"Je commence à être soulé par cette notion selon laquelle un film de monstre doit attendre au moins 40 minutes avant de montrer la créature" disait récemment un certain Jordan Vogt-Roberts au micro d'Entertainment Weekly. Assurément, le réalisateur de Kong : Skull Island entend prendre un chemin bien différent de celui d'un Gareth Edwards sur Godzilla et de ses pairs metteurs en scène s'étant récemment attaqués à des films de monstres. Mais l'envie de cacher les créatures les plus célèbres de l'histoire du cinéma ne date pas tout à fait d'hier non plus, d'où la question du jour, à savoir : faut-il cacher le monstre pour le rendre plus terrifiant ?
A n'en pas douter, Vogt-Roberts n'est pas de cet avis, ce qui est surprenant à plus d'un titre. D'une part, parce que son film, Kong : Skull Island, se déroule à priori dans le passé de l'univers du Godzilla de Gareth Edwards, et d'autre part, parce le premier King Kong cachait lui aussi le monstre pendant un certain temps. Tout comme le dernier film en date consacré au grand singe, celui de Peter Jackson, qui prenait un malin plaisir à aligner toutes sortes d'autres bestioles avant de mettre en scène la créature qui donnait son nom au film. A croire que le jeune réalisateur, qui appartient à cette génération venue de l'indé' (via son long-métrage The Kings of Summer) pour mieux faire du blockbuster, a mis les pieds dans le plat.
Effectivement, cacher le monstre le rend plus terrifiant. Ce n'est pas forcément une vérité universelle, mais du point de vue de l'écriture et de la mise en scène, l'affirmation peut être ferme, puisqu'elle n'est jamais qu'une des très nombreuses illustrations d'une technique narrative très classique : une construction lente et suffisamment bien travaillée peut rendre une révélation plus explosive encore. Et si je n'ai pas tellement apprécié le Godzilla de Gareth Edwards, j'imagine que le caractère tout simplement jouissif de son combat final ne sort pas de nulle part. Il est essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, basé sur la mise en scène allusive d'Edwards et le montage frustrant de Bob Ducsay. D'ailleurs, si on le prend à part, cet affrontement entre le roi des monstres et les Mutos n'est pas aussi impressionnant. Certes, la qualité de la vidéo ci-dessous joue un peu dans ce constat, mais je reste persuadé que la puissance de la séquence réside dans la construction du film, et pas uniquement dans les fatalities de Godzilla :
Maintenant, au-delà d'une écriture efficace et finalement assez simple à mettre en place, pourquoi les auteurs et réalisateurs cherchent-ils à cacher le monstre ? C'est peut-être moins le cas de nos jours, mais il y a évidemment une notion de faisabilité derrière tout ça : on ne peut pas toujours montrer le monstre dans les situations ou les décors où ont aimerait le placer, ou alors pas complètement. C'est sans doute ce qui incitait Ridley Scott à cacher ou du moins à tapir dans l'ombre son huitième passager dans le premier Alien. Et pour en revenir à Gareth Edwards, c'est justement tout ce que faisait le réalisateur dans Monsters, son premier long-métrage, que je vous recommande par ailleurs chaudement, puisque je le trouve en tout point supérieur à son essai sur Godzilla. D'une manière assez ironique, le réalisateur britannique avait ainsi reproduit dans un film à 160 millions de dollars de budget une recette qui fonctionnait parfaitement sur un métrage fait pour 500 000 de billets verts, quitte à ce que ce choix aille à l'encontre de son style très documentaire. Edwards tourne très souvent à hauteur d'homme, en étant très proche de ses personnages, qui à moins d'être myopes, ne pourraient pas manquer un Godzilla marchant à l'horizon, quand on y pense.
Pour des raisons pratiques ou narratives, il est donc utile et même préférable de cacher un maximum le monstre. Mais quand on y réfléchit, il y a bien d'autres façons de le rendre terrifiant, et c'est peut-être ce que les récents titres du genre et leurs réalisateurs ont tendance à oublier. Pour revenir sur Alien, Jean-Pierre Jeunet l'avait par exemple prouvé avec son Resurrection, dans lequel des Xénomorphes nageaient vers leur proie (voir la dernière vidéo de cet article) : une image terrifiante s'il en est, qui fonctionne parce que le réalisateur a suffisamment décalé un monstre bien connu (et donc très souvent montré) de son environnement habituel. On peut également penser aux aptitudes d'une créature, qui, lorsqu'elles sont suffisamment soutenues par la réalisation, peuvent rendre le monstre terrifiant, dès les premières minutes. Citons par exemple la vision thermique du Predator ou plus récemment le camouflage naturel de l'Indominus Rex, qui permettaient de faire monter la pression.
Seulement, maintenant que j'y pense, ces deux derniers exemples reviennent à cacher le monstre : voir le film se dérouler à travers les yeux du Predator est évidemment un moyen de faire comprendre au spectateur que la bestiole est là, quelque part, sans la caser dans le champ. Et le camouflage du dinosaure de Jurassic World est évidemment une application littérale de cette "invisibilsation" du monstre, comme l'est la technologie optique de la créature de John McTiernan, qui avec Predator, s'exerçait à un véritable jeu sur ce qui est ou non logé dans le cadre, comme l'expliquait assez bien une vidéo du Fossoyeur de Films sur le sujet. A croire que cacher le monstre paie toujours, là où les autres techniques peuvent s'avérer plus risquées. Mais n'est-ce pas justement tout ce qu'essayait de nous dire ce cher Jordan Vogt-Roberts ?
En effet, il suffit de grossir le trait pour comprendre qu'au moins deux tendances résident au sein du film de monstre. La première veut qu'on cache le monstre. La seconde veut qu'on le dévoile le plus rapidement et le plus violemment possible. Une approche qu'on retrouve plus souvent du côté des tons les plus horrifiques, qui cherchent à nous montrer tous les dégâts causés par le monstre. Résultat, on se retrouve avec une technique très littéraire, quelque part, quand l'autre est beaucoup plus spectaculaire, de l'autre : comme si les réalisateurs penchaient seulement du côté des extrêmes.
Un entre-deux ou un mélange des approches est pourtant possible, et je dirais même qu'il est souhaitable. Si Jordan Vogt-Roberts est connu pour être fort en gueule, sa déclaration est peut-être une belle promesse faite aux spectateurs qui attendent des futurs films de monstres une nouvelle mise en scène, une nouvelle écriture, même s'ils ne formulent peut-être pas (encore) ce souhait tout haut. Je pense que personne n'a envie d'un King Kong construit et mis en scène comme un Godzilla à peine vieux de deux ans - qu'on l'apprécie ou non. D'ailleurs, en plaçant son film au cœur de la guerre du Vietnam, le réalisateur nous a peut-être donné un indice sur la teneur de son Kong, puisque les films sur le conflit avait fait rimer grand spectacle et denses réflexions au cœur d'un genre vieillissant, à leur époque. Et c'est tout ce qu'on souhaite à Skull Island à deux jours de son nouveau trailer : qu'il ait l'impact qu'ont pu avoir les grands films consacré au conflit dans sa catégorie de métrages, où les monstres ont la chance d'être bien plus fun, qu'ils soient lézards, singes ou extraterrestres.