1.
| Les Annales de la Compagnie noire de Glen Cook : Le roman qui a donné ses lettres de noblesse à la Dark Fantasy
Le Mal est relatif, annaliste. On ne peut pas lui mettre d'étiquette. On ne peut ni le toucher, ni le goûter, ni l'entailler avec une épée. Le Mal dépend de quel côté on se trouve, de quel côté on pointe son doigt accusateur.
Impossible d’aborder la question de la Dark Fantasy sans évoquer Glen Cook et sa célèbre Compagnie Noire, fière compagnie de mercenaires prêts à servir le plus offrant. Même si celui-ci est clairement maléfique !
Depuis des siècles, les traditions et souvenirs de la Compagnie Noire sont consignés dans des annales. Entrée au service de la Dame et de ses sorciers maléfiques, la compagnie participe à l'une des plus sanglantes campagnes de son histoire. Cette Dame, une puissante magicienne, fut libérée de sa prison éternelle en compagnie de ses Dix Asservis, il y a dix ans de cela. Depuis, ces puissances malfaisantes cherchent à reconquérir le terrain perdu et asseoir leur domination sur le monde en luttant contre un Cercle de mage de la « Lumière » et des rebelles à leur rapide ascension !
Même les « gentils », les mages du Cercle, possèdent de belles crapules en leur sein, ce qui rend le « Bon côté » tout aussi antipathique. Glen Cook joue ainsi avec les frontières entre Bien et Mal et leur perception (bien que les mercenaires réalisent qu’ils n’apportent pas paix et harmonie aux rebelles !). L'atmosphère est donc sombre et glauque, mais, même si des exactions sont commises, l'auteur évite d’aborder le sujet pour ne pas faire détester ses protagonistes. Et les mercenaires ne sont pas tous pourris jusqu’à l’os, loin de là ! Ils empêcheront le viol d’une enfant, porteront secours aux orphelins et aux vieillards… Tout n’est pas noir, mais tout n’est pas blanc non plus avec Glen Cook !
L'ambiance et l'univers sont sombres mais l’on ressort de la lecture changé et non déprimé. Toubib nous fait un récit très personnel, le rendant parfois léger pour ne pas nous submerger par le pessimisme de l’univers : il rapporte les morts et la violence mais aussi les chamailleries absurdes, les concours de qui pissera le plus loin entre les deux mages de la compagnie, les moments de camaraderie, les moments solennels… A travers toute la saga de cette compagnie de loups de guerre, on ressent un esprit de corps très fort et qui arrive à porter l’histoire bien au-delà d’un simple récit de guerre.
Le langage dur et brut renforce le réalisme du récit. Au milieu de mercenaires, la politesse n’est pas de mise. Seul peut-être le respect de la hiérarchie évite les débordements langagiers et violents (et encore !). On a l’impression d’évoluer au milieu de barbares civilisés qui nous plongent dans un quotidien d’une rugosité étonnante. Ce ton est permis par Toubib qui tient consciencieusement les annales et qui s’efforce de rapporter le plus fidèlement possible les propos de chacun. Certains ayant parfois leur gimmick et leur phrase fétiche, renforçant notre attachement à leur égard mais aussi en leur créant une identité propre.
Attachement d’ailleurs que vous devez fuir le plus possible (même si cela est possible car on les aime ces bougres !) car la mort est toujours au tournant dans les Annales de la Compagnie Noire. Certaines morts seront épiques, d’autres non, confortant l’idée que l’univers de Glen Cook est sombre et chargé de désespoir !
Avec un style incisif, Glen Cook sert un récit sombre, ambiguë et très personnel qui en a fait l’une des œuvres de Dark Fantasy les plus reconnues au monde. Et à raison !
2.
| Sandman de Neil Gaiman : LE comics de Dark Fantasy au pays des songes
Elle a de vieux fantômes, que je lui ai montrés. Ses pareils errent dans un ressac de vies qu'ils ont sacrifiées à leurs buts, jusqu'à ce que, seuls et sans amis, ils doivent faire le sacrifice suprême.
Les classiques du genre ne sont pas tous des romans, loin de là ! On pourrait évoquer Dark Souls ou encore Berserk pour le jeu vidéo et le manga, mais pour le comics indubitablement Sandman a fait date en fantasy. Créé par Neil Gaiman et dessiné par de nombreux dessinateurs aux styles très différents, le marchand de sable est revisité dans cette œuvre d’anthologie.
Morpheus, le marchand de sable et grand maître des rêves, est un Eternel, c’est-à-dire l’incarnation d’une constante de l’univers, au même titre que ses frères et sœurs (Mort, Destruction…). Morpheus s’occupe du rêve des Hommes, faisant de lui l’un des plus puissants Eternels. Mais sa toute-puissance ne l’empêche pas de commettre des erreurs. Au commencement de Sandman, cela fait 70 ans qu’il est prisonnier d’un sorcier qui désire l’immortalité, mais, Morpheus a l’éternité devant lui et reste inflexible. Finalement, il arrivera à s’échapper et à regagner son royaume laissé à l’abandon. Prenant très à cœur son rôle, il va faire le ménage et se débarrasser de ses frères et sœurs qui cherchent à l’évincer de son trône au cœur des rêves. L’occasion pour nous de découvrir toute la nouvelle mythologie créée par l’auteur et d’explorer l’univers loufoque, étrange et inquiétant du royaume des songes.
Toujours à la frontière entre le fantastique et l’horrifique, on retrouve ce qui fait la patte de Neil Gaiman avec sa touche angoissante, glauque et morbide, comme par exemple l’histoire intitulée « Collectionneurs » où Morpheus est confronté à une convention de tueurs en séries aux pratiques toutes plus horribles les unes que les autres. Mais on retrouve aussi tout l’onirisme et la poésie de la plume de l’auteur avec des histoires comme celle où Morpheus visite sa sœur, la Mort, jeune femme compatissante et attachante, qui l’emmène discuter avec des personnes récemment décédées.
J'ai particulièrement eu un coup de coeur pour les couvertures de chaque chapitre qui présentent des personnages à travers des portraits oniriques et torturés et qui séduisent par leur teinte gothique. De plus, dans l’édition d’Urban Comics, chaque volume s’accompagne d’une explication de planches et de chapitres par l’auteur lui-même pour vous pointer du doigt des détails qui viennent renforcer le sentiment d’immense cohérence dans l’œuvre. Un chapitre qui vous semblera sans importance vous paraîtra essentiel après cela !
Sandman de Neil Gaiman est une œuvre dense et mature, sombre et captivante et qui explore un univers vaste, déroutant qui joue constamment entre rêve et réalité !
3.
| Les Chroniques de la Lune Noire de François Froideval : LA bande-dessinée française qui magnifie le genre
Les cieux s'emplirent d'une grêle mortelle, les armées se jetèrent l'une contre l'autre comme deux amants passionnées mus par un élan forcené... Et, ce matin-là, la légende s'écrivit en lettres de sang.
Ahhh enfin une œuvre française dans ce dossier sur les classiques du genre ! Publiées pour la première fois en 1989, les Chroniques de la Lune Noire est l’une des meilleures bandes-dessinées françaises et elle dénote avec la fantasy habituelle, à cause (ou grâce !) à son dessin gothique et hors-norme.
La bande-dessinée retrace les aventures épiques de Wismerhill, un demi-elfe aux origines troubles, qui prendra la tête d’une compagnie de mercenaires et se trouvera au cœur d’un jeu d’échec quasi-divin entre l’Empire de Lumière et le maître de la Lune Noire (qu’il servira).
Le scénario, écrit par François Froideval, s’inspire des codes du jeu de rôle et du médiéval fantastique mais en adoptant le point de vue des personnages amoraux ou carrément maléfiques. En effet, la compagnie de Wismerhill fricote souvent avec les ténèbres et lui-même succombera aux charmes d’une Succube, incarnation du vice et de la puissance. Mais la balance est ténue entre pure égoïsme et pure méchanceté et les scénarios ont de très nombreux rebondissements à leur actif !
Les dessins d’Olivier Ledroit, Cyril Pontet et Fabrice Angleraud, sont tous simplement exceptionnels, notamment mettant en avant toute la grandeur des armées et des forces en présence. Certaines planches prennent des doubles-pages entières pour nous montrer deux armées se faisant face. Loin de lasser, la surenchère constante des forces en jeu n’aura de cesse de surprendre et d’impressionner car scénaristes et auteurs apportent toujours de nouveaux éléments à la série, justifiant sans cesse de nouvelles planches qui prennent aux tripes et de nouveaux enjeux pour les protagonistes.
J’ai une affection toute particulière pour le demi-ogre, Ghorghor Bey, personnage sans finesse et faussement benêt, d’une loyauté à toutes épreuves et qui instille un humour rafraîchissant tout au long de la série. De plus, la série dérivée Les Arcanes de Lune Noire revient sur son passé, ce qui nous permet d’en apprendre plus sur lui mais aussi sur l’univers dans son ensemble, répondant ainsi à nos (trop) nombreuses questions !
Pour information, les éditions Leha et l’autrice Jeanne A-Débats vont réaliser l’adaptation roman de cette saga épique !
4.
| Le cycle d’Elric de Michael Moorcock : L’œuvre patrimoniale gothique par excellence
Stormbringer avait besoin de se battre, c’était sa raison de vivre. Elle avait besoin de tuer, c’était son souffle de vie. Elle avait besoin de la vie et de l’âme des hommes, des démons et même des dieux.
Melniboné, l'île aux Dragons, régnait jadis sur le monde. Désormais les Dragons dorment et Melniboné dépérit. Sur le trône de Rubis siège Elric, le prince albinos, dernier de sa race, nourri de drogues et d'élixirs qui le maintiennent tout juste en vie. Un homme prêt à tout pour vivre, quitte à passer un pacte avec le Seigneur du Chaos Arioch, ce qui le mènera sur une route semée d’embûches, accompagné de Stormbringer, sa grande épée noire qui boit les âmes. Epée qui fera naître en lui une soif de sang qu’il n’arrivera pas toujours à contrôler (tuant parfois des amis et des compagnons d’armes) !
Le premier récit est une entrée en matière, avec peu de personnages, peu de décor pour nous familiariser avec cet univers vaste, qui est au cœur d’un Multivers qu’on découvre au fil de nos lectures. Lentement mais sûrement Michael Moorcock nous laisse entrevoir un monde à l’agonie et en quête d’espoir. En effet, beaucoup de lieux évoqueront des peuples condamnés à la déchéance et à l’oubli, déserts et forêts sont porteurs d’une histoire et d’un passé magique qui évoquent un passé glorieux et qui, maintenant, ne sont plus que l’ombre de d’eux-mêmes (ajoutant à la teinte gothique du récit, une mélancolie qui transporte).
Atypique et original, Elric est un personnage complexe et charismatique. Empli de paradoxes, il est à la fois faible et puissant, est doté d'un sens moral élevé mais il peut se montrer cruel. Il est l’antithèse d’un héros comme Conan et se rapproche plus d’un Solomon Kane par la construction rongée par le doute et un fond de noirceur qui vient teinter ses actes.
Des combats (sur terre et sur mer), de la romance, des duels, de la magie... Tout y est pour que le lecteur soit emporté dans un récit très addictif. L’écriture est agréable avec une narration épurée jusqu'au dépouillement. Sobriété qui met d’autant plus en valeur des passages chargés de poésie et de violence.
Moins gore qu’attendu dans le genre de la dark fantasy, Michael Moorcock est davantage dans la suggestion, ce qui peuple notre imagination de scènes guerrières et de massacres « à notre sauce ». Style qui est très rafraîchissant et que l’on ne retrouve malheureusement peu dans le genre, qui parfois risque de tomber dans le mauvais goût et la violence gratuite.
Elric est un cycle complexe qui prend des dimensions de plus en plus épiques après chaque roman et qui confèrent à son héros une complexité émouvante et sanglante.
5.
| Solomon Kane de Robert E. Howard : La Bible et l’Acier au cœur d’actions flamboyantes
Solomon Kane était un homme grand et maigre ; son visage très blanc et ténébreux, ses yeux profonds et rêveurs étaient rendus encore plus sombres par le costume foncé et austère de Puritain qu’il aimait porter.
Surtout connu pour sa plus grande création qu’est Conan le Barbare, Robert Erwin Howard ne s’est jamais arrêté là. On compte parmi ses créations les plus fameuses Kull, Bran Mak Morn et surtout Solomon Kane. Sobre, renfermé et fuyant l’alcool et les femmes, portant le nom du plus grand roi de la Bible mais aussi du premier meurtrier de l’histoire, il était prédestiné à la lutte contre les Ténèbres. Mêlant Sword & Sorcery et Dark Fantasy, les aventures de Solomon Kane sont loin d’être de tout repos.
Crédit : Mikael Bourgouin
Pour rappel, le personnage de Solomon Kane intervient à une époque où le pulp (ces magazines contenant beaucoup de nouvelles sur un papier de si mauvaise qualité qu’ils en devenaient de la pulpe après la lecture) était le seul moyen de lire de la fantasy. Un format court implique un récit court et donc des scénarios simples. Ce qui fait que le Bien et le Mal sont rapidement identifiables par le lecteur. Solomon Kane lutte contre toutes les incarnations du Mal : vampires, sorciers… Et bien qu’il soit un grand puritain, défendant le Bien partout où cela est possible, Robert Howard ne l’a pas transformé en intégriste : à l’image d’un Geralt de Riv, il est désabusé mais aidera l’orphelin et laissera couler les petits larcins. Il est un ange de Justice. Pas un purificateur, du moins pas du genre humain.
Armé d’une épée, de deux pistolets, d’une Bible et de sa Foi inébranlable, il traque et s’aventure partout dans le monde élisabéthain dans lequel il évolue. Instrument de Dieu et du génie de son auteur, on le verra donc charger des hordes démoniaques et en ressortir vivant, porté par le souffle épique que seul permet la littérature pulp.
De plus, les nouvelles nous rappellent que l’Afrique ou certaines parties du monde étaient encore méconnues par le grand public (dont faisait partie l’auteur !), bourrant ses nouvelles de clichés pour autant de leviers scénaristiques étonnants. Chose importante à souligner, l’auteur ne fait jamais preuve de racisme, soulignant même que seule la couleur de leur peau les différencier. (rappelons-nous qu’il écrivait cela dans les années 30 ET aux Etats-Unis !). Le tout créé une ambiance dépaysante que l’on ne peut plus retrouver dans les romans de fantasy d’aujourd’hui.
Certaines nouvelles sont particulièrement violentes et sombres. Je pense notamment à « Des crânes dans les étoiles » et « La main droite du destin » qui sont de « magnifiques » contes gothiques et qui nous plongent dans des ambiances de fin du monde et de course contre la montre face au Mal. Il y a toujours de la noirceur dans l’œuvre d’Howard et ses nouvelles concernant Solomon Kane n’y font pas exception, que cela soit dans son approche rigoriste de la Bible, sa conception du Mal ou encore dans l’exotisme dangereux des pays visités par le sabreur puritain. Tim Burton n’aurait pas renié ces différents contes macabres qui font de Solomon Kane un personnage d’anthologie.
Il faut souligner également qu’il est rare aujourd’hui d’avoir l’opportunité de lire du pulp. Certains chef-d ’œuvres comme Tarzan et John Carter d’Edgar Rice Burroughs se sont perdus (malgré quelques éditions qui s’arrachent encore sur Amazon et a des prix exorbitants), alors que les éditions Bragelonne s’occupent magnifiquement bien de l’œuvre de Robert E. Howard. L’intégrale de Conan et de Solomon Kane sont des objets livres magnifiques et le soin apporté aux illustrations intérieures, au cœur même des nouvelles, mais aussi des planches commandées à de nouveaux illustrateurs, qui apportent tous une interprétation gothique et neuve de l’œuvre, font honneur à ces personnages emblématiques
Si vous êtes en quête d’évasion, d’exotisme mystérieux et d’actions flamboyantes et désespérées, une ou deux aventures de Solomon Kane entre chaque lecture sont parfaites pour ça !