1.
| Mark Lawrence : C’est si bon d’être méchant
Mark Lawrence est l’un des auteurs les plus prolifiques des années 2010 en Dark Fantasy. Avec ses deux trilogies dans l’Empire brisé, il a tenu en haleine toute une communauté fidèle de lecteurs ! Dans une Europe post-apocalyptique retournée au Moyen-Âge, il nous offre des personnages à l’humour noir et promptes aux actes absolument pas héroïques. Ses personnages sont des salauds mais des salauds qu’on se met à comprendre et à apprécier. Mark Lawrence arrive à nous faire aimer des anti-héros exécrables et pour cela, il mérite sa place dans ce dossier.
Seul le lecteur (et les héros, au fur et à mesure) sait que l’histoire se déroule dans une Europe post-apocalyptique, grâce à la magnifique carte qui introduit chaque roman et qui reprend les traits, légèrement modifiés, de notre bon vieux continent. Jorg Ancrath est le fils de l’un des ducs qui règne sur les restes de la France, sauf que sa mère est morte, lui est estropiée et que son père veut se remarier. Jorg gène. Jorg va donc s’enfuir et rapidement se retrouver à la tête d’une compagnie de mercenaires/bandits, à l’âge de quatorze ans seulement ! Au temps vous dire que pour être le maître à cet âge, il faut savoir s’imposer ! Et pas avec des discours larmoyants !
Jorg et ses hommes sont violents et aiment l’argent car le monde de Mark Lawrence est dur. Les duchés se font souvent la guerre, les paysans sont enrôlés de force, les nécromanciens sont toujours en quête de chair fraîche et un certain Roi Mort a pris le contrôle des Îles Noyées (l’ancienne Grande-Bretagne) et des vaisseaux remplis de morts-vivants sillonnent les mers. Mais Jorg s’en fiche royalement ! Tout ce qui l’intéresse, c’est obtenir le pouvoir et reprendre les terres qu’on lui a volées. Cependant, il reste doté d’un certain sens moral, et il n’ira jamais jusqu’à sacrifier des êtres chers (mais seulement s’ils le servent fidèlement !).
Jorg Ancrath (et Jalan, le petit-fils de la sorcière régnant sur l’ancienne Marseille et protagoniste de la trilogie de la Reine Rouge) est un de meilleurs personnages de la fantasy contemporaine. En effet, Mark Lawrence a su créer un personnage à l’image de son univers : cruel mais capable de grands moments de douceur et d’héroïsme. Sa relation avec les femmes est toujours très ambivalente. Menteur, tricheur, tombeur de ces dames, il est en opposition totale avec les personnages féminins principaux qui sont d’une volonté de fer et qui ont su s’adapter à la cour et à un univers dominé par des hommes (moyen-âge oblige !). Masculins ou féminins, les personnages de Mark Lawrence marquent les esprits et sont loin d’être archétypaux. De plus, le point de vue à la première personne de Jalan ou de Jorg permettent d’appréhender tout le tiraillement émotionnel dans lequel ils sont parfois pris, donnant des sessions d’anthologies savoureuses !
Chose curieuse, la magie existe réellement dans cette Europe post-apocalyptique (et non, il ne s’agit pas de science déguisée par l’auteur) et la raison énoncée par Mark Lawrence est tout simplement géniale et nous fait reprendre la lecture de l’Empire Brisé avec un nouveau regard. De même, les vestiges technologiques vont être explorés par les protagonistes, tout en faisant voir du pays ! (Jorg visitera l’Afrique du Nord et l’Italie ; Jalan le Grand Nord !) L’équilibre entre magie et technologie est savamment dosé, pour sans cesse nous surprendre et permettre des retournements scénaristiques extrêmement bien amenés, et (chose rare) qui servent l’histoire et l’exploration de l’univers !
Mais l’auteur ne s’est pas arrêté à cet Empire brisé sur les restes de notre belle Europe. Il a terminé récemment la trilogie du Livre des Anciens, où le beau rôle est donné à une jeune femme devenue nonne et entraînée à tuer de manière efficace et cruelle : Nona. Utilisant le flash-back et un style soigné et maîtrisé, cette trilogie nous rapporte deux histoires parallèles intimement liées et qui permettent de brosser un univers entièrement nouveau, avec de nouvelles règles sociales et religieuses, tout en montrant à quel point ses héroïnes sont bad-ass ! Cette trilogie reprend bien des codes de la Dark Fantasy, avec cependant moins de noirceur que l’Empire Brisé, en y apportant une touche humaniste et très romanesque. Une belle découverte pour les fans de Mark Lawrence, qui a eu le courage de construire un tout nouvel univers.
Mark Lawrence est incontestablement un nouveau maître de la Dark Fantasy. Foncez, promis vous ne le regretterez pas.
2.
| Blackwing d’Ed McDonald : Entre Jon Shannow et la Compagnie Noire
Blackwing est un post-apo étonnant de virtuosité tant en termes de style que d’univers. Les fans de Glen Gook seront ravis d’y trouver une patte désespérée et mystérieuse. En effet, Ed Mcdonald reprend l’imagerie d’un Mad Max avec une touche de fantasy sombre ! La trilogie Blackwing est le récit d’un capitaine dans un monde où l’Humanité est emprisonnée dans un dernier ilot de verdure, entourée de terres désolées et remplies de mutants.
Le Capitaine Galharrow est le serviteur d’un Sans-Nom, des entités semi-divines (car elles peuvent mourir) : Corbac. Il doit protéger la frontière avec la Désolation le plus longtemps possible. C’est un franc-tireur solitaire et taciturne qui a un dégoût profond de la vie, mais qui possède encore un certain sens de la justice. Et Corbac, sous la forme d’un corbeau (évidemment) le charge de protéger une magicienne qui aurait découvert que la dernière arme, qui retenait les mutants de détruire le reste de l’humanité en charpie, était inopérante ! S’enclenche alors une course poursuite et des scènes d’actions flamboyantes qui conduiront le Capitaine des Ailes Noires au cœur de la Désolation et nous fera explorer cet univers moribond.
La magie est également surprenante dans le monde d’Ed McDonald car elle se fonde sur la lumière lunaire pour ensuite être recueillie par les magiciens dans des… conserves ! Conserves qui serviront à la confection de machines de guerre surpuissantes, derniers vrais remparts à la Désolation et aux Rois et leurs mutants. L’auteur mélange ainsi fantasy et anciennes machineries pour créer une ambiance postapocalyptique où les restes de l’âge d’or de l’Humanité côtoient épées et arbalètes !
Que dire des entités qui semblent régir l’univers ? Les Sans-nom et les Rois (les maîtres des mutants de la Désolation) ressemblent à des mages devenus des demi-dieux (je ne révèlerais pas leur origine pour ne pas vous gâcher le plaisir mais quand technologie et magie se mêlent, le cocktail est souvent étonnant !). Chacun de leur côté, ils se livrent à une partie d’échec quasi cosmique et complotent même au sein de leur camp. Les Hommes et les mutants ne sont que des pions sur l’échiquier et cela se ressent dans le style de l’auteur et dans la conception des personnages. La vie et les actions du Capitaine Galharrow sont sans cesse chamboulées par les directives de Corbac et les initiatives des rois. Evidemment, certains pions se rebiffent et permettent d’entretenir le flou sur le pouvoir de ces demi-dieux…
Plus loin dans la trilogie, Ed McDonald développe toute une mythologie autour d’un personnage décédé et aborde la question de la création d’un mythe et d’un culte qui peut lui être rendu. Culte qui évidemment permettra quelques belles atrocités au nom de la foi, permettant à l’auteur de monter des complots à grande échelle pour notre plus grand plaisir !
Blackwing est une œuvre de fantasy post-apocalyptique qui n’a pas à rougir fasse à un Jon Shannow de David Gemmell, tout en brossant un portrait sombre d’une humanité acculée à travers des personnages intéressants, égoïstes et parfois compatissants, à l’image de Glen Cook et de sa Compagnie Noire !
3.
| L’Archipel des Numinées de Charlotte Bousquet : 3 cités sombres et fascinantes
L’Archipel des Numinées est une lecture dure et âpre où l’on explore trois cités sombres et fascinantes qui ont une seule chose en commun : une menace qui approche en coulisses.
Arachnae, Cytheriae et Matricia sont trois noms qui invitent aux voyages et qui prennent aux tripes. Chacune d’entre elles est une cité décadente où la mort est présente à chaque tournant et où la splendeur côtoie la misère, où la vertu se bat contre la débauche et où chaque protagoniste des romans cherche le pouvoir ou la vengeance. Toutes inspirées de grandes cités médiévales et composites de cultures différentes, ces villes vivent et bruissent au son des grandes familles et de la magie qui est omniprésente.
Chacune des œuvres évoque des histoires de femmes prises dans les mailles du pouvoir et qui doivent déjouer l’ascension d’une force encore plus perverse que la cité elle-même. Par exemple, dans Arachnae, des cadavres d'enfants torturés sont retrouvés et c’est à la belle et jeune bretteuse Théodora de faire cesser ces crimes tandis qu’une secte religieuse gangrène l’aristocratie et que les hautes-sphères se livrent à un jeu d’influence et de pouvoir dangereux pour toute la population… Chaque nouveau roman apporte une vision d’ensemble qui évoque cette menace qui gronde et attend patiemment pour frapper, et on la voit grandir lentement mais sûrement…
Charlotte Bousquet a fait ses armes dans le roman historique et dans l’imaginaire, la trilogie de L’Archipel des Numinées est le parfait mélange entre ces deux genres. La plume de l’autrice maîtrise les scènes de combat et les grands épisodes magiques. Avec un vocabulaire riche et complexe, elle brosse le portrait d’un univers vaste et qui s’appréhende lentement mais qui reste en mémoire. L'alternance systématique de points de vue encourage le lecteur à tourner de plus en plus vite les pages et à se laisser entraîner dans ces histoires de vengeance, de souffrance et d'amour.
La part belle est donnée aux personnages féminins qui sont mis en valeur par leur caractère bien trempé, leur combativité, leur loyauté mais aussi par leur perversion. Chacun des personnages s’appréhende de manière complexe et ils n’ont de cesse de surprendre. Chaque roman est l’occasion de rencontrer un nouveau personnage et d’apprendre de nouvelles histoires dans des contextes qui les ont forgées différemment. En plus des cités moribondes et fabuleuses, les personnages de Charlotte Bousquet sont un vrai atout pour l’œuvre dense qu’elle nous propose.
L’Archipel des Numinées est une sacrée saga de Dark Fantasy, riche d’un univers fouillé et d’histoires marquantes qui prennent aux tripes !
4.
| L’Ange du Chaos de Michel Robert : Vengeance et humour
Le cycle de l’Ange du Chaos est l’un des meilleurs cycles de Dark Fantasy de ces dernières années (et en plus il est français) ! Avec le personnage de Cellendhyll de Cortavar, Michel Robert nous offre un personnage à la personnalité complexe mû par un profond désir de vengeance et au cœur d’une machination cosmique.
Comme dans l’œuvre de Moorcock, le monde est régi par la Lumière, les Ténèbres, et, au milieu, le Chaos. Plusieurs plans sont soumis à ces puissances et elles comptent bien étendre leur influence au dépend des autres ! Cellendhyll était un champion de la Lumière qui a été trahi par ses amis jaloux et manipulateurs. Recueilli par la Chaos et devenu l’agent le plus efficace de son maître, il se fait désormais appeler l’Ange du Chaos. Dix ans après la trahison, il réclame vengeance et l’archimage du Chaos va la lui accorder en l’envoyant éviter une guerre contre les Ténèbres et la Lumière, et s’il peut faire le ménage au passage, il fermera les yeux !
Michel Robert nous promet de l’action avec le cycle de l’Ange du Chaos car tel n’est-il pas le but du Chaos ? Cellendhyll est désabusé et effectue les tâches (souvent violentes) qu’on lui confie sans rechigner. Ses idéaux de paix sont loin derrière lui (bien qu’il ne soit pas dénué d’une certaine noblesse face à l’injustice) et ses années sur le terrain lui ont appris que même les chevaliers de la Lumière pouvaient être des salauds prêts à abuser de leur pouvoir. Cette vision non-manichéenne, Michel Robert nous l’expose d’entrée de jeu avec des personnages de la Lumière intéressants et égoïstes, même si, bon, un démon reste un démon, les nuances sont subtiles et les archétypes ne sont pas si tranchés. Le premier tome nous apprend au compte-goutte le passé de l’Ange du Chaos, sans user et abuser des flash-backs qui pourraient devenir lassants. Ce qui implique que le reste du cycle est entièrement tourné sur l’avancée de l’Ange du Chaos sur le chemin de la puissance et dans l’exploration de l’univers. Donc pas de flash-backs scénaristiques qui viennent chambouler gracieusement le scénario, et ça, c’est génial !
L’univers des plans du cycle est vaste et rempli de traditions, et les factions sont nombreuses (rassurez-vous l’auteur les amènent en douceur et de manière fluide). Même au sein de la maison du Chaos, l’entente ne règne pas et les enfants de l’archimage conspirent les uns contre les autres en quête de savoir et de puissance, bien que l’affection qu’ils se portent modère leurs actes. Avec les personnages du Chaos, Michel Robert arrive à créer de l’ambivalence et de l’incertitude perpétuelle, ce qui apporte à l’histoire de beaux retournements de situation !
Deux personnages sont mes coups de cœurs du cycle : Gheritarish et le légat des Ténèbres Leprin. Gheritarish est un Loki, un être de magie à la peau bleue, qui aime vivre et ripailler. Magiquement doué d’une force surhumaine, il prend toutes les difficultés avec humour et légèreté, avant de massacrer ses adversaires. Une vraie pépite. Tandis que le légat des Ténèbres est une véritable enflure, un courtisan prêt à tout pour prendre le pouvoir et qui sait tirer les ficelles dans l’ombre. Il nous introduit la faction des Ténèbres et nous montre à quel point elle est puissante MAIS désorganisée…
L’Ange du Chaos est un vrai plaisir à lire car on s’attache rapidement aux personnages sombres et flamboyants. Une vraie réussite !
5.
| Berserk de Kentaro Miura : Sang et désespoir
Publié en 1989, Berserk est la plus vieille création de Dark Fantasy de ce top de « petits nouveaux ». Dessiné par Kentaro Miura, Berserk raconte l’histoire de Guts, un guerrier maudit qui parcoure le monde pour massacrer des créatures. Il possède une marque sur la nuque qui attire les monstres, ce qui l’oblige à combattre toutes les nuits. A force, il devient presque fou et l’un des meilleurs guerriers du monde en devenant progressivement un berserker obsédé par le sang et les batailles.
Le mangaka nous offre également des moments de flashbacks (l’arc dit de l’âge d’or) où Guts enfant essaye de survivre dans un univers médiéval impitoyable car il fait partie d’une compagnie de mercenaires : la bande du Faucon, invaincue sur le champ de bataille. Berserk vise à être réaliste et aborde donc tous les aspects de la vie d’un mercenaire : la mort, le deuil, la vengeance, la peur, l’argent et la camaraderie. Mais ça c’était avant. Guts n’a pas trouvé la paix et la sécurité en grandissant, il a trouvé encore plus de noirceur dans ce monde et cherche une rédemption illusoire en massacrant des monstres. En cela, on retrouve le personnage solitaire de Solomon Kane. Berserk explore donc l’âme humaine et explique comment un monde de terreur engendrera toujours le Mal. Le mangaka pose aussi la question du destin et du tiraillement intérieur entre l’accomplir et voir périr des êtres proches ou trouver une autre voie.
Berserk tranche avec les mangas de fantasy médiévale habituels car le héros est réellement sombre, à l’image de l’univers dans lequel il évolue. Personne n’est doux et gentil et sauvera la princesse. Les dessins de Kentaro Miura nous révèlent des scènes chargées de corps et où on l’on ressent toute la fureur des batailles. Les batailles sont monstrueuses et démesurées (Berserk a son équivalent français avec les Chroniques de la Lune Noire). Les créatures dessinées merveilleusement biens par le mangaka font froid dans le dos, et ne se contentent bien souvent pas de simplement manger leur adversaire.
Le mangaka puise ses influences dans de grandes œuvres de Dark fantasy comme Solomon Kane de Robert E. Howard, héros qui semble possédé dans les romans, ou encore toute la bibliographie de Clive Baker (et notamment le célèbre Hellraiser), et évidemment la saga d’Andrzej Sapkowski et son sorceleur ! L’univers est rempli de corruption, de noirceur et de faibles massacrés sur l’autel du pouvoir, qui sont tous des traits caractéristiques de la Dark Fantasy. Le désespoir que produit ce monde est tel que Kentaro Miura a créé les Apôtres, des êtres maléfiques précédemment humains et qui ont tellement soufferts qu’ils décidèrent de pactiser avec le Mal pour survivre.
Et Berserk c’est aussi un dessin exceptionnel. Les décors sont grandioses, détaillés et invitent au voyage, comme seule la fantasy le permet, grâce au gigantisme des bâtiments et des œuvres de la nature. Dessin à double tranchant car les monstres sont tout aussi effrayants ! Et ses personnages transpirent la vie dans chacune de leurs poses, exprimant des états d’âme forts, touchants, violents…
Berserk est riche et fascinant. Si vous devez lire un manga de Dark Fantasy c’est bien celui-là !