1.
| Petite définition !
Le style Dark Academia cultive une esthétique « académique », développée sur de nombreux médias - photographie, mode, cinéma et, bien sûr, littérature. La Dark Academia s’est développée sur Internet à la fin des années 2010, via les réseaux sociaux Tumblr, Instagram et Tik-Tok. Elle se réclame du mouvement décadentiste anglais de la fin du 19e siècle, dont Oscar Wilde était le chef de file, et reprend le motif d’une aristocratie en déshérence, privée du pouvoir politique, qui se tourne vers l’étude… et surtout vers des sociétés secrètes agissant dans l’ombre. Fait pour les adolescents, mais pas que, ce genre nouveau met en scène souvent des parcours initiatiques dans un monde fantastique, où le Latin, la rhétorique et les arts ésotériques sont au coeur de la connaissance et de la construction de soi.
Dans l’ensemble, la Dark Academia propose des personnages régis par la passion de l’étude et de la connaissance, en quête d’un sens fragile, côtoyé par des mystères dangereux ; des personnages pour qui l’infini ne semble éloigné du néant que d’un pas de côté, qui ne s’élèvent que pour mieux voir la vanité de l’existence - bref, c’est du romantisme pour Young Adult. Cette recherche se double d’aventures inspirées par la vie adolescente, ses fantasmes et ses difficultés, ses craintes aussi quand elle anticipe la désillusion ; transformation du corps, apprivoisement des pulsions, soumission aux divers mots d’ordre dont il est l’objet et frustration, voilà les défis du héros typique de la Dark Academia. Peut-être y avez-vous reconnu Harry Potter : vous auriez en partie raison. Ajoutez-y un peu du Dead Poets Society, et vous y êtes.
2.
| Waking the Moon, d’Elizabeth Hand
Vous entrerez ici dans l’Université des Archanges de Saint-Jean le devin, à Washington DC, aux côtés de la première année Sweeney Cassidy. Elle découvre la fête, se fait de nouveaux amis, Sweeney tombe amoureuse du bel Oliver et s’émerveille devant les façades gothiques du campus, dont la mélancolie toutefois ne s’avère pas sans cause. Peu à peu, on remarque les messes basses des professeurs - encapuchonnés, chuchotant des langues inconnues. Ce que vous croyiez familier devient étrange, et dans vos découvertes les plus sinistres, vous reconnaîtrez toujours une part magique de réel. Le charme et la beauté, ne vous y fiez surtout pas.
Car le Divin n’est pas sans secrets qui le rongent, et sous l’université courent des dangers inconnus : la Déesse de la lune, puissante, cruelle, essentielle à l’équilibre du monde, connaît des ennemis qui pourraient bien la détruire.
Bien sûr, Sweeney ne sera pas la dernière à se trouver mêler aux complots, ni ses amis Angelica et Oliver. Vous pouvez vous fier à Hand pour vous emmener sans efforts dans cette histoire - comme sur un tapis magique, et trompeur : trop attentif à ses broderies merveilleuses, voilà que ce démon derrière la porte, vous ne l’entendez pas… Ne lisez pas ce roman, à moins d’avoir fini vos études : personne n’oserait aller après à l’université.
Attention : il vous sera difficile, si vous vous engagez dans ce livre, de regarder le ciel sans appréhension, ou dans le vent, de ne pas entendre des plaintes.
3.
| Magic for Liars, de Sarah Gailey
Imaginez un genre de Jessica Jones, sans pouvoirs, débarquer à Poudlard. Imaginez sa soeur, brillante, enseignante dans cette école de magie ; une espèce de Yennefer. Par dessus, un meurtre, un complot : l’ensemble paraît-il familier ? Vous auriez tort de le croire ; aurez-vous le droit à une refonte un peu absurde d’Harry Potter, à l’histoire d’un conflit familial, ou bien, à un polar magique et sombre et désenchanté ? Magic for Liars mélange les codes et les genres de telle sorte que nos repères s’embrouillent, et dans ces univers familiers toute prédiction devient incertaine.
Ivy Gamble - notre Jessica -, détective privée endettée jusqu’au cou, alcoolique, est contrainte pour regonfler sa bourse d’enquêter sur une mort violente à l’Académie pour jeunes mages d’Osthorne. Elle entre à reculons cyniquement dans ce monde qu’elle a toujours voulu éviter, où sa soeur jumelle est si respectée, un monde de merveilles et de privilèges ; privilèges, on le verra vite, dont on ferait mieux de ne pas explorer le socle morbide.
Il est difficile de résumer un chef-d’oeuvre : trop de choses sont à retrancher, et ce livre en est un très certainement. La réussite la plus admirable de l’autrice est sans doute la parodie légère qu’elle fait sans cesse de ses références, dans laquelle s’immisce une intelligence profonde des enjeux soulevés ; la tristesse fertile et autodestructrice à la fois d’Ivy, et le temps de la jeunesse gâché par une éducation toxique, encourageant la compétition, la violence et la domination. Car malgré la finesse de son système narratif, c’est surtout par la capacité de sa révolte à briser nos illusions que l’autrice nous fait haleter, et nous pousse à lire son bouquin d’une traite.
4.
| Atlas six, d’Olivie Blake
Attention, voici le petit dernier ! The Atlas Six a été publié le 30 janvier 2020, et sa traduction ne paraîtra en France que le 13 octobre 2022. Il est difficile d’être objectif sur ce roman, qui provoqué conflits et polémiques : la sphère Tik-Tok s’est chargée d’en faire un Best-seller, tandis que le Booktube américain tâchait de le discréditer autant que possible. Conflit d’intérêts, de génération ?
Le scénario est tout ce qu’il y a de plus aguichant : six jeunes sorciers, au talent hors du commun, sont contactés par le mystérieux Atlas Blakely. Ils sont invités à concourir pour obtenir le droit d’être initiés aux secrets Alexandriens ; non, la bibliothèque d’Alexandrie n’a pas brulé, le merveilleux savoir qu’elle renferme est aux mains d’une secte élitiste, prête à éliminer celui des candidats qui échouerait au test. Ceux-là reçoivent l’accès à une part des connaissances arcaniques de la bibliothèque, et doivent démontrer la supériorité de leur intelligence.
Le projet de l’auteur était de donner un équivalent, dans la fantasy, de la hard-sf, avec des explications de la magie philosophiques et métaphysiques extrêmement poussées et cohérentes. Il en a résulté une vague pédanterie creuse, mais qu’importe ? Olivie Blake a rendu ses personnages passionnants, sans ôter la part jouissive de cliché qu’on attend d’eux dans ce genre de livre. Voici donc un page-turner idéal pour se laisser exalter sans efforts et transporter, comme dans un théâtre, dans des décors qui nous plaisent justement parce qu’on les reconnaît comme factices.