Critiques

Salvation T.1, Les Portes de la Délivrance : Solarpunk et connexions quantiques

Par Mathieu - Matiou
3 min 28 septembre 2022
Salvation T.1, Les Portes de la Délivrance : Solarpunk et connexions quantiques
On a aimé
- La triple narration
- Les portails de Connexion
- Le Solarpunk selon Hamilton
- Les Olyix
On n'a pas aimé

Les Portes de la Délivrance est le premier tome de la trilogie Salvation, la plus récente saga du britannique Peter F. Hamilton. Ce premier roman porte en lui l’héritage des sagas antérieures de l’auteur en plus de suivre les traces de Liu Cixin et son Problème à Trois Corps. L’auteur, un habitué du genre de la hard-sf et du space opera avec son importante saga du Commonwealth (L’Etoile de Pandore, La Trilogie du Vide et les Naufragés) et l’Aube de la Nuit (The Night’s Dawn Trilogy, 1996 – 2000), revient dans son genre de prédilection en narrant une fois de plus un des futurs de l’humanité à plus ou moins court terme, aux alentours de 2200 apr. J.C.

 

Salvation intrigue par son mélange des genres, teinté d’intrigues policières, un récit post-apocalyptique et un roman de hard-sf contant les prouesses d’une société post-pénurie. Ce roman impressionne par ces choix de narration et par ses révélations finales, tout en posant des enjeux qui ont un sincère et vibrant écho contemporain avec des préoccupations géopolitiques et environnementales. Pas de panique, Connexion s'occupe de tout.

 

Vous connaissez le paradoxe de Fermi ? Fermi a demandé : « Où sont-ils ? » Vous partiez du principe que la vie, dans la galaxie, était rare, et que du fait de cette rareté, vous ne coexisteriez jamais avec une autre espèce. C’était vrai, mais en partie seulement.

 

L'Histoire à Trois Temporalités

 

C’était l’année 2204, un vaisseau s’est écrasé sur une planète lointaine, les régolithes éparpillées par l’impact révélèrent un vaisseau pas si anodin, des corps d’humains étaient à bord... L'enquête, sous la direction de Feriton Kayne, venait juste de commencer.

 

La narration trifoliée de ce premier roman est réjouissante car elle permet paradoxalement de ne pas avoir de longueurs et instaure le trajet en Trail Ranger comme l’axe central de narration où viendront se greffer les parties flash-back et le flash-forward placé loin dans le futur.

 

L’Histoire de ce premier Livre va donc se diviser comme telle : la Traversée en Trail Ranger vers le site du crash en 2204 ; les parties flash-backs annonciateurs de liens et enfin le troisième temps de narration au 51eme siècle. La partie sur Juloss se passe tellement loin dans le futur que la chronologie devient elle-même floue. Ce futur du 51eme siècle post-apocalyptique rappelle instinctivement La Stratégie Ender. L’histoire alterne donc entre ces trois temporalités distinctes, trois différents temps du récit qui vont se répondre, se complémenter dans une fresque se déroulant sur des centaines d’années.

 

Comme dans tout roman de hard-sf qui se respecte, l’auteur nous partage de nombreux détails sur les structures, les matériaux, les concepts physiques et mathématiques régissant cet univers. La lecture n’est pas franchement difficile, même pour une lectrice ou lecteur non-habitué à de la hard-sf car l’auteur est prévoyant et le récit accompagnateur. Les concepts les plus difficiles sont exposés comme si de rien n’était, aussi fluide qu’un voyage par portails à intrication spatiale quantique. Chaque histoire consacrée à un « Saint » sera l’occasion de s’immerger dans le world-building du Système Sol.

 

Le trou de ver est un concept-clé de la littérature, de la cinématographie et du 10eme art (jeux-vidéos) de science-fiction : Farscape, Stargate, Star Trek, Interstellar, Honorverse, Rick et Morty, Ratchet et Clank, Portal, le MCU, Fringe, Dark, Elden Ring, etc.

 

Un world-building entre Connexion et ingénierie écologique

 

Ces trous de vers (wormholes en anglais) et les concepts dérivés sont une composante essentielle de toute l’œuvre science-fictionnelle de Peter F. Hamilton. Le premier tome de Salvation propose ici une nouvelle itération de ces trous de vers. Point de Nigel Sheldon, d’Ozzie Fernandez Isaac et de Compression Space Transport [personnages issus de "La Saga du Commonwealth" du même Hamilton]. L'année 2062 est une année importante dans Salvation, car c'est durant cette année fatidique que Kellan Rindstrom découvre l’intrication quantique spatiale (IQS) au CERN en Suisse. Un an après, Ainsley Balduino Zangari fonde Connexion et rien ne sera plus comme avant.

 

Les Portails à trous de vers ont véritablement karstifié l'idéogéographie de Salvation.

(Reliefs Karstiques : canyons, gouffres, grottes, écoulements souterrains, lapiaz, doline, ouvala, etc.

Idéogéographie : Géographie Imaginaire)

 

Les voitures, les avions, les trains deviennent obsolètes, des compagnies de transport commerciales et civiles s’effondrent en bourse et des économies entières s’effritent et doivent s’adapter. Les portails permettent de tout relier, tout le temps et n’importe où, sur Terre, entre la Terre et d’autres habitats du système solaire. Il existe une grande variété de portails : portails personnels, portails de maintenance, portails modulaires, portails intra-véhicule (voitures, avions, etc.), les boucliers-(parapluies)-portails, les portails-interstellaires, etc.

 

Le world-building de Salvation est  "anti-supraluminique indécis" car l'auteur n'autorise pas l'hyperpropulsion (dépassement de l'infraluminique) mais ne peut s'empêcher d'exploiter les trous de ver (extra-supraluminique).

 

Les portails quantiques ont modifié l'aménagement des centres urbains, des villes rubans se créent sur les autoroutes et voies ferrées tombées en désuétude, des habitations, des commerces, des voies vertes s’installent dans les rues des centre villes (le Nouveau pietonnisme et la planification urbaine solarpunkienne) des hôtels ferment et deviennent des locations car « tout est à petit pas de là ».

 

La technologie de ces portails n’est pas vraiment expliquée, elle est bien sûr sous-entendue par le terme « quantique » mais il pourrait bien être remplacé par « magique ». C’est en cela que Salvation est un roman de soft-hard-sf et un des plus plaisants à lire. Le sens du merveilleux a une place primordiale et prend le pas sur l’explication scientifique la plus plausible. Peter F. Hamilton enchante notre Anthropocène avec une ingénierie spatiale et une géo-ingénierie écologique bienfaitrice.

 

L’Utopie (le non-lieu géographique, le lieu-du-bien) de ce roman est biotechnologique, matérialiste, énergétique, démographique mais aussi double-genrée (les omnia).

 

Une autre marotte de Peter F. Hamilton est le secret de l’immortalité. Les échanges commerciaux, culturels et biotechnologiques avec les Olyix, depuis 2150, 6 ans après le premier contact, ont permis aux humains de rajeunir, de changer d’organes, de se faire une nouvelle santé grâce aux cellules K et aux traitements de télomères.

 

Le contexte est définitivement anti-cyberpunk, nous sommes en plein récit Solarpunk où l'Humanité vit dans une société post-pénurie et post-guerres mondiales. Le futur de Salvation est un avenir tout ce qu’il y a de plus réjouissant. La chronologie de fin de roman est particulièrement édifiante sur ce sujet et propose de jolis clins d’œil à l’histoire contemporaine (SpaceX, imprimantes 3D, le système TRAPPIST, le vaisseau Elysium, etc.) et décrit un futur tout ce qu’il y a de plus enviable.

 

« Le portail pour Londres était le sixième à gauche quand on arrivait d’Edimbourg. Il l’atteignit en quarante secondes et se retrouva dans le hub de Trafalgar Square, avec ses vingt-cinq portails conduisant aux quatre coins de l’énorme capitale britannique […]. »

 

Les machines hamiltoniennes: l'anti cyberpunk

 

Dans la pensée hamiltonnienne, les machines et les IA ont un bon fond et respectent scrupuleusement les trois lois d’Asimov. L'Humain vit à côté de la machine. Le cyberpunk n’a pas sa place dans ce cycle. Les IA GTuring sont par exemple des créations essentielles à l’économie et à la vie quotidienne des humains tandis que les altmois personnels sont des assistants de vie indispensables.

 

La « perfection » de ces machines participe à l’utopie décrite dans ce roman. La monomachine de Von Neumann autoréplicative, les Puits solaires et les Portails de Connexion seraient les murs porteurs de cette uchronie utopiste matérialiste de l’humanité du XXIIIeme siècle. La civilisation humaine serait bien en passe de monter d’un cran civilisationnel sur l’échelle de Kardachev…

 

L’échelle de Kardachev (1964) est un modèle théorique de classement des Civilisations selon le niveau technologique et la consommation énergétique réparties en trois types. Cette échelle a été depuis augmentée, remise en cause et modifiée : Carl Sagan (les  stades intermédiaires), Michio Kaku (l’économie du savoir), John Barrow (au-delà du type trois) et Zoltán Galántai (critère de Résistance face à des aléas naturels et cosmiques)

 

Les Olyix : le Problème à Quinte Corps

 

Les Olyix sont surement une des espèces d’extraterrestres inventées en science-fiction les plus mystérieuses qui soient. La nature des Olyix, une des réelles forces de ce livre est une réponse donnée au Paradoxe de Fermi. Ce paradoxe est ancien et il est viscéral dans la construction de l’identité humaine, « sommes-nous seuls dans l’Univers et pourquoi ? ». Cette recherche de résolution de ce paradoxe participe à la compréhension et l’étude du cosmos depuis des décennies. Peter F. Hamilton propose une réponse assez proche de la théorie énoncée dans le chef d’œuvre de Liu Cixin. Je vous laisse trouver la réponse par vos propres moyens car elle se trouve qu’elle est particulièrement bien cachée.

 

La seule réponse valide au Paradoxe de Fermi est évidemment 42.

Le britannique Peter F. Hamilton le sait pertinemment.

Ce nombre fait un caméo dans ce livre...

 

Salvation est un récit d’anticipation à longue portée réflexive, un voyage post-apocalyptique et un essai solarpunk sur l’utopie hard-science-fictionnelle. Le triptyque hamiltonien (Trou de ver/Biotechnologies de rajeunissement et de longévité/Enquêtes criminelles) est bien ancré et permet d’avoir une bonne base d’où peuvent éclore de nouvelles itérations et élans philosophiques. La trilogie est d’ores et déjà traduite dans notre langue grâce à la traduction de Nenad Savic à qui on doit entre autres la traduction de la grande saga du Commonwealth de Peter F. Hamilton et les deux premiers livres du Dévoreur de Soleil de Christopher Ruocchio. Les Portes de la Délivrance constitue un splendide nouveau space-opera utopiste, une intrication d’héritages littéraires allant de la Culture de Ian M. Banks au Problème à Trois corps de Liu Cixin. Ce livre vous a tracé le chemin de l’exode, ils ne vous reste plus qu’à le parcourir pour atteindre le signal des Saints.

 

Où le trouver

Chez l'éditeur

 

Salvation Hamilton Bragelonne

 

Lexique de l'imaginaire

Hard Science-Fiction : un genre de la science-fiction caractérisé par l'utilisation détaillée de technologies futuristes. Il existe plusieurs sous-genres. La hard SF se veut réaliste et plausible.

Lapiaz : (lapié ou lapiaz) rainure superficielle creusée par les eaux en terrain calcaire. Un mot du grand lexique de la géomorphologie du Karst.

Monomachine de Von Neumann (ou Machines Réplicatives) : machines qui se reproduisent elles-mêmes dans un contexte de grande consommation d'énergie et d'automatisme.

Ouvala : autre mot provenant de la géomorphologie karstique. Mot issu du serbe, désigne une grande dépression.

Solarpunk : genre SF plus ou moins récent, désigne une littérature de futurs enviables et optimistes (à l'inverse du cyberpunk). Les énergies renouvelables et les préoccupations environnementales y tiennent une place majeure.

Supraluminique : Vitesse supérieure à la vitesse de la lumière (299 792 458 m / s)

Utopie : un lieu, un temps, un idéal en dehors des réalités, au-delà des possibles pour un monde changé et purgé de réalités dystopiques. Une Utopie peut néanmoins cacher une dystopie...