Ce n'est plus un secret pour quiconque se rend souvent ici-bas, j'ai le plus grand respect pour Neill Blomkamp. Il faut dire que le bonhomme m'avait fait forte impression il y a quelques années de cela avec la sortie de District 9 : à l'époque, je pensais assister à la naissance d'un grand réalisateur de science-fiction, si ce n'est d'un grand réalisateur tout court.
Je me plongeais dans son univers déjà riche de plusieurs courts-métrages, de thèmes (l'augmentation de l'humain ou l'égalité sociale, entre autres) et d'un style (qui passe par la diversité des caméras utilisés, notamment) déjà très identifiables mais aussi de notes d'intentions plutôt alléchantes, dont une sorte de screen test pour un long-métrage Halo qui faisait saliver le fan de la licence que j'étais.
• Lire aussi : tout le programme de notre semaine Alien
Deux films - Elysium et Chappie - plus tard et bon nombre de spectateurs ont déjà déchanté. J'ai moi-même du revoir ma copie : Blomkamp, de son propre aveu, a tendance à se perdre dans l'esthétique au détriment de l'historie, et semble avoir tout le mal du monde à revenir à la simplicité fabuliste de District 9, film co-écrit par Teri Tatchell, également son épouse.
Mais malgré ces déceptions plus ou moins amères, nous étions nombreux à avoir sauté de joie à l'annonce d'un Alien 5 qui aurait été réalisé par le sud-africain. Rappel des faits : tout avait commencé en janvier 2015, où Blomkamp dévoilait sur ses réseaux sociaux plusieurs artworks (ci-dessus) parfois signés de sa propre main pour un nouveau film situé dans l'univers de la saga. A l'époque, il niait d'ailleurs toute implication du studio, invoquant un projet relevant du fantasme.
Mais il se trouve que la 20th Century Fox, encore un peu secouée par le bad buzz autour de Prometheus, malgré le succès du film dans les salles obscures, réfléchissait justement à l'avenir d'Alien. Bien évidemment, les idées de Blomkamp ne passaient donc pas inaperçues, tout comme sa rencontre avec Sigourney Weaver sur le tournage de Chappie.
Un véritable coup de foudre artistique, parait-il, qui a poussé le metteur en scène à développer ses idées aux côtés de Weaver, en parallèle de la post-production de Chappie, jusqu'à ce que le studio, sans doute motivé par la popularité de ses designs, donne son feu vert à Neill Blomkamp.
Une annonce un peu précipitée qui avait des airs de rêve éveillé. Moralité, la Fox et le réalisateur manquent la première marche et ne parviennent pas à maîtriser la communication autour de ce projet, sensé s'intercaler à la suite d'Aliens, de James Cameron, et donc annuler, de facto, l'Alien 3 de David Fincher – on sait qu'il aurait apprécié – et l'Alien : Resurrection de Jean-Pierre Jeunet.
On y reviendra, cette "annulation" des troisième et quatrième films de la saga était toute relative, mais elle fait son bonhomme de chemin dans la presse et auprès du public qui visiblement, commence à douter de l'intérêt ou du moins de la faisabilité du projet. Alien 5, appelons-le ainsi, trébuche.
Mais le film n'est peut-être pas tombé tout seul. L'impulsion pourrait avoir été donnée par Ridley Scott, qui du haut de ses 79 ans, se montre soudain très pressé de communiquer sur une, puis des suites de Prometheus. Comme vexé par l'engouement suscité par le cinquième opus d'une saga qu'il a lui-même initié en 1979, Scott a depuis rappelé que le film de Blomkamp n'avait jamais eu de scénario, au contraire d'Alien : Awakening, et qu'il ne voyait plus d'issue pour le projet. Dans le même temps, le sud africain avait expliqué à ses fans que les chances de le voir aux commandes d'un film Alien, dont il rêve depuis l'enfance, de son propre aveu, étaient maigres.
Une nouvelle arlésienne pour Hollywood, et un nouveau sujet de discussion pour nous. Qu'on apprécie ou non l'initiative lancée par Scott et la Fox avec Convenant et ses futures suites, qui raccrocheront sans doute les wagons jusqu'au premier Alien, on peut en effet s'interroger sur l'intérêt qu'aurait pu présenter ce cinquième Alien par Neill Blomkamp.
Assurément, le film aurait eu une incidence sur la carrière du bonhomme, tout d'abord. Il est d'ailleurs presque amusant de remarquer que contrairement à nombre de ses jeunes confrères, comme Duncan Jones ou Ryan Coogler, Blomkamp n'a encore jamais prêté ses talents au cinéma de licences. On reproche souvent à celles-ci d'absorber l'âme de leurs metteurs en scène, mais après trois métrages, forts de 30, 115 puis 50 millions de dollars de budget, le sud-africain avait peut-être l'occasion d'offrir à sa filmographie un point d'orgue tout en proposant aux spectateurs plus qu'une coquille vide.
En effet, en voulant reprendre juste après l'Aliens de James Cameron, Neill Blomkamp avait visiblement l'intention de flirter avec l'un des nombreux scénarios envisagés par la 20th Century Fox à l'époque du troisième opus, celui qui nous aurait présenté des "communistes de l'espace". Métaphore de la guerre froide et outil de pensée politique, cette histoire qui ne fut pas retenue par le studio et David Fincher à l'époque du troisième Alien colle parfaitement aux obsessions du réalisateur et aux thèmes du moment. Avec un peu de chance et de liberté créative, nous aurions peut-être eu droit à un véritable "Neill Blomkamp movie" donc.
Et c'est là où le bât blesse le plus. Finalement, la licence Alien n'a jamais vraiment été une saga. Si elle met en scène le même personnage, Elen Ripley, dans quatre opus, le dernier d'entre-eux détournait déjà beaucoup l'idée. Et si une certaine continuité se dessine entre Le Huitième Passager et Aliens, chaque film de la franchise a le mérite de pouvoir être vu indépendamment des autres, car tous sont une fenêtre qui donne sur l'univers d'un metteur en scène, que ce soit l'horreur clinique d'un Fincher ou les fables guerrières d'un Cameron.
Il faut donc considérer Alien comme une franchise anthologique, comme le suggère le compte Twitter dédié à la licence. Étrangement, c'est d'ailleurs le seul mouvement récent de la part de la 20th Century Fox dans cette direction. À croire que le studio a préféré banquer sur une recette simple - des suites par le maître de la franchise, Ridley Scott - plutôt que sur une approche anthologique et une politique d'auteurs multiples, qui d'après l'avenir un rien ténébreux d'Hollywood, lui aurait pourtant assuré quelques jours heureux.
L'idée reste peut-être en réserve le temps que Ridley Scott boucle la boucle, mais on doute que Neill Blomkamp en fasse un jour partie, même d'ici quelques années. Maintenant, il n'est pas non plus interdit de trouver du positif dans toute cette affaire. Après tout, en évitant le monde de la licence, le réalisateur sud-africain retrouvera peut-être plus facilement son mojo. C'est tout le mal qu'on lui souhaite, en tous cas, après un Chappie et un Elysium décevants, sans être particulièrement mauvais.