1
- Sharakhaï de Bradley P. Beaulieu, la Perle au coeur du Désert
2
- Les Lions d'Al-Rassan de Guy Gavriel Kay, une Reconquista fantasmée
3
- La Croisade Eternelle de Victor Fleury, jugements divins et personnages non-manichéens
4
- Car je suis Légion de Xavier Mauméjean, la folie de la grande Babylone
5
- Or et Nuit de Mathieu Rivero, la suite des Mille et une nuits
1.
| Sharakhaï de Bradley P. Beaulieu, la Perle au coeur du Désert
« A Sharakhaï, une chose était sûre : quand il s’agissait de vengeance, les Rois payaient rubis sur l’ongle et se montraient fort généreux. »
Sharakhaï est un de ces romans qui fascinent. Pour celui qui a vu Kingdom of Heaven ou qui a visité le Moyen-Orient, on y ressent le souffle du désert, la morsure du soleil, les senteurs du marché aux épices… Les dieux laissent des traces sur le sable et malheur à celui qui voudrait les suivre.
Çeda est une héroïne comme on les aime. Elle cherche à venger la mort de sa mère, exécutée par l’un des Douze rois de Sharakhaï, des rois immortels aux pouvoirs mystérieux. Elle est gladiatrice, messagère, monte-en-l’air, rebelle... Avec une personnalité bien trempée et des nerfs d’acier, elle semble être prête à tout mais au fil de la lecture on découvre un passé touchant et très dur. Bradley P. Beaulieu réussit à dépeindre une héroïne très humaine à cause de son histoire troublante et mouvementée ; histoire qui n’a eu de cesse de l’endurcir, mais qui ne lui a pas fait perdre sa générosité – marque culturelle de cette ambiance moyenne-orientale.
L’autre point fort de cette saga c’est Sharakhaï elle-même. La Perle du désert. L’îlot de civilisation niché au cœur des dunes, au carrefour de tous les échanges, sous la plume de Bradley P. Beaulieu, elle prend vie. On se prend au jeu de se perdre en même temps que Çeda dans les venelles labyrinthiques des bas quartiers, mais aussi de rêver de ses ruelles silencieuses lors des nuits de Beht Zha’ir où des spectres viennent réclamer leur dû aux habitants de la ville. Riche ou pauvre, nul n’est épargné.
Le cycle de Sharakhaï a cette force de réunir tant d’idées en une belle histoire : une héroïne touchante et généreuse, une vengeance, une rébellion, des complots qui ne font que monter en complexité et surtout une ville vivante que l’on rêverait de visiter.
Chez l’éditeur (Bragelonne)
2.
| Les Lions d'Al-Rassan de Guy Gavriel Kay, une Reconquista fantasmée
« Chaque peuple a ses fanatiques. Ils viennent, se transforment, reviennent sous un autre aspect. »
Les Lions d’Al-Rassanest un récit choral qui reprend à son compte la Reconquista de l’Espagne, au temps des derniers émirats et sultanats musulmans. Trois nations vont s’affronter : les asharites (les musulmans), les jaddites (les chrétiens) et les sans-terre kindaths (les juifs). A travers le point de vue de ces trois religions/nations et de l’empire déclinant Al-Rassan des asharites, Guy Gavriel Kay sert une partition d’Histoire splendide. Ce roman est une vraie claque. Entre roman d’aventures et luttes politiques à l’échelle mondiale, Les Lions d’Al-Rassan est aussi et surtout un texte sur la tolérance et le fanatisme religieux.
Dans la cité de Cartada (Grenade), Ammar, poète soldat asharite, et Rodrigo le jaddite vont permettre à l’auteur de pénétrer la psychologie de leurs religions et les tensions internes et personnelles qu’elles suscitent dans le cœur des personnages. Ce sont ces pensées contradictoires qui vont nous attacher ces héros malgré eux pris dans le tourbillon de la guerre entre asharites et jaddites. La plume de Gavriel Kay arrive à savamment y mêler de belles scènes de tactique militaire et de diplomatie avec des actions dramatiques et comiques, le tout avec une tension qui en fait un page-turner dès les premières centaines de pages.
Les Lions d’Al-Rassan opère un charme puissant en attisant notre curiosité sur les codes de chacune des religions en jeu et rappelle que la tolérance est la clé pour éviter le chaos surtout en matière divine ! La force des recherches de l’auteur donne un goût de réel à ses écrits. Dès les premières pages, il est impossible de ne pas penser à Al-Andalus et aux noms qui paraissent si familiers.
Un vrai reflet d’Histoire légèrement déformée.
Chez l’éditeur (L’Atalante)
3.
| La Croisade Eternelle de Victor Fleury, jugements divins et personnages non-manichéens
« Devant eux s’étalait Ubuk. Ubuk la Puissante, Ubuk la Magnifique, Ubuk le centre du monde. »
Chose presque exceptionnelle en fantasy, Victor Fleury s’est lancé le pari de réussir une saga de fantasy mésopotamienne. Comme dans L’Empire Electrique, l’auteur ne s’attache pas à simplement décrire une ville qui « donnerait l’impression que », non, il se cache dans les détails, comme les tenues des serviteurs, comme le rôle de chacun dans cette hiérarchie bien huilée qu’est cet empire dominé par des Prêtres-Rois. Empire qui n’en a que le nom d’ailleurs car comme en Mésopotamie antique, les cités-états soumises conservent leur quasi-autonomie et leur culture : ce qui pose bien des problèmes à la famille royale…
Dans La Croisade Eternelle, Nisaba, une prêtresse esclave, sert le prince héritier alcoolique, négligent et ô combien arrogant. Mais son malheur ne s’arrête pas à de simples réprimandes de la part d’un prince pourri gâté, elle est l’oblate de peau du prince. Dans l’univers de Victor Fleury, un oblat est un esclave, qui après un rituel magique, est lié à travers un sens à son maître. Quand le prince vient à ressentir le toucher d’une femme ou à être blessé, Nisaba le sentira dans sa chair et son esprit. Habituellement réservée à son amante préférée, cette condition décuple les sens pendant l’amour. Sauf que le prince ne touche plus la prêtresse depuis qu’elle l’a trahi par le passé (une part importante de l’intrigue qui est savamment dévoilée par l’auteur au fil de notre lecture). Mais un oblat peut servir également à entretenir sa condition physique sans faire de sport, ou encore à posséder des « bibliothèques vivantes » en se liant à des scribes… Ce système magique a la finesse de créer des situations de tensions durant tout le récit car l’intimité n’existe plus avec les oblats - les secrets ont du mal à rester longtemps enfouis…
La Croisade Eternelle met également en jeu des dieux, qui peuvent accorder leurs faveurs mais aussi leur courroux à leurs serviteurs ! L’univers de Victor Fleury recréé l’image que l’on se fait de la mythologie antique : les Hommes peuvent converser avec les dieux, des créatures gardent les eaux sacrées… Cette particularité de l’univers permet à l’auteur nombres de rebondissements, tant en faveur des personnages (je n’utilise pas volontairement le terme « héros » car ils sont loin du manichéisme classique), qu’en leur défaveur.
L’aspect fantasy mésopotamienne avec ses mythes, son ambiance et l’intrigue qui lui est liée, donne un vrai caché à cet univers qui gagne en profondeur à chaque page tournée. D’autant plus qu’hormis Car je suis Légion, la Mésopotamie est un thème presque totalement absent en imaginaire et c’est bien dommage…
Chez l’éditeur (Bragelonne)
4.
| Car je suis Légion de Xavier Mauméjean, la folie de la grande Babylone
« En temps de paix, les fils enterrent leur père. En temps de guerre, le père enterre ses fils. »
Xavier Mauméjean mélange les genres avec Car je suis légion. Entre huit clos, enquête, fantasy et fantastique au cœur de Babylone, ce roman tire son intrigue dans les croyances babyloniennes de l’époque. En mariant hauts faits historiques et magie, les écrits de Xavier Mauméjean sont connus pour offrir des histoires rythmées et documentées, et cette enquête babylonienne n’y fait pas exception. L’auteur joue avec l’Histoire et pose un problème d’ampleur à ses personnages : les dieux sont épuisés et ne veulent plus accorder leurs faveurs aux Hommes. Les prêtres décident alors de suspendre le temps et les lois (pourtant fondements de la civilisation).
Evidemment, l’Homme reprend rapidement ses instincts les plus primaires et la folie gagne toute la ville. Le chaos s’installe, viols et pillages sont permis… Et face à ça, Sarban, un homme de loi craint et intègre, doit fermer les yeux, ordre des autorités divines ! Mais, il est témoin d’un meurtre qui ne colle pas avec la démence ambiante ! Coûte que coûte, il va enquêter et mettre à jour un complot qui menace l’empire et son ordre. Et c’est cette enquête qui permet à l’auteur de dévoiler cette Babylone antique.
L’auteur réalise l’exploit de nous faire rentrer dans la peau des personnages, nous intégrant dans l’Histoire et nous influençant par les croyances de l’époque. Expérience d’autant plus exotique et fascinante, que Xavier Mauméjean ne se prive pas de nous décrire les Jardins suspendus de Babylone et la mythique tour de Babel… Une vraie plongée 2500 ans dans le passé.
Chez l’éditeur (Mnémos)
5.
| Or et Nuit de Mathieu Rivero, la suite des Mille et une nuits
« Vous avez le talent de modifier la réalité pour transformer le langage en lame acérée. »
Dans les Mille et une nuits, on quittait la belle Shéhérazade sur une nuit de contes avec un mari amoureux et qui n’a de cesse de retarder l’exécution de sa femme pour entendre sa voix lui réciter les contes du désert. Mathieu Rivero imagine une suite aux Mille et une nuits, où la belle sultane s’échappe de sa cage dorée pour aussitôt tomber aux mains d’un jeune brigand, Tarik, qui va lui conter son histoire, celle d’un paria au sang de djinn.
Shéhérazade va tout d’abord lui apprendre un conte sur des sultans dans le désert et de royaumes qui se font la guerre pour bien piètres raisons, mais elle va réaliser bien vite que l’histoire de Tarik y est intimement liée. Avec une plume très imagée et sensible, l’auteur arrive à nous transporter dans un ailleurs et donne une réalité à la voix de Shéhérazade.
Or et nuit est l’occasion pour Mathieu Rivero d’introduire de nouvelles histoires au récit des Mille et une nuits, d’en apprendre plus sur la mythologie arabo-persane, tout en contant la suite des aventures de l’une des figures les plus mythiques de la littérature. A la touche orientale et féérique, il va, à travers ses histoires, y instiller un grain d’horreur et de fantastique qui sauront faire monter la pression dans un final explosif et des scènes d’actions très bien amenées.
Ce roman est une belle introduction à la fantasy orientale car il permet de s’initier en terrain connu (tout le monde a entendu parler des Mille et une nuits) tout en jouant sur les codes de la fantasy comme la magie, les mondes fantasmées et les royaumes en guerre.
Chez l’éditeur (Les Moutons Electriques)