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Édito #71 : Quand les films parlent d'eux-mêmes

Par Republ33k
11 janvier 2016
Édito #71 : Quand les films parlent d'eux-mêmes

Avec un mois de janvier chargé de belles sorties cinéma, l'année 2016 se présente sous les meilleures auspices sur grand écran. Mais avant de tourner définitivement la page, revenons sur 2015 et l'une de ses plus grandes tendances. Peut-être l'avez vous remarqué, mais l'année dernière, les plus gros films venus d'Hollywood, que se soit au box-office ou dans les cahiers critiques, étaient ceux qui parlaient d'eux-mêmes. Enquête sur ce drôle de phénomène.

Évidemment, on ne peut pas dater cette tendance. Une seule chose est sûre, elle n'a pas débuté en 2015, loin de-là. On pourraient même dire que les films qui parlent d'eux-mêmes sont presque aussi vieux que le cinéma, après tout. Mais du côté d'Hollywood, cette méta-lecture pourrait trouver ses origines dans le film Last Action Hero. Réalisé par le géant du cinéma d'action John McTiernan, le métrage a en effet été l'un des premiers à parler de ce qu'il était lui-même : un film d'Arnold Schwarzenegger. Et pas seulement sur le ton de l'humour, puisqu'on retrouve dans le film une vraie dimension critique, voire sociologique, sur la question de l'actioner. Sans doute trop avant-gardiste pour son époque, à savoir l'année 1993, le film n'avait rencontré son succès. Sacré ironie du sort pour un film qui, vingt avant son règne, avait prédit la popularité de l'humour méta, et le caractère autoréflexif des productions hollywoodiennes.

Mais revenons en 2015. Année qui fut définitivement celle des films qui parlent d'eux-mêmes, avec bien des candidats, comme le dernier Hunger Games, Mad Max : Fury Road, Jurassic World, Terminator : Genisys ou encore Star Wars : The Force Awakens, pour ne citer que les films rentrant dans le carcan de SyFantasy. D'autres candidats pourraient ainsi être Birdman, The Hateful Eight, de Quentin Tarantino, ou encore Furious 7, dans une atmosphère plus pop-corn. Une liste assez longue, qui nous oblige à poser la question suivante : pourquoi les films de l'année dernière parlent autant d'eux-mêmes ?

À mon sens, au milieu d'un Hollywood toujours plus hybride et toujours plus tendu, cette auto-réflexion est synonyme de lent retour aux sources. Si la tendance générale est à l'appauvrissement des œuvres créatives et innovantes, il est normal que les plus gros succès retournent vers de véritables pères fondateurs pour retrouver l'origine de la sacro-sainte originalité. Et pour rester dans l'aspect licencier ou franchisé de la chose, les gros noms de l'entertainment arrivant maintenant au-delà de leur quatrième opus - pour la plupart - il est normal de les voir entamer un cycle en revenant à ce qui faisait la saveur des originaux. Une nouvelle mutation pour Hollywood, en somme. Et comme toutes les précédentes, elle effraie.


Les suites faisaient peur. Puis elles ont connu leur âge d'or avec des films remarquables, comme Aliens, Terminator : Judgment Day (tous les deux de James Cameron) ou encore Indiana Jones and the Temple of Doom (de Steven Spielberg) et Back to the Future Part II (de Robert Zemeckis). Après des années de suites, le public a pourtant fini par les craindre, avant de les confondre systématiquement avec de mauvais films. Hollywood a alors penché du côté du remake, du reboot, puis du soft reboot, avec des résultats mitigés, comme les deux Star Trek de J.J.Abrams, par exemple. Et nous entrons maintenant dans un nouvel âge, lui aussi fait de mots barbares et de grandes tendances.

Cette mode, vous l'aurez compris, c'est la présence, dans les films hollywoodiens, d'une méta-lecture toujours plus prononcée, et pas nécessairement humoristique. Mais dans tous les cas, elle est sans doute le reflet d'un malaise industriel et artistique, et c'est ce qui rend tous les films de 2015 diablement passionnants. Même lorsqu'on essaie de les qualifier avec des gros mots comme Remakequels (mélange de remake et de suite) ou Legacyquels (suite qui fait passer le flambeau), qui à mon sens, prendront dans les mois à venir la place des suites et autres (soft) reboots


Et selon moi, la puissance de ces termes ne se mesure pas uniquement à leur sémantique ou au succès des films qu'ils qualifient au box-office. Elle transpire aussi dans les choix artistiques faits par tous ces métrages. Artistiquement parlant, l'ascension des Remakequels ou des Legacyquels est peut-être encourageante quant à l'état de santé d'Hollywood. Après tout, les films sont toujours plus intéressants lorsqu'ils parlent d'eux-mêmes que lorsqu'ils ne parlent de rien, ou d'une histoire rendue fade par des suites à rallonge. De plus, le Remakequel n'empêche pas un métrage de briller. Bien moins qu'un remake tout court en tous cas, puisque la comparaison devient moins évidente. Mad Max : Fury Road est ainsi au sommet des "top 2015" de tous les cinéphiles, parce qu'il introduit des personnages instantanément cultes au milieu d'éléments qui sont pourtant similaires à Mad Max 2 : The Road Warrior

On peut en dire autant de The Force Awakens, qui est, bien plus que le film de George Miller d'ailleurs, centré sur lui-même, comme l'expliquait J.J.Abrams récemment. Au passage, dans un épisode récent du podcast Fighting in the War Room, Joanna Robinson décrivait le film comme une véritable fable méta, dans laquelle Rey est en fait Abrams, à la recherche d'une magie perdue et personnifiée par Luke, qui représente symboliquement George Lucas, tandis que Kylo Ren, perdu entre deux mondes, incarne la prélogie. Une analyse plutôt intelligente, et en tous cas légitime.

Bien plus, à mon sens, que celle faite par des fans et des journalistes sur Jurassic World, qui serait une pique discrète envoyée à Hollywood, dans le sens où les jeunots du films de Colin Trevorrow, en découvrant des dinosaures, veulent vivre une expérience merveilleuse mais familière à la fois. Exactement notre position lorsque nous entrons dans une salle de cinéma diffusant le nouvel opus d'une grosse franchise. Un peu facile quant on sait que le film de Trevorrow est bourré des défauts typiques des blockbusters contemporains. C'est également affaire de goût, mais contrairement à The Force Awakens, le quatrième Jurassic Park a de plus oublié de nous proposer une nouvelle générations de personnages passionnants.

Il n'empêche que les Remakequels ou les Legacyquels pourront être vus comme les nouvelles gangrènes du système hollywoodien. Dans le sens où les studios ont tout à gagner en capitalisant sur la nostalgie des premiers films (la partie remake de la chose) tout en proposant un minimum de nouveautés (la partie suite du concept). Mais à bien y regarder, comme toujours, la recette est avant tout une question d'équilibre. Je suis encore sous le choc du succès du Jurassic World, et toujours aussi impressionné par la puissance de The Force Awakens. Mais je vois très bien ce qui permet à ces films de l'emporter sur d'autres Remakequels, comme Terminator : Genisys par exemple. L'échec critique voire financier du film d'Alan Taylor nous prouve bien que ce nouveau concept n'est pas la panacée pour les studios.

Au contraire, en étant un peu optimistes, on pourrait le voir comme une belle solution. Après tout, revenir aux origines, quitte à camper sur une structure de remake, peut avoir du bon. Ce fut le cas pour Star Wars, qui a fait, qu'on aime ou non le film, une belle démonstration des méthodes "à l'ancienne" avec des décors, des costumes et un casting tous hyper-attachants. Avec un peu de chance, d'autres studios et d'autres franchises emboîteront ainsi le pas à la saga et trouveront, dans leur propre retour aux sources, les moyens de s'assurer une pérennité financière ET artistique. D'autant plus que le concept est à double tranchant. Pour qu'il fonctionne, assure J.J.Abrams, il faut accepter de pleinement revenir en arrière pour mieux aller de l'avant.

Ainsi, je ne suis pas persuadé que Jurassic World II (ou Jurassic World War comme j'aime à l'appeler) ou Star Wars : Episode VIII seront des remakes déguisés de The Lost World ou de The Empire Strikes Back. Si le public accepte cette méta-lecture aujourd'hui, c'est parce qu'elle est synonyme d'un retour au sources dans un premier temps, et d'une promesse d'originalité pour demain. Ce qui devrait rendre les suites de ces deux blockbusters passionnantes. Et pour quitter ces deux exemples, c'est ce qui permet aujourd'hui à la franchise Mad Max de revenir sur le devant de la scène, avec un nouveau public et des enjeux renouvelés. En espérant que tout Hollywood suive.

"Everything’s changed, but nothing’s changed"