DossiersPink Floyd - The Piper at the Gates of Dawn
FantastiqueLittérature
Pink Floyd - The Piper at the Gates of Dawn
Par Woulfo
26 avril 2015
Aux confins du psychédélisme,
les membres de Pink Floyd n’ont eu de cesse d’avouer leur amour au fantastique
et à toutes ses déclinaisons. Si de nombreuses compositions de Nick Mason,
David Gilmour, Roger Waters et Richard Wright portent un label SF avoué et inexorable, Syd Barrett a aussi
eu l’occasion de mettre en avant son amour pour l’imaginaire. Un imaginaire
différent, plus porté vers le conte enfantin poétique que vers les grandeurs astronomiques
des autres membres du groupe.
Pour ce présent dossier, c’est
le premier album mythique du groupe, The Piper at the Gates of Dawn qui nous
intéresse. L’album est composé essentiellement par Syd Barrett, premier
chanteur/guitariste des Pink Floyd et génie musical à la carrière éphémère mais
à l’influence phénoménale. Ce sont ses thèmes qui ressortent à l’écoute de
l’album : un condensé de poésie, magie, conte, fantastique et…
psychédélisme.
1
- Syd Barrett, une légende à lui tout seul
2
- Voyage Intergalactique
3
- Syd, conte-nous une histoire
1.
| Syd Barrett, une légende à lui tout seul
Album composé à Abbey Road en 1967
dans le mythique studio n°3, les Pink Floyd étaient alors voisins des Beatles qui
enregistraient l’un de leurs plus grands albums au studio n°2 : Sgt
Pepper’s Lonely Hearts Club Band. L’influence mutuelle entre les deux groupes
alimente encore de nombreux débats. Syd Barrett n’a jamais caché son amour pour
les Beatles qui furent certainement une de ses plus grandes influences d’écriture :
« Syd adorait John Lennon et aurait presque préféré mourir que de le
rater » nous apprend par exemple sa petite amie de l’époque. Norman Smith, producteur de l’album
avoua quant à lui : « Le Floyd craignait les Beatles, Syd semblait
plus motivé par les rencontrer que de faire partie de son groupe ». De son
côté, Paul McCartney assistait quelques années plus tôt à un concert mythique
de Pink Floyd à l’UFO Club et fut tellement sonné devant le spectacle qui lui
était proposé que certaines voix pensent que l’influence du concert se ressent
à travers Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band, notamment le manager du
groupe : « Je suis persuadé que les Beatles copiaient ce que nous
étions en train de faire ». Chacun y fera son propre avis, McCartney a
cependant avoué que le premier album des Pink Floyd était une merveille.
C’est dans ces conditions que The Piper at the Gates of Dawn voit le jour durant l’été 1967. Le nom de
l’album provient d’un nom de chapitre du roman Le Vent Dans les Saules de Kenneth Grahame, livre qui a imprégné l’imaginaire de Syd Barrett. Classique de
la littérature enfantine britannique souvent comparé à Alice au Pays des
Merveilles de Lewis Carroll (à noter que le titre du premier album solo de
Barrett est une référence directe au Chapelier Fou), le roman est sorti au
début du XXème siècle et propose un mélange singulier d’aventure et de
mysticisme avec des protagonistes animaliers. Il est intéressant de noter ce
mélange qui sied (Syd, sied, vous l’avez ?) à merveille à l’écriture et
aux chansons de l’album qui sont un appel au voyage poétique fantastique
accouplé au rêve enfantin. Très peu de
personnes ont touché la grâce et la beauté poétique de son écriture sur cet
album. Son influence est encore aujourd’hui considérable auprès de la scène
musicale britannique et son décès en 2006 avait suscité un vif émoi.
Chapitre Suivant
2.
| Voyage Intergalactique
Même si l’album fait la part
belle au conte enfantin, deux titres mettent en avant les prémices
de ce que sera le Floyd sans son poète maudit. A une différence
essentielle : ici, c’est Syd Barrett aux manettes de ce voyage
intergalactique.
L’album s’ouvre avec Astronomy
Domine, quatre minutes de musique spatiale aérienne qui viennent s’imprégner
d’un texte halluciné où Syd en profite pour nous donner un petit cours
d’astronomie. Il y parle des satellites d’Uranus que sont Obéron, Miranda
et Titania mais aussi de Titan, plus
gros satellite de Saturne. C’est bien un voyage à travers notre système solaire
que nous propose le natif de Cambridge. Ce schéma concocté par seedfloyd.fr nous le
présente :
Voici les paroles prononcées
par Syd durant la chanson :
"Jupiter and Saturn,
Oberon, Miranda and Titania
Neptune, Titans
Stars can frighten"
Syd Barrett nous amène donc
faire un aller-retour Terre/Neptune tous frais payés, de quoi réviser en musique
le positionnement de nos planètes, merci Syd !
Plus qu’un voyage, Syd Barrett
est aussi là pour faire revivre des légendes, comme le fameux Dan Dare, pilote
de notre escapade à travers les planètes.
" Blinding signs flap flicker
flicker flicker
Blam pow pow
Stairways scare Dan Dare who’s
there "
Dan Dare est un héros de
comics anglais qui a vu le jour en 1950 dans la revue Eagle #1 des mains de Frank Hampson. Son influence sur la culture pop est non négligeable. En effet, Doctor Who, Chris Claremont et son Captain Britain le remercient mais plus « surprenant », le scénariste Jonathan Hickman fait un clin au personnage dans Avengers avec Izzy Dare,
petite fille de Dan Dare (Captain America a d’ailleurs une pensée pour son ami
d’autrefois). Warren Ellis (Ministry of Space), Elton John (Dare Dare Pilot of
the Future) ou encore David Bowie (DJ : « I feel like Dan dare lies
down ») sont des artistes qui ont été marquées par le personnage de Hampson.
Dan Dare sent bon le
space-opéra pré-années 70 comme
pouvaient l’être Perry Rhodan de l’autre côté du Rhin ou encore Flash Gordon.
Un voyage à la rencontre de diverses races extraterrestres, le rêve spatial
« pulp » à son meilleur. A noter qu’Arthur C. Clarke a eu l’occasion
de travailler sur le titre.
Le thème spatial reviendra
ensuite sur l’album avec Interstellar Overdrive. Sans paroles, Interstellar
Overdrive est un bijou space-rock instrumental barré, complètement fou et
renversant. Puissante et belle à la fois, inquiétante et grandiose, la chanson
annonce de façon discrète le futur du
groupe et rappelle par moment des titres qui sortiront quelques années plus
tard sur Atom Heart Mother et Meddle. Interstellar Ovedrive est l’une des
premières chansons improvisée et instrumentale pour un groupe de rock. On ferme
les yeux pour se perdre dans les confins de notre galaxie à une vitesse
interstellaire.
Chapitre Précédent
Chapitre Suivant
3.
| Syd, conte-nous une histoire
Une des plus grandes qualités de Syd Barrett qui a façonné le personnage et sa légende est son incroyable
capacité à nous raconter des histoires. Merveilleux poète et conteur, ses
talents ressortent de plein fouet à travers The Piper at the Gates of Dawn. Ses
textes possèdent une sensibilité extrême, le conte et l’enfance n’ont de cesse
de revenir à travers ses paroles entonnées par sa belle-gueule mais cachent
aussi une personne violente qui meurt à petit feu suite aux ravages du LSD.
La grâce du texte de Barrett se ressent dès le
deuxième titre de l’album : Lucifer Sam. Une comptine anodine qui narre
l’histoire d’un chat siamois « That cat’s something I can’t explain »
nous chante Barrett. Il en profite pour mentionner Jenny Spires, sa petite amie de l’époque qu’il
traite ni plus ni moins de sorcière : « Jennifer Gentle you’re a
witch ». Lui aurait-elle jetée un sort ? Au départ, le titre était un
projet de film et devait s’appeler Percy the Ratcatcher. A noter l’orgue de Richard Wright sur ce titre qui se rapproche des miaulements d’un chat pour coller
au texte et une ressemblance dans la progression de la chanson avec le thème de Batman par Neal Hefti qui connut une année avant la sortie de The Piper at the
Gates of Dawn un succès important.
Le conte prend tout son sens avec Matilda Mother : Barrett y présente une mère racontant un conte à son enfant avant de s’endormir.
" Oh oh Mother
Tell me more
Why’d you have to leave me there
Hanging in my infant air, waiting
You only have to read the lines of
Scribbly black and everything shines "
Syd Barrett en profite aussi
pour nous raconter le conte en question : une histoire qui commence de
façon classique (There was a king who ruled the land) mais
qui évolue ensuite de façon surréaliste, amenant des images assez
étrange :
" With silver eyes, the scarlet eagle
Showered silver on the people
Bells to tell the King the news
A thousand misty riders
Climb up higher once upon a time "
Diverses interprétations sont
possibles, j’y vois personnellement ni plus ni moins qu’une révolution ou la
chute d’un roi, d’autant plus avec l’image forte de l’aigle, symbole par
excellence des victoires militaires qui ont façonné de nombreux courants de
notre histoires (Rome, Napoléon,..). Comme nous le dit très bien l’auteur de la
chanson : « The words have different meanings ». CQFD.
Enfin, l’amour des contes de Syd est exprimé de façon
limpide dans la chanson :
" For all the time spent in that room
The doll’s house darkness old perfume
And fairy stories held me high up
On clouds of sunlight floating by "
Une bonne odeur de coin de feu
se ressent et on ne peut mettre de côté le parallèle conte de fée/ LSD dans la
chanson. «And fairy stories held me high up » comme nous le dit très bien
le concerné… A noter que Matilda Mother est chantée en majorité par Richard
Wright mais la voix de Barrett est présente pour soutenir le texte qu’il a lui-même
écrit.
Le trip psychédélique des
chansons de l’album est omniprésent et reflète la période Barrett. Les paroles
de Flaming proviendraient par exemple directement d’un trip sous LSD. Voici le
contenu de ce voyage déjanté et irréel : la chanson démarre sur des nuages
bleus, le protagoniste de la chanson
(Barrett ?) est étendu sur un édredon. Il s'enfuit alors sur la rosée brumeuse en
étant assis sur une licorne (un point pour Hélène) et un pissenlit. Il se
noie ensuite dans le ciel ( !), voyage par téléphone (répond à ça Doctor
Who !). Et pendant tout ce délire musical, Barrett joue à
cache-cache :
" Yippee, you can’t see me
But I can you "
Il est impossible de décrire les paroles surréalistes de Barrett. Il est dans
son monde, dans son imaginaire, il contrôle les différents pans de sa création,
il dirige la musique et les textes à sa guise. Son univers est conséquent, les
frontières sont injoignables. La beauté de Flaming est caractéristique de la beauté des textes
uniques de Barrett. Le timbre de voix si particulier de Barrett, comment il
arrive à insuffler une vie et une beauté à sa chanson sidère à chaque
écoute. Les chœurs de Roger Waters ne sont pas en reste (la très belle montée
après Watching buttercups cup the light).
Que dire maintenant de The Gnome ? Certainement inspirée de l’imaginaire de J.R.R Tolkien
(un auteur qu’adorait Syd), la chanson relate l’histoire de Grimble Grumble, un
gnome vivant dans sa maison avec un train de vie confortable qui eut un jour
une grande aventure. Syd rappelle à
notre imaginaire le merveilleux monde de la Comté. Il suffit alors de remplacer
le gnome par un Hobbit et nous sommes face à l’histoire (très) résumée de Bilbo le
Hobbit. The Gnome est une très belle
chanson qui démontre encore une fois la beauté des textes de Barrett, bien loin
de ses contemporains d’alors.
Enfin, ce côté enfantin se
ressent une dernière fois avec les deux dernières chansons de l’album : Scarecrow et Bike.
Sous forme de comptine, Scarecrow parle d’existentialisme (chaque personne est un être unique maître de
ses actes et de son destin) avec une forme de tristesse résignée (The
black and green scarecrow is sadder than me).
Bien entendu, l’image de
l’épouvantail du Magicien d’Oz n’est pas loin. N’oublions pas que dans le livre
de L. Frank Baum, celui-ci se plaint de ne pas avoir de tête. De son côté,
l’épouvantail de Syd ne pense pas (His
head did no thinking his arms didn’t move).
Lorsqu’on connait l’amour de
Syd pour les contes, cette ressemblance est donc tout sauf anodine. Sous ses
airs de ballade pop enjouée, Scarecrow est donc une chanson mélodieuse assez
triste, que ce soit pour le sort de l’épouvantail ou celle du protagoniste qui
clame :
" But now he’s resigned to his fate
‘Cause life’s not unkind, he doesn’t mind "
Après tout, l’épouvantail n’a
pas à se soucier des difficultés de la vie humaine alors que Syd, en pleine crise, se situe à un tournant de sa vie.
Pour ne pas changer, Syd
termine l’album avec une nouvelle pépite du nom de Bike. Magnifique titre écrit
pour Jenny :
" You’re the kind of girl that fits in with my
world
I’ll give you anything, everything if you want
things "
Cependant, la chanson s’amuse
aussi avec la légende de l’invention du LSD ! Encore une fois, sous ses
airs candides, Syd arrive à insuffler une noirceur à ses textes de façon
tellement aisée et pragmatique que ça en devient effrayant. La légende précise
que le LSD aurait été inventé dans les années 40 par un chimiste qui manipulait
l’ergot de seigle. Un jour, après avoir manipulé l’ergot il se sentit quelque
peu fiévreux et rentra chez lui en
vélo : il venait ni plus ni moins que de vivre un trip sous LSD.
Pendant la chanson, Syd en
profite pour énuméré ses amis imaginaires préférés : une souris du nom de
Gerald et des bonhommes d’épice. Il termine la comptine enfantine en invitant
la fille dans une chambre :
" I
know a room of musical tunes
Some rhyme, some ching, most of them are
clockwork
Let’s go into the other room and make them work "
Syd, you’re a wizard.
Avec The Piper at the Gates of
Dawn, Syd Barrett est au paroxysme de son talent. Jamais il ne retrouvera la
beauté terrifiante de son écriture. Jamais il ne retrouvera sa poésie délirante
sur un album entier. Il restera quelques bribes sur ses deux albums solos,
géniaux mais inégaux. Il n’aura suffi que d’un album (et demi) avec Pink Floyd
et deux albums solos pour faire rentrer Syd Barrett dans la légende. Une
légende qui a façonné le mythe Pink Floyd et qui a insufflé l’âme de la musique
britannique.
Si vous êtes intéressés par l'histoire de Syd Barrett, je vous conseille l'excellent livre de Mike Watkinson et Pete Anderson publié aux éditions Camion Blanc : Syd Barrett, Le Diamant noir.