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La Horde du Contrevent, contre vents et marées

Par Republ33k
25 octobre 2017
La Horde du Contrevent, contre vents et marées

Il y a des romans qui résistent à l'usure du temps, et qui font encore parler d'eux comme s'ils étaient sortis hier, continuant à nourrir des débats, des interrogations, des polémiques, même. Et assurément, La Horde du Contrevent d'Alain Damasio fait partie de ce groupe d'œuvres rares qui résistent, contre vents et marées, aux années qui passent et à leurs différents effets.

Alors que le roman s'offre une (excellente) adaptation en bande-dessinée aux éditions Delcourt, il était donc de bon ton de s'arrêter sur l'aspect inarrêtable, justement, de La Horde, comme ses fans l'appellent si affectueusement. Et c'est en 2004 qu'elle commençait sa course, propulsée par les éditions de La Volte. Déjà, on avait du mal à la définir.

• Lire aussi : La Horde du Contrevent chez Delcourt, la critique sur 9emeArt !

Si comme tous les internautes vous allez sur Wikipédia, on vous parlera d'un roman de science-fiction fantaisiste, un drôle de terme pour désigner une œuvre qui quelque part, se fout des étiquettes, et a été conçue dans un pur moment créatif, sans se soucier, visiblement, d’atterrir dans tel ou tel rayon de votre librairie favorite. 


C'est peut-être à ça qu'on reconnaît un grand roman, après tout. Une œuvre insoumise, sur laquelle les étiquettes ont bien du mal à coller. Sur laquelle personne ne parvient vraiment à s'entendre. Un roman toujours en mouvement, pour ainsi dire, et donc souvent à contre-courant. Il n'attend pas de ses lecteurs une validation ou un classement. Il se meut, tout simplement, touchant, tel les chrones - sorte de nuages aux propriétés étonnantes et parfois aléatoires - chaque lecteur. Aucun d'entre-eux ne ressort indemne de l'opération, et lorsque le roman-nuage traverse son lecteur, celui-ci peut changer radicalement.

Certains se demanderont pourquoi un livre aussi particulier, libre d'interprétation mais régit par des règles bien précises, comme celles de la ponctuation - plus importante ici que dans toute œuvre - fait encore autant parler de lui. D'autres douteront de sa pertinence. Mais la plupart se contenteront de donner un sens bien particulier à la quête qu'ils viennent de mener à rebours. Lorsque la page 1 apparaît enfin - le roman est numéroté dans un sens inversé - il nous faut en effet, tel Sov, l'un des héros du roman, écrire notre propre interprétation de cet incroyable voyage.

Heureusement, le roman d'Alain Damasio a le mérite de nous entraîner à l'exercice le temps de 521 pages (et 701 pour l'édition de poche) qui baignent dans une ambiance tout à fait étrange, forgée par des descriptions myopes, si j'ose dire, car notre imaginaire distinguera forcément des blocs, des formes et des idées brutes, mais ne saura jamais les dérouler en un tout précis et net, comme si l'univers était aussi mouvant que le roman qui le porte. L'auteur reconnaît d'ailleurs lui-même, dans la préface de l'adaptation en BD, qu'il n'avait pas forcément d'images précises en tête en inventant son fascinant monde régi par le vent. 


La Horde, telle que dépeinte dans le projet transmédia avorté de Forge Animation

En cela, on pourrait presque voir Alain Damasio comme l'un de ces artistes-conteurs qui prétendent que leur œuvre leur a été soufflée - le mot n'est pas anodin - par un tiers. Le romancier aurait-il un jour rencontré la horde en Extrême-Amont ? Cela pourrait expliquer le flou artistique avec lequel il nous présente son monde. Comme un enfant fasciné par ce qu'il aurait vu ou entendu, l'auteur représenterait alors par ses mots, et surtout ses néologismes - qui par définition, qualifient ce qui n'existe pas ou à peine -  ce qu'on lui aurait jadis conté. 

Dans tous les cas, le mélange de distance et de proximité qui lie l'auteur à son œuvre et son œuvre à ses lecteurs évoque une nouvelle fois une expérience en mouvement permanent. La Horde s'approche de nous quand il le faut, s'éloigne quand elle le doit, et poursuit inlassablement son chemin, car elle n'a pas de temps à perdre avec les étiquettes, la gloriole ou la précision. Seule importe sa cohésion, car elle seule est en mesure de mener le voyage à son terme : l'Extrême-Amont.

Aussi, si vous lisez ces lignes sans avoir si La Horde du Contrevent est faite pour vous, ou sans comprendre pourquoi elle fascine autant les lecteurs, c'est bien normal. Pour le savoir, vous n'avez d'autre choix que de rentrer dans le rang. De vous serrer au pack, de former, à votre tour, une horde, et d'ainsi faire perdurer son esprit, en rejoignant son mouvement, tout simplement.

La Horde du Contrevent, contre vents et marées