On peut définir la Science-Fiction comme la branche de la littérature qui se soucie des réponses de l'être humain aux progrès de la science et de la technologie.
Passioné par la connaissance, Isaac Asimov a écrit avec une grande clarté plusieurs centaines d’œuvres dans tous les domaines du savoir. Dans la science-fiction, on le retient notamment sur deux cycles magistraux qui ont forgé le genre et influencent la science même encore aujourd’hui : Fondation et Les Robots. 50 ans avant tout le monde, celui qu’on surnommait le Bon Docteur, avait anticipé nombre des évolutions technologiques de notre temps.
La science-fiction de l’époque est née par le pulp, au départ consacré aux histoires de jungles ou de combats épiques, et c’est par ce biais, dans les années 20, qu’il a appris à construire son imaginaire (il se cachait même de son père qui ne voyait là-dedans que de la sous-littérature). On doit beaucoup à ce premier genre de l’imaginaire, auquel cas nous n’aurions jamais pu découvrir ce grand-maître de la SF qu’est Isaac Asimov. Alors en 1942 quand sort Fondation, personne n’a jamais vu ça.
Dans ces deux chef-d’œuvres, il imaginait des mondes où la technologie était au service de l’homme et non à l’origine de sa destruction. Dès 1964, il imaginait déjà les appels en visio-conférence permettant de communiquer à travers toute la galaxie…
A la question qui brûle les lèvres de celui ou celle qui n’a jamais essayé de lire Asimov, oui la lecture est très facile d’accès et le texte n’a pas vieilli ! L’auteur possède un style très clair, travaillé et sans fioriture qui lui permet de traiter de concepts avec plusieurs strates de lectures qui nous font revenir sans cesse sur l’œuvre.
Au même titre qu’Arthur C Clarke, il s’est basé sur des revues scientifiques pour développer les concepts de ses romans. A cette époque, la science-fiction s’inscrit dans le développement de la science (l’imaginaire prend le pas sur la science, en se basant sur des présupposés scientifiques rigoureux, contrairement à l’œuvre de Philip K. Dick qui invente). Les passionnés d’hard science y trouveront donc leur compte dans ces deux cycles d’ampleur.
Les auteurs de science-fiction prévoient l'inévitable, et bien que les problèmes et les catastrophes puissent être inévitables, les solutions, elles, ne le sont pas.
Le cycle de Fondation raconte la chute d’un Empire Galactique, suivi par des années d’interrègne et de barbarie à l’échelle galactique. Le modèle que suit Isaac Asimov est directement inspiré de l’analyse historique de la chute et de la décadence de l’empire romain réalisée par Edward Gibbon.
Entre 1941 et 1949, il écrit les nouvelles qui composeront son œuvre majeure qu’il appellera plus tard Fondation (Prix Hugo de « La meilleure série de tous les temps »). C’est d’Histoire avec un grand H dans Fondation car il s’inspire de la chute de l’empire romain pour nous raconter celle d’un empire inter-galactique aux pieds d’argile. Sur Trantor, au centre de la galaxie, l’Empire est au sommet de sa puissance pourtant Hari Seldon annonce sa fin. Personne ne croit cet illuminé qui a inventé la « psycho-histoire », une science qui, selon lui, permettrait de prévoir les mouvements des peuples mille ans en avance.
Crédit illustration : Michael Whelan
Hari Seldon aura raison. L’empire s’effondra pour de nombreuses raisons comme le despotisme, la corruption, la mauvaise répartition des richesses ou encore la disparition du sentiment de curiosité (les gens n’ont plus de frontières à explorer et à dépasser). Mais la chute est lente, Seldon va donc créer Fondation, une entité représentée par une colonie aux confins de l’Empire qui, forte de la connaissance psycho-historique, prendra le contrôle d’une partie de la galaxie. Cette Fondation fera toujours face à des crises, qu’elle devra surmontée pour être plus forte.
Deux clés sont capitales à la compréhension de Fondation d’Asimov : les forces historiques et la psycho-histoire. Inventée par Hari Seldon, cette science de modèles comportementaux des peuples (et non de l’individu) peut prévoir la chute de l’Empire mais aussi les futurs conflits avec les chefs de guerre qui jailliront de ses restes, ou encore les graves crises sociales… L’idée de cette science est notamment d’aider à réduire les conflits ou d’amoindrir les phases d’anarchie en infléchissant légèrement l’Histoire dans le sens que l’on souhaite.
Crédit illustration : Michael Whelan
Asimov traite également dans son œuvre de la question politique. Le Premier Empire est despotique, ultra-centralisé avec un règne pyramidal (qu’on retrouve dans Star Wars) et la chute vient de la centralisation qui n’arrive plus à gérer un empire si étendu, entraînant la dislocation. Le Second Empire, celui de la Fondation, imaginé par Asimov, est un empire fédéral, avec une plus grande autonomie entre les planètes. Si la psycho-histoire avait été inventée bien plutôt, l’empire de Trantor aurait pu tenir face aux événements qui allaient venir l’achever, en orientant ses politiques vers un avenir meilleur. Mais l’arrogance des régnants est aussi en jeu dans l’œuvre de Fondation : devant les preuves scientifiques, ils préfèrent se tourner vers les gloires du passé et se convaincre qu’ils sont invincibles.
Jusqu’à ce que la tempête le fende en deux, l’arbre pourri a toute l’apparence de la santé
Marionnette des mouvements sociaux, l’Homme d’Asimov enclenche une réflexion sur le déterminisme et les « accidents » qui peuvent survenir dans le déroulement qui semble immuable. Le personnage de la Mule, un individu doté de pouvoir psychique, va chambouler les plans de Seldon et ses prévisions de plusieurs siècles. Il est la faille dans la science de la psycho-histoire : l’individu. Et cela sera à la Seconde Fondation (une entité secrète) de corriger les errements pour que le nouvel empire atteigne son âge d’or.
Pour réussir, il ne suffit pas de prévoir. Il faut aussi savoir improviser.
A voté (au Passager Clandestin) est une nouvelle qui réduit l’élection américaine a un seul et unique votant, celui qui cristallise le plus l’Américain moyen et cela est permis par des analyses rigoureuses des masses et des sondages, contrôlées par un ordinateur souterrain et totalement impérialiste dans sa manière d’aborder les humains, la politique et les Etats-Unis. En rentrant toutes les données qui font ce qu’est l’Amérique, on désigne un votant, qui manifestera son avis sur la politique et ses envies ce qui permettra de choisir le président pour les années à venir. Nouvelle écrite bien après les premiers romans du cycle de Fondation, cette mise en branle de la science au service de la politique et de la Nation est bien au cœur de nombres de des écrits d'Asimov et relativise le bien-fondé, à mon sens, de cet usage de la science pour prévoir ce qui sera, car son usage n’est pas toujours bienveillant (bienveillance qui se retrouve pourtant dans les bases même de l’idéologie des Fondations d’Asimov).
En fait, en développant des outils permettant d’orienter les masses vers l’avenir que l’on souhaite, le détenteur du modèle mathématique en question possède un pouvoir sans précédent. Et comme l’on connaît la tendance de l’Homme à l’égoïsme, on obtient des scandales comme ceux de Cambridge Analytica, où un modèle mathématique a permis l’élection d’un président américain grâce aux données sur Facebook qui lui ont été fournies afin de dégager une tendance…
Le problème de Fondation, mais qui est aussi sa force, c’est la foi qu’avait Isaac Asimov en l’humanité, qu’il supposait éclairée et orientée vers le désir de bien-faire et ainsi retrouver un Âge d’or perdu…