1.
| Les yeux dans l'ombre
S'il se dirige vers des études d'architecture grâce à son talent inné pour le dessin et la précision incroyable de son trait, H.R. Giger est passionné dès son plus jeune âge pour tout ce qui relève des univers noirs, qui le fascinent autant qu'ils l'effraient. Né en 1940 à Chur en Suisse, il vient d'une famille modeste dont le père était le pharmacien local. Un jour, pour fêter une promotion, Giger Senior rentre du travail avec un crâne humain.
C'est un déclic pour le jeune enfant qui est alors passionné par la puissance symbolique de l'objet représentant à la fois vie et mort. Il reste sur cette image pendant longtemps puisque cette découverte de jeunesse transparaîtra tout au long de sa carrière et de son œuvre. Giger est d'ailleurs né sous une bonne étoile puisque sa mère explique à de nombreuses occasions que si elle n'a jamais compris la fascination de son fils pour les univers étranges, elle a toujours été l'un de ses plus grands soutiens. Cet encouragement perpétuel lui permet très jeune de se focaliser sur la création et l'enrichissement de son propre univers. Il développe une passion pour les trains fantômes et se met à l'œuvre dans le jardin de ses parents pour en construire un, qu'il utilise pour effrayer ses ami(e)s.
En parallèle de son travail dans l'architecture, Giger n'a de cesse de dessiner et il devient rapidement un adepte de l'aérographie. Cette technique de peinture unique utilise un pistolet à air comprimé pour projeter l'encre sur la toile, ce qui la rend précise mais extrêmement difficile à maîtriser. C'est ainsi que notre ami commence à se faire un nom puisqu'il organise ses premières expositions. Éternel insatisfait, il préfère rapidement exposer avec d'autres artistes, de son propre aveu pour éviter d'avoir à contempler ses œuvres.
Malgré son travail à temps plein, la vie de Giger est orientée dans la maîtrise et le domptage du style qu'il nomme biomécanique, un mélange savant d'images biologiques et technologiques. Il va rapidement s'intéresser à Freud et tient un carnet dans lequel il décrit méthodiquement ses rêves pour pouvoir en extraire la sève et les retranscrire sur la toile. C'est dans cette même optique qu'il déménage en 1967 (à l'âge de 27 ans donc) dans l'appartement vide d'une maison abandonnée de Zurich.
A la fin des années 60, il décide, sur les conseils d'un ami, d'arrêter totalement son travail de designer pour se lancer à totalement dans l'art. Il réussit rapidement à se faire des contacts en Suisse et connait ses premiers clients, qui n'auront de cesse de promouvoir son art pourtant difficilement reçu à cause du caractère sexuel la plupart de ses toiles. Évidemment, son univers vient croiser la route de l'œuvre de H.P. Lovecraft, qui le passionne au point de sortir un recueil d'illustrations inspirés de l'œuvre du britannique, H.R. Giger's Necronomicon.
Alors qu'il doit faire face au tragique suicide de sa compagne Li Tober après 9 ans de relation, sa première publication lui ouvre de nouvelles portes et lui permet de noyer son chagrin, puisqu'il est appelé aux USA pour travailler sur le projet d'un certain Alejandro Jodorowsky...
2.
| Quand l'Alien rencontre l'alien
Projet hautement culte malgré qu'il n'ait jamais vu le jour, le film Dune d'Alejandro Jodorowsky se paie les talents de H.R. Giger pour créer son univers visuel. Cette porte d'entrée dans le 7eme Art n'est pas la meilleure expérience pour l'artiste, puisque le projet est tué dans l'œuf pour cause financement. Mais rien n'est perdu puisque l'expert des effets spéciaux, Dan O'Bannon, qui a repéré Giger, l'engage sur son prochain projet.
Ce concept est un hybride entre un métrage d'horreur et de science-fiction que O'Bannon a pitché sous le titre de Star Beast. Rapidement, le concept évolue pour devenir Alien et le jeune Ridley Scott est alors attaché au projet pour le réaliser. Il remarque en particulier le tableau Neocronomicon IV de Giger qui sera clairement l'inspiration principale pour la création du Xénomorphe. Engagé seulement pour réaliser la créature, officiellement, H.R. Giger révélera plus tard qu'il avait décidé de prendre en charge toute la direction artistique du film en constatant que les équipes de Ridley Scott avaient besoin d'aide. Dans un premier temps, Giger pense que rejoindre l'industrie du cinéma lui offrira l'opportunité de financer ces projets futurs, mais il ne connait encore rien à la production de films.
Alien est donc un défi de taille pour lui, à une époque difficile de sa vie. Il doit encore faire le deuil de sa compagne et se retrouve dans une position où il doit tout apprendre. Il confiera cependant que c'est cette période difficile lui a permis de stimuler sa créativité et considère son travail sur le film de Ridley Scott comme le meilleur design de cinéma de sa carrière. Insatisfait, il considère n'avoir jamais égalé la puissance du Xénomorphe avec ses autres dessins pour le 7eme art. De part le caractère très sexualisé de son style, il est cependant forcé par la Fox de faire quelques changements dans le design des œufs des face-hugers, très proches d'un sexe féminin dans ses premiers croquis. Cet aspect reste pourtant très présent dans les travaux du film, notamment la tête phallique de l'Alien.
Giger est pourtant lucide sur le projet puisque le Huitième Passager lui laisse alors une liberté artistique qu'il ne retrouvera jamais pas la suite au cinéma. Il a la possibilité d'exprimer pleinement son art à travers la créature mais aussi dans le design et les couloirs organiques du vaisseau Ingénieur dans lequel Ellen Ripley et l'équipe du Nostromo ont la mauvaise idée d'entrer sur LV-426. Ce premier pas dans le cinéma sera l'occasion pour Giger de travailler sur de nombreux projets par la suite comme La Mutante ou encore Batman Forever, film pour lequel il dessinera un des prototypes de la Batmobile.
Mais Hans Ruedi est un artiste avant tout et il se détournera peu à peu du cinéma, trop frustrant pour lui. En effet, dans le processus de pré-production, il réalise peu à peu qu'il n'est plus engagé pour son style mais pour appliquer son trait à la vision de producteurs et réalisateurs. Il concède avoir jeté trop de bonnes idées graphiques et il arrive souvent qu'il exprime ses doutes au monde entier, ce qui ne plaira évidemment pas aux studios hollywoodiens. Pour autant, cela n'empêchera pas Giger de continuer sa riche carrière...
3.
| Giger, l'art avant tout
Si H.R. Giger a été découvert aux yeux du monde grâce à l'exposition globale que lui a offert Alien, l'artiste est protéiforme. Toujours curieux et envieux de pousser son art vers un niveau supérieur, Giger n'hésite pas à se mêler à de projets divers et variés notamment dans la musique. Grand amateur de métal, le bonhomme multiplie en effet les partenariats avec des groupes de musique, principalement pour réaliser des couvertures d'albums. Notre bon ami Strafeur avait d'ailleurs écrit un dossier sur ce point.
Mais il ne se limite pas à la musique puisqu'il est notamment crédité au générique du jeu vidéo Dark Seed (même s'il n'a pas participé à ce dernier). Le point'n'click de Cyberdreams sort en 1992 sur de nombreuses plateformes dont le PC et la Playstation. Cette expérience plonge en effet le joueur dans une aventure horrifique au cœur d'un univers torturé entièrement recouvert de la patte "biomécanique" de Giger. Le jeu vidéo connaîtra d'ailleurs un excellent accueil critique auprès de la presse, mais moins du côté des joueurs à cause de ses nombreux bugs et de sa difficulté extrême.
En effet, le jeu doit être fini en trois jours et certains objets ne sont disponibles qu'une seule journée. Il est donc possible pour les joueurs de passer à côté d'un item au premier jour, ce qui les empêcheront de le finir une fois la dernière journée arrivée. Pour autant et rétrospectivement, Dark Seed est considéré comme le septième jeu vidéo le plus effrayant de tous les temps à cause de l'univers oppressant de Giger. Il connaîtra une suite sobrement intitulée Dark Seed II qui créditera une nouvelle fois le suisse au générique même s'il ne travaillera pas sur le projet.
Tout au long de sa carrière et pour donner véritablement vie à ses œuvres, Giger s'adonne à la sculpture. Il reviendra d'ailleurs lors des dernières années de sa vie, alors qu'il habite dans une maison à Zurich, pour revenir à son amour de jeunesse pour les trains fantôme pour en construire un véritable dans son jardin. Vu comme un passe-temps pour l'artiste, ce train demeure pourtant l'une de ses œuvres les plus imposantes et constitue un véritable petit musée dédiée à ses travaux. C'est dans cette même optique de création qu'il mixera ses premières années de design avec son style pour donner vie à quelques pièces de mobilier qui serviront principalement à habiller les quatre bars "Giger" ouverts en Suisse, à New York et à Tokyo.
Sans jamais cesser de travailler, sans jamais cesser de pousser sa vision au niveau supérieur, Giger passe les dernières années de sa vie à dessiner chez lui, dans une maison qui deviendra un véritable musée à sa gloire. Je vous invite d'ailleurs chaudement à regarder le documentaire sur sa vie, qui le suit dans le quotidien dans cette demeure unique, Dark Star : H.R. Giger's World.
Véritable Lovecraft dans l'âme, H.R. Giger a réussi à créer un univers visuel unique qu'il a façonné au fil de ses tableaux, sculptures, designs, etc... Si le point d'orgue de sa carrière publique arrive en 1979 grâce à Alien, le Huitième Passager qui lui a ouvert les portes du monde, Hans Ruedi n'a jamais cessé de perfectionner sa bio-mécanique. Esprit torturé, il réussit à transposer ses idées sur le rapport entre l'humanité et la nature ou encore l'humanité et la sexualité avec une justesse toujours dérangeante et oppressante. Aujourd'hui considéré comme un artiste unique, Giger, malgré son trait inimitable et troublant, est assurément une source d'inspiration pour des artistes de milieux variés et dans le monde entier.