DossiersThe Wall, au coeur de la dystopie de Roger Waters
ScifiLittérature
The Wall, au coeur de la dystopie de Roger Waters
Par Woulfo
4 janvier 2016
Après un article sur le premier album des Pink Floyd,
nous vous proposons de (re)découvrir un des albums majeurs des Pink
Floyd : The Wall. Un peu plus de dix ans se sont écoulés depuis The Piper
at the Gates of Dawn. Syd Barrett est parti de de son côté, David Gilmour a
rejoint l’embarcation et la notoriété du groupe n’est plus à prouver.
Cependant, des fissures ne cessent d’apparaitre, année après année au sein d’un
groupe qui a du mal à choisir entre l’influence de Roger Waters et celle de David
Gilmour. Nous sommes en 1979 et The Wall est va amener le groupe dans une toute nouvelle direction.
The Wall est un immense opéra rock dystopique. En plus
d’être un album-concept sorti en 1979, l'oeuvre se définit aussi à travers un
film musical réalisé par Alan Parker en 1982 et des prestations lives
théâtrales encore inégalées aujourd’hui. Au point que Roger Waters joue toujours The Wall sur scène, plus de 25 ans après la sortie de l’album. Pour certains,
il est toujours enfermé derrière son mur et n’y est jamais sorti…
1
- La genèse
2
- Une histoire de Pink
3
- The Wall, séance d’introspection pour Waters
4
- Une histoire de Syd...
5
- Un système éducatif malmené
1.
| La genèse
Onzième album des Pink Floyd, The Wall est à la fois un
double album et un album concept. Un
album concept désigne tout album qui forme un ensemble cohérent. Comprenez
par-là que les chansons sont liées et peuvent raconter une histoire. Par
exemple, vous pouvez intégrer sous cette appellation les albums Tommy des Who, L’homme à tête de chou de Serge Gainsbourg ou encore Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles.
Fin des années 70, le succès du groupe n’est plus à
prouver. Après les succès de Dark Side of the Moon, Wish you Were Here et
plus récemment Animals, le groupe n’a aucun mal à remplir les stades à travers le monde. Mais
voilà, le blues ne cesse de pointer le bout de son nez. Roger Waters (bassiste,
compositeur et fondateur du groupe) commence à ne plus supporter le
comportement des fans pendant les concerts.
Le 6 juillet 1977 va alors rentrer dans la légende du
groupe et marque certainement la première pierre du fameux mur. Alors que le
groupe joue, un fan au premier rang ne cesse de perturber la prestation du groupe
en lançant des pétards qui explosent à quelques centimètres de Roger Waters.
Profondément agacé, ce dernier décide alors de cracher sur l’individu… L’idée
d’un mur entre le public et le groupe va alors mûrir dans la tête de Roger
Waters.
Témoin d’un mal-être qui se dessine, cet évènement s’ajoute à des conflits
personnels à l’intérieur même du groupe. La création de The Wall va venir
mettre en exergue ces difficultés. En effet, l’album est l'une des dernières collaborations entre David Gilmour et Roger Waters. Pis, pour certains fans, The
Wall est plus un album solo de Roger Waters qu’un album des Pink Floyd. Pour
preuve, la plupart des chansons sont signées Roger Waters et les thèmes de
l’album viennent appuyer sa psyché. De plus, durant la conception de l’album, Richard Wright (claviériste) est évincé du groupe par Roger Waters alors qu’il
est lui-même fondateur du groupe sous prétexte qu'il n'a plus rien à offrir au groupe !
Pour cet album, Roger Waters va insuffler un nombre
important d’éléments de sa vie personnelle. Cependant, l’album rappelle aussi la déchéance
musicale d’un certain Syd Barrett, ami de Roger Waters et premier chanteur des Pink Floyd. Roger Waters n’a jamais précisé quelle place accorder au Floyd dans
cette œuvre (à l’inverse de Wish you Were Here qui est un vibrant hommage
appuyé au bonhomme) mais gageons qu’il hante The Wall d’une façon non négligeable…
Chapitre Suivant
2.
| Une histoire de Pink
Après s’être essayé au pamphlet politique rappelant La
Ferme des Animaux de George Orwell avec Animals, Roger Waters s’attaque
maintenant à une bonne vieille dystopie qui rappelle sur certains aspects 1984
de… George Orwell. L’image d’un Pink enfermé sur lui-même qui va essayer de se
libérer d’une emprise trop importante rappelle forcément les péripéties de
Winston.
C’est bien beau tout ça, mais qu’est-ce que la dystopie ?
Une dystopie est une contre-utopie. Comprenez par-là qu’une société imaginaire empêche ses membres
d’atteindre le bonheur. Un nombre important d’œuvres peut se classer sous cette
appellation mais en plus de The Wall et 1984, citons le livre La Grève de Ayn
Rand (une des influences de Ken Levine pour le jeu vidéo Bioshock) ou le très récent film The Lobster de Yorgos Lanthimos.
The Wall nous raconte l’histoire de Pink qui va se créer
un mur fictif à la suite de divers traumatismes, l’isolant du reste de la société. The Wall
démarre de la naissance de Pink à sa libération mentale.
L’album s’ouvre sur la mort du père de Pink durant une
guerre indéfinie, évènement qui sera en
filigrane durant la totalité de l’album et qui constitue la clé de voûte du
célèbre mur.
Pendant son enfance, Pink va être aimé, choyé et couvé par sa mère. The Thin
Ice fait référence à cette mère surprotectrice, à l’instar du titre Mother. Cet
amour omniprésent constitue une des premières pierres du mur, allégorie de sa
distanciation émotionnelle qui le protège de la société.
En plus d’une mère trop présente, Pink doit faire face à
la rigidité du système éducatif qui inhibe la créativité des enfants pour les
formater en un tout commun. Pink rêve alors de révolte dans le célèbre single Another Brick in the Wall Part II.
Devenu adulte et rockstar, Pink a maintenant une femme. Il
se maintient à flot grâce à son mode de vie. Il vit du célèbre « sex,
drugs & rock ‘n’ roll » et va
malheureusement vite retomber dans ses démons en apprenant que sa femme a une
liaison avec un autre homme.
Ayant découvert l’adultère de sa femme, toutes les
briques sont maintenant en place pour finaliser la construction du mur dans Another Brick in the Wall part III. Le pot est rempli, le monde est contre
Pink, Pink est contre le monde.
« J’ai pas besoin de bras qui m’enlacent,
Ni de drogues pour me calmer.
J’ai vu ce qui est écrit sur le mur
Ne croyez pas que j’aie besoin de quoi que ce soit
Oh non, ne croyez pas que j’aie besoin de quoi que ce soit
L’un dans l’autre, ce ne sont que des briques dans le mur
L’un dans l’autre, vous n’étiez que des briques dans le mur. »
Les paroles montrent une déchéance progressive du sentiment
qu’il a par rapport à son entourage. Après avoir ressassé son passé, Pink est
maintenant enfermé derrière son mur. Il y pose une dernière touche dans Goodbye
Cruel World qui marque la fin du premier album du double-disque. L’isolement
par rapport à la société est maintenant finalisé.
Une vie
derrière le mur
Le deuxième disque s’ouvre sur Hey You et Is
There Anybody Out There, tentatives de communication d’un Pink désespéré.
Maintenant que son mur est achevé, Pink se rend compte de son erreur et va
chercher à détruire ce mur. En effet, l’état mental de Pink ne cesse d’empirer
depuis qu’il a érigé son mur et vit un quotidien terne. Dépressif et mal
dans sa peau, il ne cesse de se refermer sur lui-même.
Ce mal-être transforme petit à petit Pink en larve face à
ses démons. Il a un besoin constant d’un médecin qui l’allège de ses
souffrances avant de monter sur scène. Celui-ci lui administre une drogue qui le maintien à flot pour vivre mais elle
cache un Pink détruit à l’intérieur, rongé de part et d’autres par des vers.
Pink s’apprête à alors à monter sur scène et va vivre un
triptyque dictatorial hallucinatoire. Maintenant drogué, il monte sur
scène pour entonner des propos homophobes et racistes envers son public dans In
The Flesh. Il se prend pour un dictateur, la méchanceté et la connerie humaine
est à son paroxysme :
« Y-a-t-il des pédés dans la
salle ce soir ?
Collez-les contre le mur !
Y en a un là, dans le faisceau du projo, sa gueule ne me revient pas !
Collez-le contre le mur !
Et celui-là a l’air d’un youpin !
Et là, un raton !
Qui a laissé entrer cette racaille dans la salle ?
Y’en a un qui fume un pétard !
Et un autre qui a des boutons !
Si ça ne tenait qu’à moi,
Je vous ferais tous descendre ! »
Dans Run Like Hell, Pink devient le
chef du parti qu’il a créée et instaure une terreur auprès de son peuple :
« Tu ferais mieux de courir nuit et jour
Et de garder bien cachées tes idées dégueulasses
[…]
Gamine, s’ils vous choppent sur le siège arrière,
À essayer de crocheter ses serrures,
Ils vont te renvoyer à ta maman
Dans un carton.
Tu ferais mieux de courir ! »
Pink est encore sous le coup d’une hallucination
dictatoriale où il répand la haine en promettant à ses sujets de retrouver une
Angleterre souveraine en renvoyant les « cousins de couleur chez
eux ». Bien entendu, toute ressemblance avec des faits réels serait
purement fortuite.
Stop. A travers cette chanson, Pink va terminer son
hallucination et va pouvoir revenir dans le droit chemin pour une éventuelle
mise à mort de son mur. A noter que dans le film, Pink lit la chanson à travers
son petit cahier noir, preuve que sa libération passait par lui, et par lui
seul.
« Stop !
Je veux rentrer chez moi
Enlever cet uniforme
Et quitter le spectacle
Mais j’attends dans cette cellule
Parce qu’il faut que je sache
Ai-je été coupable pendant tout ce temps ? »
Le procès mental dont il fait part dans Stop se déroule
en toute logique dans The Trial. Cette chanson, très théâtrale, prend tout son
sens en concert où on y voit le ver (qui ronge Pink de l’intérieur) juger Pink
d’un délit nauséabond : il a été pris en flagrant délit de
sentiments !
Tous les fautifs de la construction du mur sont alors
appelés à témoigner. Dans un premier temps, le maître :
« J’ai toujours dit qu’il tournerait mal,
À la fin, votre Honneur.
Si on m’avait laissé faire à ma façon,
J’aurais pu le casser pour le faire rentrer dans le moule. »
Son ex-femme l’accable ensuite de tous les maux (« Espèce
de petite merde ») et se transforme
petit à petit en la mère de Pink qui demande à ce que Pink revienne dans son
giron.
La sentence est alors simple : il est l’heure
d’abattre le mur.
« Mon ami, puisque vous avez révélé votre peur la
plus profonde
Je vous condamne à être exposé à la vue de vos pairs.
Abattez le mur ! »
De par son introspection, Pink trouve donc le remède à
ses problèmes et arrive à se libérer du mur qu’il s’était construit au cours de
sa vie. The Trial est donc une magnifique conclusion à l’histoire de Pink. Somme
de tout ce qui aliénait Pink pour mieux s’en extirper, le titre se conclut sur
un cri de douleur et de libération de Pink.
Maintenant en dehors du mur, l’album se conclut avec le
titre Outside the Wall, ode à l’espoir.
« Seuls, ou par deux,
Ceux qui t’aiment vraiment
Font les cent pas de l’autre côté du mur.
Certains main dans la main,
D’autres rassemblés en groupes,
Les cœurs brisés et les artistes
Font face.
Et une fois qu’ils t’ont tout
donné,
Certains chancellent et puis tombent, après tout ce n’est pas facile
De faire battre son cœur contre le mur d’un pauvre fou. »
Chapitre Précédent
Chapitre Suivant
3.
| The Wall, séance d’introspection pour Waters
Nous venons de le voir dans la partie précédente, The Wall
raconte l’histoire de Pink. Cependant, force est de constater que Roger Waters
a puisé énormément dans sa propre vie et celle de son entourage pour écrire
cette histoire. The Wall est tout simplement le témoin de sa psyché.
L’enfance de Pink rappelle forcément celle de Roger Waters.
Tout comme Pink, Roger Waters n’a pas connu son père, mort durant la deuxième guerre
mondiale durant l’opération Shingle en Italie. Cet évènement a profondément
marqué la vie de Roger Waters et The Wall en est peut-être l’œuvre qui décrit
le mieux ce qu’il ressent par rapport à cet évènement. Il est intéressant de
noter que Syd Barrett, ami de Roger Waters et premier chanteur des Pink Floyd, a
aussi perdu son père. Cette perte a énormément rapproché les deux
hommes.
Dans The Thin Ice, Roger Waters évoque les séquelles
psychologiques de la guerre sur les enfants de soldats qui doivent porter le
poids de la guerre.
« Si tu dois aller patiner
Sur la fine glace de la vie moderne
En traînant derrière toi les reproches muets
D’un million d’yeux larmoyants. »
Roger Waters va plus loin et précise en interview que cette
chanson traite de l’abandon d’une manière générale et pas que les bébés de la
guerre : « ce n'est pas juste l'histoire de quelqu'un dont le père a
été tué pendant la guerre, qui grandit et qui va à l'école, mais cela a trait à
l'abandon d'une manière générale. »
Goodbye Blue Sky rappelle les évènements survenus durant
le Blitz de façon calme dans un premier temps, pour vite virer dans une
ambiance macabre.
« Regarde, maman, il y a un avion dans le
ciel! »
Dans la chanson Vera, Roger Waters évoque la chanteuse Vera Lynn.
« Quelqu’un ici se souvient-il de Vera Lynn ?
Souviens-toi comme elle disait
Nous nous retrouverons
par un jour ensoleillé »
Née en 1917, Vera Lynn est une chanteuse anglaise qui a
connu son heure de gloire durant la deuxième guerre mondiale dans laquelle elle
animait une émission radiophonique. Sa chanson We’ll Meet Again conclut
le film Docteur Folamour de Stanley Kubrick dans un tonnerre de feu.
Enfin, difficile de ne pas faire un parallèle entre le
nazisme et le triptyque hallucinatoire de Pink dans la deuxième partie de l’album.Waiting for the Worms est très explicite dans son propos en y faisant
constamment référence :
« Et de défoncer leurs portes
En attendant la solution finale
Pour durcir la pression
En attendant de suivre les vers
En attendant d’ouvrir les douches
Et d’allumer les fours
En attendant les pédés, les ratons
Et les cocos et les youpins
En attendant de suivre les vers »
Chapitre Précédent
Chapitre Suivant
4.
| Une histoire de Syd...
Dix ans séparent le départ de Syd Barrett du groupe et The Wall. Pourtant, le Syd n’a de cesse de hanter les Pink Floyd. Wish you
Where Here et Shine on you crazy diamond sont certainement les plus belles odes
à Syd Barrett mais The Wall regorge aussi de références au premier chanteur du
groupe.
D’une part, la déchéance d’une rockstar fait
immédiatement penser à Syd Barrett, symbole par excellence des ravages du LSD
sur un diamant noir. Cependant, Nobody Home est certainement le titre qui se
réfère le plus à Syd Barrett.
« J’ai un petit carnet noir avec mes poèmes
[…]
J’ai des élastiques pour attacher mes chaussures
[…]
J’ai la permanente obligatoire à la Hendrix. »
Dans une interview, Roger Waters précise :
« Syd était la seule personne qui attachait ses chaussures avec un
élastique, c'est de là que vient la ligne de la chanson. Pour la permanente
obligatoire à la Hendrix, retournez 10 ans en arrière et vous comprendrez de
quoi il s'agit. »
On peut aussi voir dans cette très belle chanson une
référence à la dépendance de Richard Wright à la cocaïne :
« J'ai des taches de nicotine sur mes doigts,
J'ai une cuillère en argent au bout d'une chaîne,
J'ai un piano à queue pour soutenir ma dépouille mortelle. »
Nobody Home décrit de façon très touchante ses deux amis qu'étaient Syd Barrett et Richard Wright.
Chapitre Précédent
Chapitre Suivant
5.
| Un système éducatif malmené
Durant toute sa carrière, Roger Waters n’a eu de cesse d’être
très engagé pour diverses causes. Il a par exemple énormément débattu sur le conflit
israélo-palestinien mais The Wall est un coup de force face à une société qu’il
ne supporte plus.
Le système éducatif est très durement attaqué par Roger
Waters dans le célèbre Another Brick in the Wall mais aussi dans The Happiest
Days of Our Lives (titre ô combien ironique).
La rigidité du système éducatif, la pensée commune qui y est instaurée
et la méchanceté des professeurs qui se vengent d’une vie terne et violente sont
pour lui source de mal-être.
« Quand nous avons grandi et sommes entrés à
l’école,
Il y avait des instits qui
Blessaient les enfants autant qu’ils pouvaient
[…]
Étalant chaque faiblesse
Que les gamins prenaient bien soin de cacher. » (The Hapiest Day of Our
Lives)
Il a un sentiment très hostile à l’égard des professeurs, source de la « protest song » Another Brick in The Wall. Roger Waters y
dénonce la rigidité des règles scolaires où les professeurs prennent bien plus
de plaisir à inhiber la créativité des élèves qu’à encourager leurs différences.
La chanson fut adoptée comme hymne contestataire en 1980
par des étudiants noirs pour dénoncer l’apartheid.
Album charnière des Pink Floyd, The Wall est l'apogée du groupe ainsi que leur dernier succès d'envergure. Témoin de la psyché d'un Roger Waters hanté par ses démons, l'album ne survivra pas à la décomposition du groupe quelques années plus tard mais survivra à Roger Waters. À l'heure où j'écris ces lignes, il porte encore à bout de bras sa séance de psychanalyse à travers les stades et salles du monde entier.
Merci au site seedfloyd.fr pour la traduction des chansons.