1.
| Qui a inspiré Asimov ?
Parmi les plus éminents auteurs de son temps, Isaac Asimov a marqué son époque et la science-fiction de sa patte. Des auteurs contemporains s’inspirent encore de son travail sur la robotique, la chute des empires et le contrôle des masses pour, soit reprendre ses thèses, soit les battre en brèche. Que l’on soit détracteur ou fan, la science-fiction d’Asimov fait parler d’elle, signe qu’il est l’un des plus grands auteurs de science-fiction encore à ce jour.
Mais pour comprendre Asimov et son impact, il faut revenir en arrière. Revenir sur tous ceux qui ont posé les jalons de la science-fiction comme Jules Verne et H. G. Wells. Jules Verne est le père de cette proto-science-fiction que l’on appelle aujourd’hui le merveilleux scientifique. De la Terre à la Lune raconte l’épopée délirante d’artilleurs et de scientifiques qui ont le rêve complètement fou d’atteindre la Lune grâce à un obus tiré depuis la Terre. Jules Verne conte ici le premier « voyage spatial » sur des bases scientifiques. Voyage qui sera adapté par George Méliès au cinéma en 1902 dans son Voyage dans la Lune avec l’image que nous avons tous en tête de la Lune percée par un obus ! C’est grâce à Jules Verne et à sa plume que l’on doit cette envie renouvelée d’atteindre les étoiles et d’explorer la galaxie (à l’époque totalement inimaginable car l’avion n’était même pas encore né !).
H.G. Wells, quant à lui, va se frotter à l’avenir lointain et à la rencontre du troisième type ! Avec La Machine à explorer le temps, il esquisse une Terre 800 000 ans après notre ère où les Hommes ont muté en deux espèces distinctes : les Eloïs, des êtres parfaits vivants sur une surface paradisiaque, et les Morlocks, des singes mutants travaillant sous terre pour rendre le paradis possible. Pour Wells, le Temps fera des ravages sur nos sociétés, conduisant à un nouvel ordre (qu’il voit clairement d’un mauvais œil) et à une hiérarchisation des nouveaux Hommes. Ce thème sera plus que présent dans l’œuvre d’Asimov où la science aura permis de grandes choses mais déconstruira nos modèles.
Avec Les Premiers Hommes dans la Lune ou encore La Guerre des Mondes, l’auteur s’efforce de confronter l’Humanité à ce qui lui est radicalement opposé. Que cela soit les Sélénites sur la Lune ou les Martiens envahissant la Terre, chacune de ces deux espèces ne peut rencontrer l’Humanité que par le conflit et la guerre. L’Homme a toujours de la chance d’en réchapper presque indemne car (évidemment) l’Homme est supérieur à tout ce qui peut le menacer. Curieusement, cette menace extra-terrestre, Isaac Asimov ne l’évoquera que très peu dans l’ensemble de son œuvre (elle est implicite dans Terre & Fondation mais sans être détaillée). De Wells, Asimov gardera cette force de l’Humanité et ses évolutions presque eugénistes en vue d’atteindre l’abondance et la perfection, pour un avenir meilleur.
2.
| Fondation & Robots : les grandes heures de la SF
Isaac Asimov a grandi dans les années 1920 – 1940 : les romans de science-fiction tels que nous les connaissons aujourd’hui n’existaient pas encore. De même, les dernières avancées scientifiques n’étaient pas aussi connues du grand public. Jusqu’aux années 60, l’auteur de science-fiction utilisait la science comme un ressort scénaristique. C’est encore plus criant jusqu’aux années 50 où les revues de nouvelles de fantasy et de science-fiction laissaient peu de place aux auteurs pour détailler leurs histoires. C’est avec Astounding Stories, une revue spécialisée dans les nouvelles de science-fiction que le jeune Isaac Asimov fait ses armes. Le mot d’ordre : simplicité et concision. Même le succès de ses romans ne le fait jamais déroger à cette règle, presque de vulgarisation du jargon scientifique : ses histoires sont faciles d’accès tout en anticipant de nombreuses révolutions scientifiques. Ce n’est pas dans les textes d’Asimov que vous retrouverez des détails à n’en plus finir sur telle ou telle technologie, ce qu’on appelle aujourd’hui la Hard Science. Ce qui importe à l’auteur c’est l’humain. Lui et lui seul face aux changements induits par la science. Son œuvre est résolument de la science-fiction politique et sociale !
Le cycle de Fondation voit le jour dans les pages d’Astounding Stories en 1942 et le succès est immédiat dans une Amérique rongée par les nouvelles de la guerre en Europe. Sa force fut de proposer une utopie qui se construit sous les yeux du lecteur, plutôt que des dystopies ou des univers post-apocalyptiques sous le contrôle d’immenses conglomérats économiques. Fondation parle à tous : un Empire est sur le point de s’écrouler et seuls quelques élus peuvent promettre une utopie lointaine mais certaine grâce à la science. Cette science c’est celle de la psychohistoire, inventée par Hari Seldon afin de prévoir le comportement des masses. L’Empire de Trantor est à son apogée et pourtant le scientifique est convaincu de sa chute prochaine. Exilé, il monte une fondation aux confins de l’Empire afin de reconstruire l’Empire sous une forme plus prospère. Le maintien de cette fondation face aux événements parfois imprévisibles est tout l’objet de sa série.
Pour Fondation, Asimov s’inspire du travail d’Edward Gibbon sur la chute de l’empire romain. D’après Hari Seldon, la psychohistoire peut prédire le mouvement des masses : révoltes, émergence d’une nouvelle religion, crises économiques… Les mathématiques, grâce aux statistiques, sont la clé pour comprendre l’avenir. Contrairement à Wells ou encore Jules Verne, la science dure et son application constituent le salut de l’Humanité tout en étant un superbe atout scénaristique ! Mais Asimov est bien plus qu’un scientifique, il s’adresse aussi aux sciences sociales comme l’Histoire ou la Sociologie (il aurait déclaré en interview regretter son choix de Psycho-histoire au profit de Psycho-sociologie). Cette utilisation de la science dure en science-fiction pour expliquer les phénomènes sociaux, nous la devons à Isaac Asimov (et aux auteurs d’Astounding Stories soutenus par Campbell).
Fondation exerce une influence bien plus grande que l’on ne le croit : son décor inspire tant les auteurs de science-fiction qu’ils ont du mal à s’en détacher. Bien que l’auteur imagine un univers bienveillant et tourné vers le progrès, il est indubitablement despotique et centralisé. Bien que le Second Empire évoqué dans sa série Fondation se construise autour d’une fédération (choix logique pour un auteur américain), l’Empire de Trantor est centralisé, despotique et belliqueux. Tout comme l’Empire romain avant lui… Regardez bien vos plus grandes séries de science-fiction où l’Humanité a conquis l’espace des millénaires après notre temps. Dune de Frank Herbert, Star Wars de George Lucas… tous ont au cœur de leur intrigue un empire incarné par une figure forte et autoritaire ! Même le Second Empire d’Asimov est dirigé en sous-main par un petit groupe d’individus qui donne l’illusion au peuple d’une démocratie… Pourtant foncièrement optimiste, Isaac Asimov infantilise l’humanité future. Seuls ses héros possèdent encore une once de libre-arbitre. Evidemment, en réponse à ce modèle arrivèrent nos grandes sagas de rébellions intergalactiques (Star Wars notamment) qui viennent lutter contre cette organisation impériale et despotique. Asimov a su imposer le modèle impérial dans la science-fiction dont le space opera a encore du mal à se détacher (à la place, les auteurs proposent des empires déguisés dirigés par des conglomérats économiques).
Infantilisation que l’on retrouve également dans son cycle des Robots. Dans ce cycle, les humains vivent au crochet des robots qui les guident. Bien antérieur du moment où se déroule l’action du cycle de l’Empire ou de Fondation, les enquêtes d’Elijah Baley en compagnie d’un robot qui se met progressivement à apprendre de l’être humain et de ses vices sont un moyen détourné pour l’auteur d’annoncer son utopie à venir. Asimov est confiant en la technologie robotique, presque trop. Il considère qu’ils sont l’avenir pas seulement de l’Homme mais de l’univers, les robots seront supérieurs car, pour lui le robot est bon grâce aux lois. Voici les 3 lois de la robotique :
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Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, en restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger.
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Un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la Première loi.
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Un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la Première ou la Deuxième loi.
De prime abord, il semble que ce sont les Hommes qui ont le pouvoir. Mais il n’en est rien. Ce sont les premiers robots télépathes qui décident, dans l’intérêt supérieur de l’humanité, de la mettre sur la voie de l’expansion galactique. Ce sont les robots qui sont à l’initiative de l’Empire puis des événements qui dicteront la Fondation (élément scénaristique intéressant dans la série Apple car il est d’emblée mis en avant, et non comme à la fin du cycle littéraire de Fondation). Tout cela est rendu possible par la Loi Zéro, elle-même implantée par les robots dans leur matrice. « Un robot ne peut pas faire de mal à l’humanité, ni, par son inaction, permettre que l’humanité soit blessée »
C’est grâce à la loi zéro que l’optimisme est possible car l’Homme est faible selon Asimov. Il a besoin d’une conscience qui le dépasse et qui peut voir plus loin que lui-même. L’une des voies envisagées pour l’Humanité par les robots, dans Fondation, serait de créer une méta-conscience à l’échelle de l’univers : Galaxia. Un tout unique, une seule conscience globale, un super-organisme à l'échelle galactique qui est directement inspirée par l’hypothèse Gaïa de James Lovelock et Lynn Margulis (thèse contemporaine de l’auteur). Les robots, en attendant, sont une belle transition pour imposer l’utopie.
3.
| Frank Herbert et Philip K. Dick pour souligner les oublis d’Asimov
Là où Isaac Asimov pourrait se fourvoyer c’est dans la bienveillance de ces nouvelles entités robotiques. A ce propos, le personnage-robot de Daneel Olivaw, construit pour être indiscernable d’un être humain, aide un policier à résoudre des enquêtes mais est dénué de sentiments propres aux humains. Dans un univers, où les lois robotiques seraient fragiles ou inexistantes, cela conduirait rapidement à des futurs comme ceux de Terminator ou de Matrix. Frank Herbert, dès les premières pages de Dune faisait dire à ses personnages : « Tu ne feras point de machine à l’esprit de l’homme semblable. ». Frank Herbert avait saisi le risque d’une telle invention : l’aliénation et, à terme, la destruction de l’Homme. Pour rappel, dans le cycle des Robots d’Asimov, les spaciens vivent « aux crochets » des robots qui n’ont, certes, que leur bien-être en tête. Mais ces nouveaux Hommes ne voient personne d’autres que leur serviteurs robots et perdent progressivement l’empathie créée par une vie en communauté. On obtient ainsi l’aliénation de l’Homme et non son élévation !
Herbert a imaginé le Jihad Butlérien qui conduisit à la destruction et à l’abolition de certaines technologies. Cette révolte s’opposa à la suprématie des « Machines pensantes » qui regroupaient ordinateurs et intelligences artificielles qui avaient asservi l’Humanité. Cet épisode justifiera la création des mentats, des humains spécialisés dans l’analyse de données. Le Jihad Butlérien a été un bouleversement social semi-religieux, initié par des humains qui se sont sentis repoussés par les machines qui devaient sensément les guider. Les machines avaient aboli leur sens du beau et de la raison, les transformant en des moitié-d ’hommes privés de leur individualité et de leur libre-arbitre.
Cette question du contrôle des machines est au cœur des réflexions scientifiques depuis des décennies et Philip K. Dick ne s’est pas privé d’aborder ses conséquences sociales et morales sur l’Humanité toute entière. En effet, les auteurs de science-fiction qui traitent la question des robots n’ont de cesse de considérer que c’est l’Homme qui va donner son pouvoir aux robots jusqu’à l’ériger à un niveau intellectuel proche ou au-delà de celui de l’Homme. Si le créateur ne fait rien, sa créature sera dotée d’une conscience et rien ne l’empêchera de défendre ses intérêts ou de décider de ce qui est le meilleur pour l’Homme. Dans Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (qui inspira Blade Runner de Ridley Scott), où les terriens sont dans une quête perpétuelle d’empathie, les robots ne sont que des exécutants aux visages humains. Du moins, c’est ce que croit le citoyen lambda. Rick Deckard, un chasseur d’androïdes, lui, a la charge de traquer les androïdes qui se seraient échappés de l’emprise de leur maître. Se pose alors la question de la volonté propre de ces androïdes, qui fuient pour mener leur propre vie, et quitter le service des humains (bien loin du robot bienfaiteur et loyal d’Asimov). Les androïdes de Dick sont incapables de ressentir de l’empathie, du moins d’après le test appliqué par l’enquêteur. Pourtant, il va faire la rencontre de Rachel, la nièce d’un ami, qui n’est autre qu’un androïde déguisé ! Cet androïde a l’apparence d’une humaine et n’a même pas conscience d’être une machine ! Seulement l’expérience de l’enquêteur lui permet de la distinguer d’une humaine, de quoi le faire réfléchir durant tout le roman sur ce qui distingue une conscience mécanique d’une conscience organique. De plus, par vengeance, car Rick détruira des androïdes, Rachel détruira quelque chose qui lui est cher. Réaction ô combien humaine !
Dans la Vérité avant-dernière de Dick, l’Humanité vit sous Terre en attendant que la guerre atomique qui ravage la surface, et qui est menée par des super-robots de combat, se termine. Depuis des années, les Terriens reçoivent des informations sur les dégâts titanesques de cette guerre, pourtant un homme ne croit pas ces informations et arrivera à la surface pour découvrir que la Terre est un paradis entretenu par les robots. Ces derniers ont conclu la paix il y a des années et reconstruisent la surface tranquillement, mentant honteusement aux humains afin qu’ils éteignent en eux la haine pour l’adversaire. Bien que bloqués par les trois lois de la robotique d’Asimov, ils ont la capacité de mentir pour le « bien » de l’Humanité, infantilisant complètement et emprisonnant leur créateur…
4.
| Asimov nous laisse en héritage des réflexions à n’en plus finir
Trente ans après sa mort, Isaac Asimov continue d’influencer la science-fiction contemporaine. Roman intéressant au sujet de ce carcan robotique et de ses conséquences pour les robots, Latium de Romain Lucazeau, imagine un monde où l’humanité aurait disparu suite à une épidémie à l’échelle galactique. Leur absence n’a pas empêché les robots de se tailler seuls un empire sur le modèle de l’empire romain. Mais toujours victimes de ces règles, ils sont incapables de réagir face à une invasion extra-terrestre qui ne saurait tarder à atteindre les frontières de leur empire, car ces êtres biologiques sont trop proches de leur définition d’un être humain. L’auteur va donc échafauder des dizaines de stratégies afin que ces robots, presque devenus des demi-dieux, puissent enfin se défendre et cesser de vivre sous le joug de ces lois robotiques. Une vraie pépite de la SF française.
Son influence est telle que le parlement européen a voté l’implémentation des lois d’Asimov dans le système des futurs robots européens et leur intelligence artificielle. Fibretigre dans sa bande-dessinée Intelligences artificielles, Miroirs de nos vies, abordent nos peurs sur ces intelligences artificielles qui tendent de plus en plus à nous remplacer, comme si l’Homme ne pouvait plus briller que dans la création et non dans l’exécution. Dans ce futur proche, Fibretigre imagine Yurie, une IA tenant un show télévisé qui fait concurrence aux émissions tenues par des humains. Sont-elles prêtes à nous remplacer même sur notre plate-bande qui est la création ? Chose surprenante, Yurie existe belle et bien dans notre monde. Elle n’est pas la participante d’un télé-crochet mais elle a belle et bien participé à un podcast sur les mathématiques dans lequel elle interagit directement avec les auditeurs. De quoi se demander jusqu’où ses créateurs lui ont permis d’aller, car cette bande-dessinée nous montre les dérives d’une technologie libérée des carcans mais aussi tous les avantages qu’elle représente ! C’était tout l’objet du travail d’Isaac Asimov : contrôler l’innovation pour qu’elle serve l’homme et non le remplace. L’éthique et la morale doivent être au cœur des réflexions des scientifiques qui concevront les IA de demain.
Dans ces deux chefs-d’œuvre, Isaac Asimov imaginait des mondes où la technologie et les mathématiques étaient au service de l’Homme et non à l’origine de sa destruction. Ses successeurs littéraires ont parfois battu en brèche ses idéaux mais on ne peut nier que son apport à la science-fiction fait encore et toujours parler de lui. Son optimisme et ses idées se ressentent encore dans les fictions d’aujourd’hui.