1.
| Hawkmoon de Michael Moorcock : Un classique de la science-fiction et de la fantasy.
Michael Moorcock est un des plus grands auteurs de fantasy du 20ème siècle. Sa plus brillante saga est celle de l’Empereur albinos déchu, Elric de Melniboné. Pourtant, son imagination est vaste et d’autres Champions Eternels, comme il surnomme ces envoyés de la Balance Cosmique qui régit toutes choses, ont également leur place dans le panthéon des grands héros de la fantasy. Dorian Hawkmoon est l’un d’eux.
Dorian Hawkmoon est le duc de Köln au cœur d’une Europe plongée dans le Tragique Millénaire. Entre moyen-âge et science balbutiante selon les continents, il va s’opposer à l’empire de Granbretanne qui désire conquérir l’Europe ! Il sera le porte-étendard de la Rébellion et son combat se laisse porter par un souffle épique caractéristique de la plume de Michael Moorcock. Cette plume s’accompagne également d’une narration épurée qui met d’autant plus en avant des scènes de violence assez rares et des descriptions splendides de cette nouvelle France.
Car oui, pour citer Vincent Zimmermann et Olivier Durand, « on est chez nous », la France est divisée en dizaines de duchés qui suivent les tracés des anciennes régions. La Kamarg est exceptionnelle, bien que brièvement exploitée, car on y retrouve les références du passé mais avec une faune qui a évolué en profondeur !
Fidèles à eux-mêmes, les Granbretons (les nouveaux Anglais), cherchent à mater la France et ils sont aider en cela par une technologie militaire supérieure, avec notamment des zeppelins. L’auteur accentue cette impression futuriste granbretonne avec notamment Huon, leur empereur, qui est immortel et vit dans une cuve (comme s’il le maintenait en vie). Tandis que la fibre fantasy de l’œuvre est entretenue, de son côté, par leurs nombreux ordres qui obligent leurs membres à porter le masque représentant leur Esprit « totem » (comme par exemple un masque de loup). Et ce même masque, plus il sera enfilé, plus le porteur adoptera un comportement proche de l’animal lui-même, conférant une dimension magique à ces reliques étranges.
Mais, je préfère laisser la parole aux experts (Vincent Zimmermann et Olivier Durand, qui ont travaillé sur Hawkmoon, afin de l’adapter en jeu de rôle) pour vous parler de cet univers foisonnant. SyFantasy a eu la chance de les interviewer pour notre podcast dédié à ce bijou de la fantasy ET de la science-fiction :
Hawkmoon est un must-have pour tous ceux qui désirent découvrir le patrimoine de la fantasy et de la science-fiction !
2.
| La Ballade de Pern d’Anne McCaffrey : Une réflexion sur le temps et les civilisations.
La Ballade de Pern d’Anne McCaffrey est une des œuvres les plus intéressantes en science-fantasy car, à travers ses romans sur la planète Pern, elle nous montre la lente régression de l’être humain doté de technologies de pointe vers une société moyenâgeuse qui transforme le passé en mythe. Une véritable fresque temporelle et humaine.
Des milliers de colons humains ont trouvé refuge sur Pern, une planète très riche semblable à la Terre. Leur ambition est de ne plus commettre les erreurs terriennes à cause de la technologie et donc d’abandonner progressivement le confort (mais aussi les risques) induit par la science de pointe ! Chaque roman nous conte donc l’histoire d’habitants de Pern à des époques différentes (l’autrice se propose soit de remonter le temps soit de faire des avancées de plusieurs siècles !), qui sont confrontés à un ennemi venu de l’espace et qui prend la forme de filaments destructeurs : le Fils.
Pour combattre cet être venu de l’extérieur (presque devenu un dieu pour les néo-humains qui ont retrouvé des systèmes de croyances archaïques), cette nouvelle humanité va se faire aider de dragons. Des dragons ? Du moins, ce qui se rapproche le plus de la créature légendaire terrienne. Ces gigantesques lézards seront chevauchés par des chevaliers spécialement sélectionnés pour communiquer avec eux. L’occasion pour Anne McCaffrey de développer une approche intéressante avec l’environnement de Pern : la symbiose. En biologie, cette symbiose correspond à l’association entre plusieurs organismes qui est à leur bénéfice mutuel, voire qui peut être indispensable à leur survie. Cette symbiose se ressent dans chaque action des personnages, qui développent des pouvoirs psy, donnant une sensibilité très touchante avec l’environnement et les créatures qui le peuplent.
Anne McCaffrey réussit un véritable tour de force avec pas moins de 25 romans tout en nous proposant des personnages tous très marqués et intéressants. Admirablement écrit, chaque roman apporte sa pierre à l’édifice Pern et les bonds temporels font de Pern un laboratoire social, où l’autrice invite à réfléchir sur l’effet du temps sur les idéaux et l’importance de petits actes. En effet, l’évolution des mœurs qu’elle met en scène (comme la perte progressive de la place des femmes à mesure que la société perd la technologie) se produit en plusieurs générations et non en une ou deux seulement…
La planète est un personnage à part entière de l’œuvre et est particulièrement mise en avant par ses descriptions magnifiques et presque oniriques, qui viennent compenser des scènes d’actions très violentes et très rythmées. Comme pour maintenir l’équilibre et l’harmonie sur ce nouveau refuge de l’humanité… Toutes les créatures qui ont germé de l’imagination de l’autrice sont captivantes, de même que celles apportées dans les valises des colons terriens, comme par exemple, des dauphins dotés de pouvoirs psychiques et qui aideront les humains dans leur lutte contre le Fils.
La Ballade de Pern est un classique de la science-fantasy qu’il faut lire pour constater les ravages du temps sur une civilisation et explorer une planète captivante qui nous vient tout droit de l’imagination de l’une des plus grandes autrices du genre.
3.
| L’Empire du silence de Christopher Ruocchio : L’Odyssée de l’Espace, la vraie.
On a beaucoup encensé la saga du Dévoreur de Soleil de Christopher Ruocchio sur SyFantasy et à raison car cette saga se pose en concurrent littéraire de Star Wars. La religion, la philosophie, les combats spatiaux et l’attachement émotionnel au héros principal en font une belle fresque de science-fiction ! L’auteur nous conte l’histoire d’Hadrian Marlowe, un illustre général mais aussi un terrible traître dans un empire galactique proche culturellement de l’empire romain.
Hadrian a plus de 1000 ans et décide de coucher sur papier sa vie et d’expliquer son geste d’assassiner l’empereur, alors même qu’il était le plus grand général de l’empire. Tout commence par une adolescence au sein de l’une des plus grandes maisons nobles de l’Empire, jalonnée par un père froid et calculateur, et un frère colérique et arrogant. Comme Hadrian n’a été jugé digne d’hériter de la planète régie par sa maison, son père le destine à la Fondation. Fondation qu’Hadrian méprise profondément car elle est à l’origine de tous les dogmes religieux xénophobes et eugénistes de l’Empire. Pour échapper à ce destin, il tente de s’enfuir clandestinement mais les contrebandiers qu’il engage le trahissent et il se retrouve donc aux confins de l’Empire sur une planète quasi moyenâgeuse. Comme il ne peut utiliser son rang pour se sortir de ce guêpier, au risque d’attirer l’attention de la Fondation et de ses inquisiteurs, il va survivre dans la rue et découvrir les coulisses sombres et glauques de son empire.
Il sera gladiateur, mendiant, mercenaire, légionnaire, diplomate… Il aura mille vies, et chacune d’entre elles nous permet d’apercevoir une facette étonnante de l’univers. L’auteur réalise ainsi un savant mélange entre mythe arthurien (la Fondation créant le mythe d’une Albion/Angleterre/Terre), peur des machines et des intelligences artificielles (après une guerre ayant quasiment annihilé l’humanité) et thriller. Où peut se placer le thriller dans un récit d’aventures me direz-vous ? Eh bien dans ces ruines étranges qui étaient là avant même l’arrivée des colons ou des aliens ; ruines d’une civilisation perdue qui fascinent Hadrian et qui, selon son moi du futur, auront un impact sur l’histoire de la galaxie toute entière.
La fantasy se retrouve dans toutes les touches caractéristiques du genre : les monstres technologiques devenus des êtres de légende et les grands méchants des contes pour enfant, la science de la Fondation prenant des dimensions magiques pour le commun des mortels, les grands guerriers sont des bretteurs et non des soldats à la Starship Troopers…
On a souvent comparé la saga à celle du Nom du Vent de Patrick Rothfuss car elle cherche à déconstruire les légendes, grâce à l’acteur de celle-ci. La véritable histoire, celle qui dépasse les rumeurs et les exagérations, fait d’Hadrian un personnage génial, touchant, naïf, volant de désillusions en désillusions. On veut le suivre, on veut le connaître plus intimement et comprendre les motivations qui l’ont poussé à trahir. Le tout est porté par un style à la première personne très intimiste, passant en revue les joies et les douleurs d’Hadrian. On s’attache indéniablement à cet homme qui a vécu mille vies !
Après avoir lu la dernière page, on en redemande sans cesse car la galaxie de Christopher Ruocchio est une véritable Odyssée pleine de surprises.
Pour notre avis sur le premier tome de la série, c’est par ici.
Pour notre avis sur le deuxième tome de la série, c’est par ici.
4.
| Niourk de Stefan Wul : La science-fantasy primitive.
Avec Stefan Wul, New York devient Niourk et l’Humanité est revenue à un état primitif. Au XXème siècle, une catastrophe nucléaire a détruit toutes les civilisations qui étaient restées sur Terre. Cinq siècles plus tard, Alf est le seul enfant noir de sa tribu et évidemment sa tribu voit sa différence comme une malédiction. Le chaman, dit Le Vieux, décide de se rendre dans le domaine des dieux, Santiag de Cuba, et annonce que quand il reviendra, l’enfant noir devra mourir. Sauf qu’il ne revient pas ! De peur d’être tout de même mis à mort, Alf décide de braver l’interdit et de retrouver le chaman. L’occasion pour Stefan Wul d’explorer les ruines de notre civilisation !
L’auteur nous raconte une Terre très proche de la nôtre mais qui a muté et évolué sans la main de l’Homme. Le nucléaire notamment, grand sujet de débat dans les années 50, est vu comme un outil évolutif par l’auteur. Grâce ou à cause des radiations, les pieuvres ont muté pour donner vie à un peuple de pieuvres télépathes et endurantes qui se mettent à chasser les humains. Mais ces radiations sont mortelles pour les autres êtres vivants, créant lentement un nouvelle espèce primitive supérieure.
Les villes du XXème siècle sont laissées à l’abandon. Santiag de Cuba ou Niourk sont des sanctuaires qu’aucune tribu ne se permet de violer ! Et quand Stefan Wul nous fait prendre brièvement le point de vue du Vieux, le chaman, qui se dit recevoir des visions des dieux, est en fait totalement soûl ! Et les visages qui lui parlent dans une langue qu’il ne comprend pas ? Des écrans publicitaires toujours en marche ! Alf, plus intelligent que la moyenne va comprendre tout cela et lentement déconstruire son système de valeur. L’émerveillement presque magique devient une désillusion profonde et permet à l’auteur de développer une réflexion sur le divin, la spiritualité et la construction de nos codes moraux.
La cohabitation entre tribalisme et fantômes technologiques fait de Niourk une œuvre étonnante et qui est magnifiquement servie par une plume sobre et précise qui n’a pas pris une ride. On s’attache à ce petit garçon, mis à l’écart de tous, et qui va cohabiter avec un ours lors de ses aventures (je vous cache la raison, pour ne pas gâcher la surprise !) pour en faire son seul ami. On s’émerveille en même temps que lui, et on l’accompagne avec plaisir dans son exploration fascinante (et foisonnante). De plus, le style laisse un champ des possibles à notre imaginaire pour peupler notre Terre de décors étranges et familiers.
Si vous voulez commencer la science-fantasy avec une approche plus « tribale » avec une humanité primitive vivant sur les restes de son âge d’or, Niourk est fait pour vous. Stefan Wul a cette faculté unique de créer une frontière poreuse entre rêve, magie et science.
5.
| Le cycle de Lanmeur de Christian Léourier : Le bijou français.
Monument de la science-fiction française, le cycle de Lanmeur est un bijou de science-fantasy car il nous plonge au cœur de civilisations anciennes et dépaysantes, qui se sont essaimées dans toute la galaxie.
Sur la planète Lanmeur, le voyage spatial est désormais possible. C’est le temps des grandes découvertes et de l’exploration spatiale ! Et les Lanmeuriens ont la surprise de découvrir d’autres humanités s’épanouissant dans l’univers ! Mais aucune n’a développé la technologie spatiale, alors, sous couvert de vouloir fédérer l’humanité sous sa tutelle, Lanmeur va se constituer un véritable empire colonial. L’idée d’intégrer ces civilisations à son propre empire s’inspire directement du colonialisme occidental du XIXème siècle et de ses travers !
Christian Léourier va ainsi créer un ordre de missionnaires dédiés au Rassemblement, envoyés sur ces mondes plus ou moins avancés, et rappeler les colons/missionnaires qui « apportent la civilisation et le progrès » aux autochtones arriérés, ce qui permet à l’auteur de faire naitre des conflits et germer des chocs civilisationnels. Et en multipliant les points de vue, il brosse des portraits en demi-teinte : les Lanmeuriens impérialistes apportent beaucoup de bienfaits à de nombreuses civilisations mais enclenchent des processus d’acculturation qui font s’écrouler les bases de mondes entiers !
Chaque roman est l’occasion de découvrir des civilisations archaïques peuplées de superstitions et bâties sur des systèmes sociaux totalement différents des nôtres, ce qui créé un réel sentiment de dépaysement. Certaines nous paraîtront exotiques, tandis que d’autres tyranniques et fanatisées, et l’auteur s’est efforcé de toutes les différencier avec des systèmes de castes, de rites ou de constructions sexuelles opposées !
Le cycle de Lanmeur est un road-trip qui explore tous les chemins possibles qu’aurait pu emprunter l’Humanité dans son évolution. En confrontant technologie et peuples archaïques et primitifs, Christian Léourier propose un chef-d’œuvre de la science-fantasy politique et sociale.