1.
| Romain Benassaya : L’art du page-turner dans les huit-clos spatiaux
Déjà à son 4ème roman, Romain Benassaya a une passion pour les étoiles et pour le genre humain. Chacune de ses histoires est l’occasion pour lui de détricoter l’esprit humain et de le mettre face à ses propres contradictions. En ce sens, il se rapproche de Bernard Werber avec Le Papillon des étoiles ou encore du Cycle des Dieux. Le lecteur prend souvent de la hauteur dans ses histoires pour y découvrir complots et machinations afin de détruire des projets qui seraient bons pour l’ensemble de la communauté, mais qui heurtent les esprits étroits.
Dans Pyramides ou encore Arca, on ressent la facilité déconcertante avec laquelle l’auteur fait interagir les personnages pour créer des tensions qui aboutissent souvent à des désastres. Romain Benassaya a ce plaisir de confronter les idées et les pensées pour que ses romans soient des terreaux fertiles aux débats. Il dose savamment les retournements de situations, alliés à un style fluide très proche du page-turner, pour que l’équilibre qui aurait pu se créer entre les différents partis de ses histoires soit sans cesse remis en cause. Par exemple, dans Pyramides, des humains cryogénisés, en route vers une autre planète, se réveillent dans un tunnel où le noir est absolu, avec un vaisseau à peine capable de faire fonctionner les lumières. Le conflit qui va opposer les Explorateurs, qui désirent découvrir ce qu’il y a au bout de ce tunnel, et les Fatalistes, qui pensent qu’ils doivent se développer autour du vaisseau et abandonner l’exploration, va être la source de conflits entre familles et amis. Mais la justesse des propos de l’auteur fait que certains personnages, face à certains événements et à l’évolution de leur histoire personnelle, vont évoluer, changer de camp ou encore trouver une nouvelle voie pour le groupe. Tout cela dans une cohérence scénaristique et une cohérence d’écriture qui font honneur au travail de l’auteur.
Chaque roman est l’occasion pour Romain Benassaya de traiter de sujets forts. Pour Pyramides, c’est la place du pouvoir dans les relations humaines et la peur de l’inconnu. Dans Arca, c’est la place de la religion dans une immense arche humaine. Ou encore dans les Naufragés de Velloa, ce sont l’avidité des hommes et la place de la guerre dans les fondements même des sociétés humaines. Cet ensemble en fait une bibliographie qui ne cesse de s’étayer et de réveiller les consciences sur les raisons profondes des actions humaines. Et ce n’est pas terminé !
Il revient bientôt avec La Dernière Arche, qui d’après l’illustration, rappelle fortement le Labyrinthe, ce fameux tunnel plongé dans les ténèbres de Pyramides. Et cette fois, il sera question de rencontres entre plusieurs hommes et femmes issus de nombreuses époques et civilisations humaines. De quoi s’amuser pour l’auteur qui va sûrement traiter de la question des chocs de civilisation !
2.
| Aurélie Wellenstein : La force des histoires
La force de l’œuvre d’Aurélie Wellenstein se trouve dans les univers dans lesquels elle nous conte des histoires étranges et touchantes. Rien de l’arrête, la question de la sexualité, de l’environnement, de la liberté, du souvenir… tout y passe avec une plume sobre et efficace !
Elle nous projette dans des mondes proches du nôtre mais différents par bien des aspects. Yardam, que j’adore, mérite toute notre attention car il traite de la sexualité et des MST avec une approche totalement originale : la folie est sexuellement transmissible. Et dans ce récit plus que sombre, on suit un personnage (un cambrioleur) qui est déjà infecté et qui, appuyé par un style qui se transforme insidieusement, va sombrer lentement mais sûrement dans les affres de ce vertige hallucinant qu’est la folie. Toutes les scènes sont fortes dans ce roman, ne serait-ce que dès les premières pages, le « héros » aperçoit un fou infecté qui va se suicider en pleine rue, au vu et su de tous et son regard va hanter le personnage car il y perçoit sa fin. Une vraie chair de poule à la lecture.
Et que dire de Mers mortes qui traite de la disparition des océans et de la vengeance de la Terre à l’égard des Hommes. Les océans se sont asséchés, l’Humanité ne vit plus qu’en communautés restreintes, terrifiées par la montée de marées fantômes qui déferlent sur le monde, emportant dans leur sillage les spectres des animaux marins qui arrachent les âmes des êtres isolés… Ce roman est un fantastique voyage dans un univers post-apo peuplé de monts et merveilles mais aussi de cauchemars ! Cette fois, Aurélie Wellenstein s’essaye joyeusement à l’horreur avec ses spectres qui peuvent boire les âmes et produire des zombies à leur solde, rajoutant du poids et de l’âpreté à son discours. De plus, pour les fans de Jules Verne, le pirate qui est le pivot de cette quête de rédemption de l’espèce humaine, n’est pas sans rappeler un certain Capitaine Nemo, empli d’audace et prompt aux éclats les plus fous !
La force d’Aurélie Wellenstein c’est qu’elle mélange les genres et les références pour nous offrir des univers cohérents et fouillés. On pourrait longuement parler de son hommage aux mythologies nordiques avec Le Roi des Fauves, sorte de Half-life viking mené tambour battant. Le traitement qu’elle réalise dans ses histoires et le respect de ces cultures ne fait qu’accentuer mon impatience de découvrir son prochain roman Le Désert des Couleurs, où se perdre dans le désert c’est perdre la mémoire et son identité…
3.
| Jean Krug : La parole de l’expert et de la liberté
Ahhh Jean Krug que dire d’un glaciologue écrivain qui nous parle de la glace, eh bien rien… si ce n’est le lire ! On a abondamment chroniqué sur Syfantasy son premier roman, Le Chant des Glaces mais revenons en détail sur son approche de l’écriture : l’histoire doit servir la liberté sous toutes ses formes.
Pour lui, il n’y a pas de condition à se révolter et l’Homme a le droit de rêver à plus que ce que l’on veut lui offrir, ou l’obliger à accepter. Dans Le Chant des Glaces, ses ouvriers de la glace ne sont pas de simples bêtes de somme, bonnes à disparaître, noyées ou broyées par les glaciers. Ils sont avant tout des hommes et des femmes avec des idées, des aspirations et des besoins de liberté. On le voit dans le personnage de Bliss qui n’a de cesse de se rebeller, d’essayer de mettre des bâtons dans les roues (même petits) au gouverneur de la station-prison sur laquel elle réside. Chaque action compte.
Qui dit science-fiction, dit science. Pour Jean Krug, scientifique de profession, le savoir et son partage sont essentiels pour éclairer les esprits. Elle est source de débats, d’idées nouvelles qui doivent perpétuellement remettre en cause les idées fixes et nous aider à comprendre l’Autre et soi-même. Cette idée est personnifiée dans son personnage de Jennah dans Le Chant des Glaces qui lutte encore et toujours contre la mainmise du savoir entre les mains de quelques-uns. Elle se fait le contre-pied de du mutisme et de la facilité. En portant un regard nuancé et en cherchant à sortir des carcans que l’autorité veut nous imposer, la science permet d’élever le personnage, et donc par ce biais le lecteur.
Jean Krug n’en est qu’à son premier coup d’essai mais, comme il l’a justement dit dans son interview avec nous, il reviendra avec d’autres romans, notamment sur le thème du climat et on est impatient de le lire car qui de mieux qu’un scientifique qui en voit les effets lors de ses voyages pour nous en parler !
4.
| Pierre Léauté : L’inquiétante étrangeté d’un « et si ? »
Professeur d’Histoire, Pierre Léauté raffole des anecdotes historiques mais son dernier roman Je n’aime pas les grands est très loin de la simple anecdote littéraire. Il imagine une France post-Première Guerre Mondiale qui a perdu face à l’Allemagne et la montée d’un futur tyran, Augustin Petit. Comme son nom l’indique, Augustin est petit et c’est, selon lui, la raison pour laquelle il a survécu à la guerre… Alors que tous les grands, ces salauds, faisaient dépasser leur tête des tranchées, conduisant à la défaite de la France, faute de troupes…
Avec le Parti des Plus Petits (le PPP) commence alors une montée en puissance du populisme et de l’idiotie humaine. Avec un autre texte, Guerre aux grands !, il propose une saga puissante sur Augustin Petit et la fascination des peuples pour la propagande et le « culte du chef » qui abrutit les masses avec des idées absurdes mais tellement faciles à avaler.
Les passionnés d’uchronie auront le plaisir de retrouver la France des années 20 et la montée du nazisme sauce petite taille. L’absurdité des discours et des situations nous rappellent à l’humilité que l’on doit avoir au 21ème siècle face aux erreurs de nos ancêtres. De plus, Je n’aime pas les grands se prolonge jusqu’aux années 80 pour nous rapprocher de notre réalité et nous faire de jolis clins d’œil.
La plume grinçante et pleine d’humour de Pierre Léauté est une nouvelle voix à suivre attentivement !
5.
| Luce Basseterre : La biologie et la nature dans la SF
J’ai découvert Luce Basseterre avec sa Débusqueuse de mondes où l’on suivait D’Guéba, une grenouille de l’espace, à bord de Koba, son cybersquale, un squale-cyborg gigantesque servant de vaisseau spatial. D’Guéba estensemenceuse de mondes. Elle repère des planètes isolées pour y créer une faune et une flore viable pour ses nombreux clients, très souvent des espèces qui ont beaucoup d’argent et une planète à l’agonie ! L’univers esquissé par l’autrice est vaste et rempli de civilisations absurdes pour nos codes humains, ce qui fait de la Debusqueuse de mondes un roadtrip assez déjanté, servi par la plume très sobre de l’autrice. Le style léger et fluide permet de mettre le space-opera à la portée du premier venu tout en discutant de terraformation, d’azote, d’équilibre écologique… Ce qui en fait une belle introduction à la science-fiction, ou du moins au Space-opera, à qui voudrait découvrir le genre. De plus, la fin laissait supposer une suite ou du moins quelque chose de plus dans cet univers dont la profondeur était à peine ébauchée : c’est là qu’intervient Le Chant des Fenjicks, un préquel qui revient sur les cybersquales !
Dans un passé pas si lointain, les Chalecks dominaient plusieurs peuples, dont les fenjicks, ces cybersquales qu’ils considéraient à peine plus que comme des taxis de l’espace. Mais face à leur extinction prochaine, ces squales augmentés se rebellent avec le peu d’armes qui leur restent : leur intelligence et la rancœur des autres peuples asservis. Le Chant des Fenjicks est l’occasion pour l’autrice d’avoir un propos plus dur tant dans le style que dans l’histoire : cette fois on traite de l’esclavage, des bases de la société et de l’idiotie des puissants. Les Chalecks, asexués, vivent dans un empire dont les apparences douces sont trompeuses et où le genre, pour les autres espèces dominées, aura un impact sur leur place dans la hiérarchie. De plus, ce livre a été l’occasion pour l’autrice de s’essayer à une écriture originale, qui renforce l’immersion, avec le langage épicène : mæ pour mon/ma, unæ pour un/une, li pour le/la,ciel pour celui/celle. Déstabilisant au début, on comprend vite toute la pertinence du geste face à la complexité de l’empire des Chalecks. Mais la différence avec La Débusqueuse de mondes ne s’arrête pas là ! Cette fois, l’écriture est plus dure, plus brutale avec des thèmes fotts comme la guerre et l’asservissement des corps biologiques. D’ailleurs, les épisodes de la guerre sont servis sans équivoque et sans concession…
Ces deux romans sont la marque d’une très bonne autrice car elle sait se réinventer alors même qu’elle évolue dans un même univers. Avec la Débusqueuse de mondes, le propos est fun et déjanté, tandis qu’avec le Chant des Fenjicks, il est plus terre-à-terre et plus profond. Il me tarde de lire la suite de son travail ! (et j’espère que vous aussi !)