Chose promise, chose dûe. En reprenant les rênes de SyFantasy.fr en tant que rédacteur en chef, j'avais très envie de récupérer le flambeau d'Alfro, qui vous parlait il y a quelques années de cela de ses découvertes en termes de concept-art, dans le fameux "concept art aux pommes". Il faut dire que le concept art me fait moi aussi rêver, mais j'avais envie d'une chronique peut-être un peu plus longue, qui nous permettrait d'avoir, outre de belles images, des commentaires de leur créateurs !
Et nous inaugurons ainsi cette nouvelle mouture de notre chronique consacrée au concept art et à leurs concept artists aujourd'hui avec Wayne Haag, qui nous a fait l'honneur de répondre à nos questions.
Né à Melbourne, Wayne Haag a suivi un chemin un peu particulier en étudiant la photographie avant de devenir matte painter - c'est à dire un artiste chargé de peindre des trompes-l'œil gigantesques servant de décors à une production cinématographique, les plus célèbres étant sans doute ceux de Star Wars - puis concept artist, il y a seulement quelques années de cela. Son travail conjugue ainsi des influences très picturales à des techniques modernes : un mélange des genre qui l'a conduit à travailler sur les ambiances de Wolverine : Le Combat de l'Immortel ou plus récemment, Alien : Covenant, où il imaginait la citadelle qui servait de repère à David (Michael Fassbender) et quelques décors.
Nous avons eu la chance de revenir avec lui sur la multiplicité de ses influences, l'état du concept art à Hollywood ou encore sur son amour de la peinture à l'huile dans cet échange qui j'espère, vous plaira autant que le travail de monsieur Haag, capable de donner une vie assez folle à la moindre épave de vaisseaux, comme vous le verrez ci-dessous.
Une peinture à l'huile de Wayne Haag, pour son propre univers
Commençons par le début. Comment êtes-vous devenu concept-artist ?
J'ai commencé en tant que Matte Painter, en fait, d'une façon un peu surprenante : en étudiant la photographie à Melbourne. A l'époque je travaillais sur des photographies au format très large, du 5x4, de la pellicule de film, je bricolais avec un outil que j'avais créé moi-même et sur de la pellicule Kodak, ce qui me permettait de faire du Photoshop avant l'heure. Et puis j'ai découvert Photoshop version 1.6. et houra, plus de chambre noire et de produits chimiques !
Je ne peignais pas encore mais l'idée était la même : je voulais créer des scène de Science-Fiction épiques. A l'époque ça me semblait être le meilleur moyen d'y arriver. Ce n'était pas du tout le cas mais j'ai appris bien des choses.
Puis, mon porfolio de dernière année m'a permis d'avoir un boulot à Digital Domain, à Los Angeles. Alors que je terminais mes études de photographie, l'industrie des effets spéciaux se mettait déjà au numérique. Mon premier job sur un film, c'était Le Cinquième Élément, en 1996, en tant que matte painter pour assister Kevin Mack.
En fait j'ai attendu Wolverine : Le Combat de l'Immortel pour me mettre au concept-art. Le but du concept-art c'est de donner une image pure et c'est toujours cette image pure que j'aime créer. Je peux jouer avec la composition, la lumière, l'atmosphère et apprécier cette belle image. Ca me rappelle mon amour pour la photographie et la peinture à l'huile.
Une Matte Painting de Wayne Haag sur Le Cinquième Élément
Je pense qu'il n'y a pas de jour type dans la vie d'un concept-artist mais pour donner à nos lecteurs une idée de votre travail, en termes d'heures, de matériel ou de processus, qu'est-ce que vous pouvez nous dire ?
Tout dépend de mon lieu de travail. Ca dépend de si je travaille sur place, pour un studio, ou si je suis en freelance et bien au chaud chez moi. Les deux me demandent de longues heures. Mais oui, ma seule routine c'est de m'assurer d'avoir du café !
Récemment, vous avez travaillé sur Alien : Covenant. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur cette expérience ? N'était-ce pas un peu difficile de sortir de l'ombre d'un géant comme Giger ?
Personnellement, je n'ai pas travaillé sur des éléments évoquant Giger, si ce n'est deux plans de l'épave du Juggernaut dans la forêt. Je n'ai donc pas ressenti la puissante ombre que peut faire tomber Giger sur nous. Les autres artistes avec qui j'ai travaillé étaient très talentueux et inspirants. Nous aimons tous le travail de Giger, mais nous ne l'avons pas laissé se mettre sur notre chemin. Nous avons d'ailleurs d'avantage fait référence au travail de Ron Cobb, dessinateur sur Alien, Retour vers le Futur ou encore Indiana Jones qu'au travail de Giger de toutes façons !
La citadelle de Wayne Haag pour Alien : Covenant
J'ai entendu dire que les concept-artists avaient d'immenses étagères pleines de bouquins pour trouver l'inspiration. Est-ce que cette légende est vraie ? Et si c'est le cas, quels sont les livres, les mondes ou les artistes vers qui vous revenez pour chercher de l'inspiration ?
It's true... all of it!
C'est vrai oui, j'ai littéralement une tonne de livres, la plupart dédiés à des artistes. Les artistes britanniques de la SF des années 70 et 80, Moebius bien sûr, mais aussi des romans graphiques, du Syad Mead - un designer connu pour ses travaux sur l'architecture futuriste - des dessinateurs du vingtième siècle... La liste est longue. J'ai aussi plein de livres sur la photographie, sur les photographes de la coopérative Magnum, mais aussi sur les photographes de documentaire. Je ne me tourne pas vers les mêmes livres à chaque fois, je vais surtout vers ce dont j'ai besoin pour tel travail ou telle peinture. Et bien sûr, j'ai des Tetrabytes de références photographiques sur des tas de sujets !
Des décors de Wayne Haag pour The Wolverine
D'après ce que j'ai pu comprendre, travailler comme concept-artist peut s'avérer frustrant. Récemment on a entendu quelques concept artists s'exprimer sur le sujet, expliquant que les heures qu'ils mettent dans certains projets ne se retrouvent parfois jamais à l'écran. Surtout à Hollywood. Sachante cela, je me demandais quelle était votre vision de la chose, et m'interrogais sur votre relation vis à vis de la création.
A vrai dire, ce n'est pas notre travail que de se demander si on arrivera sur les écrans ou non. Notre travail, c'est de donner des solutions visuelles à un chef décorateur, et/ou un réalisateur. Ils utilisent vos œuvres pour informer le département artistique. Pour construire des décros ou des accessoires. Il n'y a donc aucune garantie que ce que vous fassiez se retrouve à l'écran.
C'est génial de retrouver son travail sur le résultat final, forcément, mais pour chaque élément qu'on retrouve, on peut en citer peut-être cinq qui ne verront jamais la lumière du jour. C'est comme ça. Quand vous vivez de votre art, vous ne pouvez pas vous plaindre !
Mais du coup, est-ce que le concept art est un milieu très compétitif ?
Nous vivons dans le même monde que tous les autres : tout domaine est compétitif de nos jours. Le concept art ne fait pas exception. Travaillez dur, faites des sacrifices, et vous augmenterez vos chance d'avoir du travail.
Une autre Matte Painting de Wayne Haag sur Le Cinquième Élément
Reparlons de votre travail alors. Votre premier job était Matte Painter sur Le Cinquième Élément, une production française. Diriez-vous que l'approche des équipes créatives et des réalisateurs change varie selon leur pays d'origine ?
Je dirais qu'aucune production ressemble à une autre ! Il suffit de changer un designer, un directeur artistique ou un réalisateur pour faire passer une expérience de quelque chose de joyeux à un véritable enfer. Mais oui, les différences culturelles peuvent avoir un impact. Sur Le Cinquième Élément il y avait une vraie différence sur la façon dont me traitait Luc Besson, en tant que matte painter, par rapport à des réalisateurs américains, australiens ou britanniques. Je préfère l'approche française, qui me semble plus détendue. Mais ça dépendait peut-être de l'époque aussi. Dans le milieu des années 90, Luc était peut-être simplement un gars détendu ! Qui sait.
Vous avez travaillé sur bien des projets, comme le second Wolverine, Alien ou encore Le Seigneur des Anneaux. Mais du coup, quel est votre projet préféré, à ce jour ?
J'ai connu trois productions dans ma carrière qui étaient des expériences formidables. Le Cinquième Élément, Wolverine : Le Combat de l'Immortel et Alien : Covenant. J'ai travaillé avec des gens talentueux, généreux et très ouverts créativement sur ces trois films, où mes collègues respectaient le rôle de chacun. C'était très inspirant, très revigorant, juste incroyable, en fait.
Foncdombe par Wayne Haag, pour Le Seigneur des Anneaux
Pour terminer, est-ce qu'il y a des a prioris que vous aimeriez clarifier à propos du concept art ou des concept artists ? Ou juste un mot à donner à nos lecteurs pour qu'ils puissent mieux comprendre votre travail, ou celui de vos collègues ?
Pas vraiment, ces dernières années je crois que le concept art et le digital art évoluent considérablement et je suis contiuellement épaté par ce que les jeunes artistes créent de nos jours. D'une certaine manière c'est beaucoup plus simple mais toujours plus dur. C'est plus simple pour eux d'apprendre, puisqu'il y a tellement d'endroits ou le faire. Les outils sont aussi plus simple à utiliser, qu'à l'époque où j'ai commencé. J'adore Procreate, un logiciel sur iPad par exemple, qui est tellement intuitif, c'est génial.
Mais c'est aussi plus difficile parce que le travail de tout le monde est visible, et pour ressortir du lot, c'est étonnament compliqué. Vous devez vraiment vous hausser au-dessus de la moyenne, et ne rien lui céder.
Une peinture à l'huile de Wayne Haag, pour son propre univers
Je conclus avec une dernière question bonus : j'adore votre travail à base de peintures à l'huile. Surtout parce que le concept art est de plus en plus souvent, comme vous le disiez, associé au numérique. Donc j'aimerais beaucoup que vous nous en parliez !
Mon amour pour la peinture à l'huile vient de deux choses : l'art du matte painting et la SF des années 70 et 80. Mes peintures à l'huile sont donc une combinaison des thèmes de la science-fiction que j'aime et du format large que j'adore.
Les peintures à l'huile que je réalise sont pour un livre que je prépare sur mon temps libre. Ca se place dans un monde où des vaisseaux viennent s'échouer, et où des communautés s'installent dans des épaves laissées à l'abandon. Et une série d'événements vont changer l'histoire de ce monde et de ses habitants. Un artiste sera témoin de ces événements et il va peindre. Et ce que vous verrez dans le livre sera donc une discussion sur ces événements, avec le résultat du travail de cet artiste des centaines d'années après sa mort. Une sorte de rappel à notre propre histoire et comment les artistes l'ont capturé dans le contexte de leur propre avis.
Une autre peinture à l'huile de Wayne Haag, pour son propre univers
Ma foi, ça s'annonce passionnant ! On suivra ça avec le plus grand intérêt. En tous cas merci pour vos réponse Wayne.
Merci à vous ! A très vite.