et le Mal est bien définie.
Or, dans ces contes revisités, cette séparation se brouille, des zones grises s'ajoutent au tableau, donnant à celui-ci un air beaucoup plus réaliste. J'ai tout particulièrement apprécié ces nouveaux personnages dont les actes et les paroles ne répondent pas exclusivement à cette injonction.
En définitive, la perfection n'existe pas, car derrière un joli minois se terre toujours des défauts qu'il est impossible de dissimuler bien longtemps. Derrière un être humain se cache une multitude de facettes, une complexité que l'autrice a tenté de conserver pour chacun de ses personnages.
Sur ces trois réécritures, Beauté est sans conteste ma préférée, car Sarah Pinborough a proposé une version inédite dans laquelle sont réunis les messages qu'elle souhaite transmettre à son lecteur ainsi que des références aux autres contes, lesquelles ajoutent une plus-value et une épaisseur à cet univers merveilleux. En revanche, Poison n'a pas su me convaincre, car la nouvelle version reste fidèle au conte original et son dénouement ahurissant m'a plongée dans l'embarras.
Ensuite, cette modernisation des contes s'accompagne d'une prolifération de scènes sexuelles, d'une abondance, que dis-je d'un déluge qui surgit sans crier gare dans cette traversée romanesque, ce qui a quelque peu terni mon expérience de lecture, car ces scènes récurrentes n'ont rien apporté de plus, si ce n'est la confirmation que nous lisons bel et bien des contes plus matures.
Ainsi, tout devient un prétexte pour décrire une scène sexuelle, ce dont je déplore, car le message s'en trouve perverti : il ne s'agit plus de débrider la pratique sexuelle chez la femme, mais d'assommer le lecteur avec ces scènes qui, à plus forte raison, changent la femme en proie.
C'est bien dommage, car au-delà de ces scènes maladroites demeurent des personnages féminins qui tentent de s'affranchir de cet idéal de la beauté vierge et douce qui attend sans fatiguer son promis.
En résumé, Poison, Charme et Beauté reste un recueil de contes plaisants à lire qui transporte le lecteur dans cet univers merveilleux au sein duquel magie, complots, amours et désenchantements livrent batailles, des luttes entrecoupées de scènes lubriques dont j'aurais pu très bien me passer pour une expérience de lecture optimale.
Alors, êtes-vous prêt.e.s à embarquer dans une aventure retorse à l'issue de laquelle votre vision des contes sera ébranlée ?
Si vous souhaitez monter à bord du carrosse, venez découvrir ce recueil dans sa nouvelle édition illustrée à tirage limité et façonnée à l'occasion des dix ans de Bragelonne, le 7 juin dans toutes les librairies !
