1.
| L’Assassin royal : pour ceux qui veulent s’initier aux récits introspectifs
Dans un souci de non-spoil, je ne parle ici que du premier cycle de L’Assassin royal, appelé par ses éditeurs français (Pygmalion et J’ai Lu), la « Première Epoque ».
L’Assassin royal est un vrai chef d’œuvre de la fantasy, pas tant par son intrigue qui est somme toute très classique (un jeune garçon en quête d’identité dans un royaume médiéval-fantasy en guerre) mais par son style, sa manière d’aborder tant de sujets en quelques pages : l’obéissance aveugle, le respect à la famille et les obligations alors même que l’on est un bâtard, le mépris des autres, la peur de la mort, l’alcoolisme, le premier amour, la passion, l’immaturité…
En effet, Fitz-Chevelarie est un bâtard royal de la famille des Loinvoyant (une famille connue pour ses grands rois et reines et ainsi que pour leur pouvoir psychique appelé Art). Il est dur d’être un bâtard quand le trône n’est pas tenu par un roi fort et assuré par un héritier fiable et aimé du peuple. Rapidement, Fitz devra rentrer au service de la Couronne en tant qu’assassin, car bien qu’il ne puisse prétendre au trône, il assistera aux grands événements et banquets et donc aura accès à des instances peu communes pour un assassin de basse extraction. Mais Fitz porte en lui un lourd secret : il est capable de se lier aux animaux, or, cette magie est interdite par le roi.
La question de la bâtardise et de son don spécial impose à Fitz de trouver sa place dans le monde, ce qui fait de l’Assassin royal une série parfaite pour les adolescents qui cherchent à se construire par la lecture. Cependant les thèmes sérieux et durs plairont à des lecteurs adultes ou plus aguerris !
La narration à la première personne apporte de la profondeur au personnage et nous fait suivre ses états d’âme (régulièrement changeants !). La transition entre un adolescent et un adulte se ressent même dans le style et le tiraillement intérieur entre un jeune homme à qui on a volé sa jeunesse et un jeune adulte qui se doit d’être responsable pour les personnes qu’il aime et la Couronne qu’il sert. Certains passages sont parfois très durs pour le héros et dans le premier cycle de l’Assassin royal, le héros est parfois clairement en dépression et cette tristesse se ressent dans le rythme et le style de l’autrice, ce qui est tout à son honneur !
De plus, ce type de narration appuie sur l’attachement ou le dégoût que l’on pourrait ressentir pour les autres personnages : on aime Vérité pour sa simplicité et l’amour qu’il éprouve pour Fitz, on hait Royal pour toutes les émotions contradictoires qu’il suscite et pour ses petites piques indignes d’un prince… Et bien que la narration se concentre sur Fitz-Chevalerie, tous ceux qui jalonnent sa vie nous sont chers et chacun apportent une pierre à l’édifice : l’amour, la fraternité, la morale, le devoir…
J’ai une affection sincère pour le personnage du roi : alité, vieux mais aimant son bâtard de petit-fils et incapable de gérer la menace des pirates sur ses côtes. Menace qui aura de lourdes conséquences politiques sur le royaume et sur Fitz.
L’intrigue politique a plus que son importance dans l’Assassin royal, où les comtes de la Côte (comtés historiques du royaume) s’opposent toujours aux comtes de l’intérieur des terres (riches mais peu influents), car un assassin doit savoir si d’un assassinat ou d’une intrigue serait le plus pertinent pour le salut du royaume. L’autrice a su créer de vrais enjeux derrière les actes du jeune bâtard royal, ce qui le fait gagner en maturité tout en montrant que le monde autour de lui avance à un rythme effréné.
Tout cela mis bout à bout fait que L’Assassin royal est une série littéraire « complète » qui plaira à tous et toutes de par sa maturité d’écriture, son intrigue bien ficelée mais aussi par un style extrêmement accessible.
2.
| Les Aventuriers de la mer : pour ceux qui veulent de l’aventure !
Situé dans le même univers que L’Assassin royal et La Cité des Anciens, cette saga retrace la vie des familles marchandes de Terrilville, qui, chacune possède une vivenef, un navire vivant permettant de survivre aux difficultés du fleuve du Désert des Pluies. En effet, ces eaux sont extrêmement acides ! Les vivenefs sont constitués d’un bois magique, le bois-sorcier, qui « éveille » la conscience du navire après que trois générations de capitaine aient péri sur son pont.
Peu avant de mourir, le capitaine Vestrit lègue la vivenef à l'époux de sa fille aînée, autoritaire et entêté, qui tente de restaurer la fortune de la famille en se livrant au transport d'esclaves. Sauf que cet héritage lèse Althéa, la fille cadette qui est intimement liée à la vivenef pour y avoir vécu longtemps. Mi-vengeance, mi-reconquête, l’aventure d’Althéa fait clairement voyager (davantage que les débuts de l’Assassin Royal) et est particulièrement dépaysante car elle va l’amener loin sur les eaux et sur la terre !
Cette fois, Les Aventuriers de la mer est un récit choral où plusieurs histoires se superposent, ce qui le différencie d’emblée de l’Assassin royal, plus introspectif et plus proche du roman d’initiation. Ici, il s’agit d’un roman d’aventures avec un rythme tambour battant ! Sur terre comme sur l’eau, les actions sont flamboyantes et centrées sur les intérêts des personnages, tandis que dans l’Assassin Royal l’honneur et la responsabilité vis-à-vis de la Couronne se situaient au centre de l’intrigue. Les intérêts sont plus égoïstes (Althéa cherche principalement à récupérer le contrôle de la nef qu’elle a vu naître) mais restent nobles tout de même : redorer le blason de sa famille, contrer la menace des pirates, libérer des esclaves… Ici aussi on retrouve des thèmes durs : le sexisme, l’esclavage, la maladie, la maturité, les familles déchirées par l’argent… Chacun est abordé sous le prisme d’un des personnages qui apporte sa manière de voir le monde et met en exergue des valeurs différentes qui parfois s’opposent !
Comme dans l’Assassin Royal, la progression des personnages est importante. Althéa, qui apparaît comme l’héroïne classique du roman d’aventures, a des hauts et des bas qui la rendent plus humaines. Même le personnage de Malta Vestrit, qui m’a fait grincer des dents à être immature et totalement impulsive, étant la petite à qui on accorde tout et dont on loue constamment l’intelligence, reste attachant. Les expériences que va mettre sur son chemin Robin Hobb vont en faire une femme plus mature et réfléchie. Bien que personnage secondaire au début des romans, elle prendra de l’ampleur et son évolution la rendra nettement plus sympathique ! De plus, des personnages comme le chef pirate qui cherche à dominer les côtes et qui est parfois cruel est particulièrement intéressant et ambigu : il libère les esclaves que des familles comme celle de l’héroïne transportent…
Le décor du Désert des Pluies, rempli de cultures diverses permet à l’autrice de construire un monde cohérent chargé d’oppositions et d’alliances qui apportent de la matière aux enjeux de plus en plus importants dans le roman. Et la diversité des légendes associées à chaque peuple titillera les fans de world-building qui restaient sur leur faim avec l’Assassin Royal qui n’avait droit qu’à de brefs extraits de chroniques avant chaque chapitre.
La magie est nettement plus présente dans cette saga car elle appartient au quotidien avec les vivenefs comme le Vivacia ou le Parangon, ce qui nous plonge davantage dans l’approche plus féérique de la fantasy, tout en la rendant atypique pour le lecteur coutumier de la fantasy : on voit peu de bateau qui parle en fantasy (chose plus commune en SF avec les IA).
PS : Le cycle de la Cité des Anciens s’insère dans la droite ligne de l’Assassin Royal et des Aventuriers de la mer avec des personnages appartenant aux deux sagas. Bien que le cycle puisse se lire indépendamment, je préfère éviter le spoil !
3.
| Le Soldat chamane : pour ceux qui veulent du world-building et une quête mystique
Situé dans un univers indépendant de ses précédentes séries, Le Soldat chamane a perturbé les fans de Robin Hobb car le style et l’ambiance sont radicalement différents. Avec toujours la quête d’identité en toile de fonds, l’ambiance plus proche des Temps modernes et le colonialisme sont diamétralement opposés à ce que l’autrice avait pu offrir aux lecteurs.
Le monde dans lequel se déroule Le Soldat chamane est considéré comme un monde post-colonial où le royaume de Gernie, grâce à la poudre et une armée efficace, a réussi à soumettre plusieurs tribus des plaines. Jamère Burvelle est le second fils d’une famille noble. Son destin est donc tout tracé, il devra rejoindre l’armée, en l’occurrence la cavalla, la cavallerie de Gernie. Mais, son père qui reconnaît la force des Kidonas (un peuple des plaines récemment soumis) l’envoie en apprentissage auprès de Dewara qui va l’initier à leurs pratiques chamaniques et lui enseigner une philosophie de vie plus proche de la nature. Et c’est ce lien avec le quasi-ennemi qui va tirailler Jamère durant toute la saga : les valeurs puritaines et traditionnelles de Gernie ou la liberté et le sens de la vie des Kidonas et des Ocellions (un peuple résistant au royaume).
En retrouvant la narration à la première personne, Robin Hobb renoue avec l’introspection et la quête d’identité avec cette fois des thèmes très forts comme la lutte entre les peuples et l’assimilation.
L’univers amérindien et le thème de la colonisation espagnole sont un beau dépaysement car l’imaginaire français n’est que peu porté sur ces sujets. Cela permet à l’autrice d’introduire des termes et des systèmes de magie plus proche de la Nature et du chamanisme, avec une Nature presque divinisée face au fer et à la poudre des Hommes.
Bémol à cette série, Jamère est très proche à un Fitz-Chevalerie. Je recommande sa lecture après le cycle des Aventuriers de la mer pour éviter un certain sentiment de déjà-vu.