Critiques

Sur l’île des Porte-Chance, il ne fait ni jour ni nuit…

Par Eve - Goupilit
5 min 20 avril 2023
Sur l’île des Porte-Chance, il ne fait ni jour ni nuit…
On a aimé
- le concept de l'univers et du don de Porte-Chance
- la crédibilité des personnages
- l'originalité de l'intrigue et des thématiques traitées
On n'a pas aimé
- Rien. Lisez-le !

Imaginez une Terre qui a cessé de tourner…

 

Imaginez des pays comme l’Aurore, le Matin ou la Fin de Nuit, éternellement bloqués à la même heure de la journée, éclairés par une unique lumière…

 

Tel est le monde inventé par Lucie Heiligenstein, dans son roman L’île des Porte-Chance qui sort aujourd’hui aux éditions Scrineo. Estampillé à partir de 14 ans, il s’adresse en vérité aussi bien aux jeunes qu’aux plus grands lecteurs, habitués de fantasy ou non, avec une touche de magie qui s’ancre dans un univers inspiré des années 1910.

 

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© Couverture illustrée par Tiphs

 

Résumé : une mère, un fils, un don

 

Sur l’île-État d’Aube grise méridionale, la lumière est perpétuellement dans cet entre-deux entre la nuit et le jour. Lou, 16 ans, vit avec sa mère adoptive, Émérance Esperandieu. 

 

Émérance est une Porte-Chance professionnelle, c’est-à-dire qu’elle met sa chance au service du gouvernement lors des conseils hebdomadaires où sont prises toutes les décisions de l’île. La chance est un don rare, une sorte de réserve magique qui coule dans les veines de certaines personnes, provoquant des « coups de chance » imprévisibles. Elle peut protéger les Porte-Chance, mais aussi être donnée à d’autres voire retirée de force.

 

Lou est un adolescent doux et rêveur, qui aime sa mère, ses amis, bricoler des objets et travailler les décors pour sa troupe de théâtre. Mais il se révèle aussi être un Porte-Chance, comme sa mère, au moment même où une vague d’immigrés arrive des Terres Obscures. Épidémie, séisme, invasion de sauterelles, qu’est-ce qui pousse réellement ces gens à quitter leur pays sans lumière ?

 

Alors que les tensions montent en Aube Grise, Émérance craint pour la sécurité de son fils et l’envoie sur un paquebot vers le Midi, chez sa tante. Commence pour Lou un extraordinaire voyage, et vient pour Émérance le temps d’affronter les démons de son passé…

 

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© Carte illustrée par Berries&Paper

 

Aube Grise, personnages « gris »

 

Qui a dit que « fantasy jeunesse » équivalait forcément à une guerre du bien contre le mal ? Dans L’île des Porte-Chance, il n’y a ni méchants ni gentils ; seulement des êtres humains avec leurs qualités, leurs failles, leur vécu. Les personnages ne sont pas noirs ou blancs, mais simplement attachants et plaisants à suivre.

 

Le parti pris de prendre pour duo de personnages principaux une mère et un fils est déjà original, à l’heure où la fantasy young adult nous bombarde de héros et d’héroïnes qui finissent toujours en couple au bout de leur quête.

 

Lou est ce genre de héros qui n’a rien demandé à personne, embarrassé des conséquences de son don de Porte-Chance qu’il apprend à maîtriser. Mais il est débrouillard, et tellement gentil qu’on n’a qu’une envie, le serrer dans nos bras pour le consoler de tous les malheurs qui lui tombent dessus.

 

Émérance, tout le contraire de son fils, est une anti-héroïne imbuvable qu’on aime détester pour ses choix. Sa relation avec Lou est l’une des plus grandes forces de ce roman, avec les concepts de cette Terre qui ne tourne plus et de ce don de Porte-Chance, fondations de l’univers. Le passé d’Émérance est lui-même un mystère à résoudre et la clé pour comprendre sa psychopathie (son absence d’empathie pour les gens qui ne sont pas proches d’elle).

 

Bien d’autres personnages gravitent autour d’eux, comme Ma Sloane la Cheffe du douzième district d’Aube Grise qui ne vit que pour ses administrés, Timothy son fils et meilleur ami de Lou (gros cœur sur lui), Angelina son assistante atteinte de kleptomanie qui n’a pas eu la vie facile, ou le charismatique Siméon chargé d’enlever des Porte-Chance mais sincèrement embêté de le faire, pas comme un grand méchant. Chaque personnage est crédible dans sa construction et apporte un petit quelque chose en plus à l’histoire.

 

Mon personnage préféré restera Jessie, originaire de Fin de Nuit, que Lou rencontre au début de son voyage. Toute sa personnalité a été pensée comme aussi mouvante que les ombres dans la nuit. Jessie est un personnage à la fois exubérant, complexe et touchant. Iel aime l’art, la magie, le spectacle, et conter des histoires où le mensonge est impossible à démêler de la vérité.

 

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© Photo de Lucie Heiligenstein

 

De la fantasy jeunesse qui ne manque pas d’originalité

 

Toute la psychologie des personnages, et l’organisation des sociétés, découle de la lumière qui éclaire ou non chaque pays. Jessie vient ainsi de Fin de Nuit, dans les Terres Obscures, où la vérité ne cesse de se déguiser derrière les illusions et les croyances, où les liens entre personnes comme les souvenirs se font et se défont comme dans un rêve perpétuel. Le Midi, au contraire, pays baigné de soleil, a banni toute forme de mensonge et d’apparences trompeuses, sublimant la beauté mais révélant chaque faille au grand jour. Quant au Matin, les villes y sont désertées, car ce n’est qu’un territoire de passage que tout le monde traverse dans l’espoir d’atteindre le Midi.

 

On assiste donc ici à toute la construction d’un univers génial, où chaque moment de la journée a donné naissance à un pays et un peuple avec leur identité propre. Notons aussi le don de Porte-Chance, atypique et bien pensé, qui ajoute une touche de magie à ce monde finalement proche du nôtre.

 

L’intrigue est savamment ficelée, avec beaucoup de suspense et une évolution des protagonistes remarquable. Les relations entre personnages et les révélations sur leur passé sont au cœur du récit, plus que l’action elle-même et le voyage de Lou, ce qui rend vraiment cette lecture universelle pour petits et grands, amateurs de fantasy ou non. Qui est la mère biologique de Lou ? Quels secrets cache Émérance ? Pourquoi les habitants de Fin de Nuit quittent-ils leurs terres ? La situation va-t-elle s’améliorer ou dégénérer en Aube grise ? Lou parviendra-t-il au Midi pour retrouver sa tante ? Ici, pas de tyran à combattre avec le don de Porte-Chance ou d’élu qui sauve la planète – du moins, pas tout à fait…

 

Finalement, cette ambiance très « réconfortante », où la famille et l’amitié sont au premier plan, m’a rappelé ce qu’on appelle de la « cozy fantasy », mélange d’un univers haut en couleurs et de personnages si doux qu’on n’a pas envie de les quitter.

 

Même pour une lecture doudou, L’île des Porte-Chance aborde des thématiques importantes pour les jeunes lecteurs, et pas que : les relations parent-enfant (adoptif ou non), l’immigration et la xénophobie, ou encore l’identité et surtout la fluidité de genre à travers le personnage de Jessie.

 

Bref, ce roman est un petit bijou d’imagination et d’émotion, qui ne demande qu’à trouver son public !

 

Alors, prêts à embarquer pour l’île des Porte-Chance ?

 

Retrouvez ici la page de l’éditeur

 

Ici le site web de Lucie Heiligenstein

 

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