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Édito #61 : c'est la crise chez Legendary Pictures

Par Republ33k
21 septembre 2015
Édito #61 : c'est la crise chez Legendary Pictures

Coup de tonnerre de la semaine dernière, la pause exercée sur le projet Pacific Rim 2 n'est que la face visible d'un iceberg en forme de crise pour notre Titanic cinématographique, la société Legendary Pictures de Thomas Tull. En brisant ses liens avec Universal, moins de deux ans après s'être séparée de Warner Bros, l'entreprise risque de mettre à mal des gros noms comme Pacific Rim, mais aussi le tant attendu Warcraft.

C'est la Tull !

Fondée en 2000 par Thomas Tull, qui se décrit lui-même comme un fanboy (de comics, entre autres), Legendary Pictures est une société de production de films. Mais contrairement à nombre de ses pairs, celle-ci est l'une des rares à être directement liées à Wall Street. Un financement qui est un héritage direct du passé de business man de Thomas Tull, considéré comme l'une des plus fortes têtes de la production cinématographique, qui n'hésite pas à parier sur des projets radicaux, en témoigne la création de Brash Entertainment, une entreprise qui devait faire de l'adaptation de films en jeux-vidéo une spécialité, et qui connut un destin pour le moins funeste.

Electron libre déambulant au milieu d'un système hollywoodien bien contrôlé par les studios, Thomas Tull, incontestablement, dérange. Et si son audace a pu mener des projets à la vie, comme le Watchmen de Zack Snyder, film qu'il a sauvé d'un development hell en se portant acquéreur des droits de l'œuvre d'Alan Moore, elle agace. Et nous n'avons finalement aucun de mal à croire les différentes rumeurs faisant état d'un Tull beaucoup trop fier de son travail sur la trilogie Dark Knight, qu'il a co-produit avec Warner Bros, partenaire historique de Legendary depuis 2005. Au terme d'un contrat de co-production de sept ans et de quarante films, Warner Bros, a priori exaspéré par cette attitude, avait décidé de ne pas renouveler ses accords avec Legendary Pictures, qui se tourna alors vers Universal pour une collaboration similaire.

De Seventh Son à Jurassic World 

Elle devait durer cinq ans, et a fait des dégâts dès ses débuts. Souvenez-vous de Seventh Son, avec Jeff Bridges. Ce film de Fantasy avait sévèrement mordu la poussière en cours de production, essuyant les feux de Thomas Tull, de Warner Bros, un temps associé au projet, et d'Universal, qui récupéra tant bien que mal le bébé. Résultat, un film à peine complet pour une sortie en salles retardée de près d'un an. Techniquement, Universal n'aurait pas dépensé un sou dans la création de Seventh Son, mais a forcément employé de la main d'œuvre et du temps pour sa promotion et sa distribution en salles. Autant vous dire que la relation entre les deux entreprises ne partait pas sur les meilleures bases. 

Du côté de Legendary Pictures, on soigne aussi les plaies d'Universal, et son improbable tentative d'univers partagé, mot très à la mode à Hollywood, basé sur les monstres classiques de la littérature. En ressort un Dracula Untold impertinent, qui a des allures de parodie : à bien y regarder, la dernière chauve-souris de Legendary, les Batman de Nolan, avaient bien plus de gueule. Les différends entre les deux entreprises se seraient poursuivis sur des projets comme Blackhat, le dernier Michael Mann, qu'Universal a refusé de co-produire, ou encore sur Jurassic World, immense succès qui aurait une nouvel fois poussé Thomas Tull dans les bras de l'ego-trip. La vérité est sans doute plus complexe, avec un Universal en totale position de force après avoir inscrit deux films, Jurassic World et Furious 7, au box-office all-time.

Quel avenir pour Pacific Rim ?

Résultat, Thomas Tull, certes loin de la banqueroute, se retrouve la queue entre les jambes, essoré par le système de studio, qu'il cherchait à contourner. Tout en restant impliqué sur les projets en cours, comme Warcraft, Universal lui fait coucou du hublot, tandis que Warner Bros se frotte les mains à l'idée de récupérer un Tull en difficulté. Après tout, Legendary Pictures n'a pas encore les reins assez solides pour s'auto-produire et assurer tout le cycle de vie de ses films. Résultat, la presse spécialisée rapporte déjà le retour de Tull dans le camp de Warner Bros, qui a eu tôt fait de lui dicter sa loi, en témoigne le premier projet récupéré par les frères Warner : le Kong : Skull Island de Jordan Vogt-Roberts, mis sur le rails d'un crossover avec le Godzilla de Gareth Edwards et sa suite. Les autres, y compris Pacific Rim 2, attendront.

Pour les fans, l'attente sera assurément insoutenable. Mais d'un point de vue business, la décision est tout aussi désolante. Legendary Pictures nourrissait de grandes ambitions pour la création de Guillermo del Toro, pour laquelle l'entreprise était prête à assurer toutes les dépenses nécessaires à son succès. Un succès qui serait passé par une case de plus en plus lucrative, le marché asiatique (et notamment la Chine), qui sur le papier, est capable de mettre Lengedary Pictures sur la voie de la totale indépendance. En plus d'assurer un avenir à la licence Pacific Rim. 

Warcraft à la conquête de la Chine

Mais ne vous méprenez pas,  le roi commence déjà à bouger ses pions. Aujourd'hui, The Hollywood Reporter révèle que Legendary Pictures a signé un accord avec Tencent Pictures, la branche cinéma du géant chinois Tencent, et son partenaire propriétaire Wanda Cinemas, qui détient la chaîne de salles obscures la plus importante du pays. La production des futurs films Warcraft serait ainsi en partie assurée par Tencent, tandis que la promotion du film de Duncan Jones et de ses futurs successeurs sera prise en charge par Wanda pour la Chine. Un deal qui passe pour le moment inaperçu mais qui n'est en rien anecdotique pour l'avenir de Legendary Pictures, qui pourrait bien remplacer Pacific Rim par Warcraft dans sa stratégie globale.

A l'échelle des films adaptés de jeux-vidéo, d'ailleurs, Legendary Pictures est un acteur majeur. Et la réussite ou l'échec de ses productions, dont Warcraft, devrait peser pour beaucoup dans l'avenir du cinéma de divertissement : après tout, beaucoup attendent les films adaptés de jeux-vidéo comme le successeur du genre super-héroïque, et avec Warcraft, mais aussi Mass Effect, Thomas Tull a encore de belles cartes à jouer. Reste à savoir combien de projet passeront à la trappe entre temps. Or, en revenant dans les bras de Warner Bros, Legendary Pictures divise son libre arbitre, et devra sans aucun doute abandonner des films pour en soutenir d'autres. Warcraft étant, malgré maintes déboires, très attendu, il s'assure un vrai soutien de la part des joueurs impliqués, même si Universal pourrait se contenter du strict minimum. Avec 411 millions de dollars au box-office mondial, Pacific Rim est dans une situation un peu plus périlleuse, certes, mais son succès d'estime, le nom de Del Toro et la poigne de Tull pourraient ramener les Jaëgers et les Kaijus sur le devant de la scène.