Qu'on écrive en prose, en vers ou sous forme de scénario, la publication d'une première œuvre est une étape très importante dans la vie d'un auteur. Peut-être pas la plus importante, puisque le deuxième ouvrage cristallise souvent un style ou consolide une réputation, mais un point de passage qui peut résister de longues années aux assauts d'un auteur.
En 2002, le petit monde de la littérature de l'imaginaire cédait enfin aux attaques de Richard Morgan, qui depuis des années, tentait sa chance devant les murailles de tous les médias. Auteur de nouvelles, d'articles, de scénarios et de dizaines d'écrits qui ne verront jamais le jour, le bonhomme fut privé de publication avant que Carbone Modifié n'arrive sur les étagères chez Victor Gollancz au Royaume-Uni puis chez Bragelonne chez nous.
Le grand départ
Premier roman "officiel" de Richard Morgan, Carbone Modifié, enquête placée dans un monde où la conscience a été numérisée, modifia radicalement la vie de l'auteur lorsqu'il fut enfin publié. Pas seulement parce qu'il avait passé ce fameux cap de la première publication, mais surtout parce que Hollywood s'est immédiatement intéressé à cette histoire s'inscrivant dans le genre du Cyberpunk, dont on vous parlera tout au long de cette semaine.
En l'espace de huit mois, la vie de Morgan avait basculé. Son premier roman est publié en février 2002, il est couronné par le prix Philip K.Dick du meilleur roman en 2003 et ses droits sont achetés par le producteur Joel Silver dans la foulée. Pour plus d'un million de dollars, d'après la rumeur, ce qui propulse immédiatement la carrière d'auteur de Morgan - fini les sièges longs de plusieurs années.
Pas étonnant, quand on connaît la réputation de Joel Silver, considéré comme le père du cinéma d'action moderne en ayant produit des fils comme Commando, l'Arme Fatale, Predator, Die Hard ou plus récemment, Matrix.
L'art du mélange
En 2003, Richard Morgan revient donc à la charge avec une suite de Carbone Modifié, Anges Déchus deuxième opus d'une future trilogie. Comme le premier roman dédié au charismatique personnage principal, Takeshi Kovacs, cette suite est caractérisée par un mélange des genres. La rencontre entre le Cyberpunk et les histoires de détective les plus hardboiled laisse ainsi sa place à la science-fiction militaire.
Et si l'auteur adore les mélanges, il ne se perd jamais dans sa recette, qui contient toujours un maximum d'ingrédients politiques ou militants. On pourrait citer les contextes souvent dystopiques ou les meilleurs punchlines de ses œuvre, mais le meilleur exemple de son engagement reste la doctrine Quelliste, radicale idéologie de révolution née des premiers mondes colonisés par l'espace, et que l'on découvre dans la trilogie consacrée à Kovacs.
Auteur engagé
Férocement engagé contre tous les dogmes, mais les dogmes religieux tout particulièrement, se réclamant du féminisme et dans la droite lignée de l'esprit punk de la Grande-Bretagne qui l'a vu naître, Richard Morgan prolonge l'esprit de contestation radical qui anime des œuvres comme celles de 2000 AD et dans une moindre mesure, les jeux de Games Workshop.
La plume aussi aiguisée que les armes de Ringil, le personnage de Rien que l'Acier - son essai à la Fantasy via un protagoniste brutal et homosexuel - Morgan s'en prend donc aux conventions, qu'elles soient celles de notre société ou celles de la littérature. On parlait de sa Fantasy très crue, mais on pourrait également citer Market Forces, un roman encore inédit en France, mais où les cadres de grandes compagnies réclament leurs promotionsvia des courses à la mort inspirées de Mad Max. Une start-up nation avant l'heure.
Une histoire d'abord conçue comme une nouvelle, puis comme un film, avant de devenir un roman, dont les droits appartiennent toujours à Warner Bros, qui souhaitait en faire un film. Mais quelle que soit la forme de Market Forces, on reconnaît là aussi le cynisme engagé de l'auteur, qui s'attaquait au monde du travail avec une puissance de feu verbale non négligeable.
Pour rester dans la science-fiction, l'auteur a également signé Black Man, une vision là aussi dystopique de notre futur, où un tiers des ressources du monde sont utilisées pour la colonisation de la planète Mars, alors que les États-Unis récoltent les fruits (pourris) d'une guerre de sécession qui divise le pays en trois grandes zones.
Comics et jeux vidéo
Autant de contextes qui rendent fascinant l'imaginaire de Richard Morgan, connu pour sa plume incisive et ses mondes particulièrement riches, qui se rapprochent plus d'un système social à part entière que de simples univers fictifs. Ajoutez à cela la capacité du bonhomme à écrire pour bien des formats, et vous obtenez une bibliographie assez dingue.
Celle-ci contient ainsi deux romans graphiques, sortis chez Marvel à la grande époque de Marvel Knigts, label dédié à des titres plus urbains ou plus adultes. Tous les deux furent consacrés à Black Widow, qui revenait en Russie dans Homecoming avant d'être accusée de trahison dans The Things They Say About Her.
Le travail de Morgan en tant que scénariste ne s'arrêta d'ailleurs pas là puisqu'il signa, à l'aube des années 2000, un contrat avec EA pour écrire plusieurs titres vidéoludiques. A savoir Crisys 2 en 2011, et Syndicate l'année suivante. Le second est d'ailleurs plus simple à rapprocher des écrits de l'auteur, puisqu'il voit des sortes de super-espions industriels s'affronter pour faire triompher les corporations qui les emploient.
Quel que soit le support qu'il touche, Richard Morgan ne laisse personne indifférent. Son entrée fracassante dans le milieu de la littérature et ses perçées les plus spectaculaires comme l'adaptation de Carbone Modifié ou son passage éclair du côté de chez EA sont à l'image de ses écrits : impressionnants de panache et foisonnants d'idées, qu'elles soient politiques ou simplement créatives. C'est pourquoi on se réjouit de l'arrivée de ses concepts sur le petit écran : quelle que soit la qualité de la série Altered Carbon, elle aura le mérite de confier à toujours plus de curieux les écrits poignants de Morgan.
