1.
| La Genèse
Genèse 3.4-5 "Alors le serpent dit à la femme: Vous ne mourrez point; mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. "
Pour ouvrir ce dossier, parler du personnage principal semble essentiel puisque Ripley incarne à elle seule plusieurs figures bibliques. Tantôt Ève, tantôt Jésus Christ, elle est l'ancrage de la thématique religieuse tout au long de la saga. Elle personnalise à la fois l'humanité qui tend vers le divin et à la fois la femme.
Tout son parcours le long de la saga relève du cycle féminin et, sous son caractère fort et indépendant, on peut entrevoir les différentes phases de la sexualité de la femme. Elle est la vierge fuyant sa sexualité dans le premier film puis devient mère par procuration dans le second, assurant la tutelle de la petite Newt. Elle prend une forme plus charnelle dans le troisième film en devenant l'image de la tentation. Enfin, sa résurrection la place au rang de divinité.
Avec Alien 3, Fincher fait l'étalage d'un nombre impressionnant de scènes religieuses. À commencer par la scène d'introduction du film, que l'on peut percevoir comme une relecture du péché originel.
Dans la Genèse, Ève cède à la tentation en croquant le fruit de l'arbre de la connaissance. Elle convainc Adam de faire de même. Elle est à la fois victime puis coupable. Son sexe devient instantanément "le sexe faible", incarnation de la tentation et du péché. La Genèse dit à ce sujet :
Genèse 3.16 "Dieu dit à la femme : J'augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras dans la douleur et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il te dominera. "
Dans Alien 3, Ripley, seule femme dans un monde d'hommes en autarcie, apporte le péché dans la communauté, incarné à la fois par elle-même, de par sa qualité de femme et donc d'objet sexuel, et par le Xénomorphe. Elle est, tout comme dans la Genèse, à la fois victime puis coupable de la tentation.
Son histoire avec le Dr Clemens va également en ce sens puisque l'Adam choisit par Ripley meurt rapidement, victime de son péché tandis que Ripley, de par son immunité de "Mère", survit. Inutile de rappeler à quel point ce thème de la maternité est présent dans la saga.
Toutefois, certains points semblent intéressants à creuser, en particulier la remise en cause d'un Dieu masculin. Le fameux ordinateur du Nostromo, appelé "Mother" par l'équipage et le rôle de l'Alien-mère, sont deux des exemples illustrant la vision féminine de la divinité. En cela, la saga joue subtilement une carte extrêmement moderne pour son époque.
2.
| Le Nouveau Testament
Évangile selon Jean, 1.14 "Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous. "
Le Nouveau Testament regroupe l'ensemble des écrits bibliques concernant la vie de Jésus, en commençant par sa naissance.
Si Ripley est perçue plusieurs fois dans la saga comme l'incarnation du Christ, elle est dans un premier temps sa mère. Le premier film de la saga peut être vu comme une relecture horrifique de l'Annonciation.
Pour préciser le contexte, la Bible appelle "Annonciation" la venue d'un ange descendu vers la vierge Marie pour prophétiser l'arrivée de son fils. En voici une traduction :
Luc 1, 26-38 : "L’ange lui dit alors : "Sois sans crainte Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ;(…) Marie dit à l’ange : "Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ?" L’ange lui répondit : "L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu. (…) Marie dit alors : "Me voici la servante du Seigneur ; que tout advienne selon ta parole. " Alors l’ange la quitta."
Et si la vierge Marie avait refusé la proposition ? Si l'on veut ancrer Alien, le huitième passager dans un contexte religieux, c'est une lecture intéressante, notamment pour son point de vue sur la nature divine.
De par sa composition très exceptionnelle, de par son design sexualisé, de par son étrangeté, le Xénomorphe est l'incarnation d'une puissance supérieure. Ash, l'androïde du premier film, parle de l'alien en ces termes :
"Un parfait organisme. Et sa perfection structurale n'a d'égal que son hostilité. J'admire sa pureté. Un survivant qui n'est pas souillé par la conscience, le remord ou les illusions de la moralité. "
La nature divine de l'alien en fait à la fois un ennemi redoutable mais crée également un lien étrange, entre la fascination et l'horreur.
Ce lien affectif et brutal est illustré dans Alien, le huitième passager, par la première scène "d'accouchement", scène mythique du repas et du décès de Kane. Assis autour d’une table ronde parfaitement blanche qui donne des allures de légende arthurienne à l’histoire, les six occupants du vaisseau vont voir apparaître leur nouveau camarade Xénomorphe, tout fraichement sorti du thorax de Kane. Si cette scène fait penser à la quête du Graal, elle est aussi à rapprocher de la cène, dernier repas du Christ avant sa dénonciation par Judas.
Le concept de maternité étant mis en relation avec le cycle vie/mort, on peut citer quelques préceptes bibliques allant dans ce sens.
Dans la saga Alien, l'accouchement désigne à la fois la nativité, naissance de l'enfant Dieu, mais également l'assomption ou dormition (terme imputable uniquement à la vierge Marie). Ces termes désignent la montée de l'esprit au ciel après avoir quitté son corps.
La boucle est bouclée. Par son sacrifice très catholique, l'humain décède pour donner naissance à un être supérieur. Cette phrase, prononcée par Dillon dans Alien 3, pendant l'incinération des corps de Newt et de Hicks, illustre cette chaîne de réincarnations :
"Dans chaque graine, il y a la promesse d'une fleur Et dans chaque mort d'un être, si petit soit-il, il y a toujours une vie nouvelle, un nouveau commencement."
Cependant Ripley transcende ce concept en donnant naissance à une reine puis en ressuscitant. De ce point de vue, les scénaristes ont suivi à la lettre l'histoire du Christ.
On retiendra la scène finale de la version longue de Alien 3 dans laquelle Ripley, les bras en croix, se donne en sacrifice pour éteindre le Mal, ce qui n'est pas sans rappeler la crucifixion. Le film suivant la voit revenir à la vie. Ripley devient une divinité hybride, mi-femme mi-alien. Son caractère est totalement transformé par ce clonage, et si des bribes d'émotions passagères transparaissent dans le film de Jeunet, il n'en reste pas moins que l'héroïne d'antan n'est plus qu'une coquille vide extrêmement résistante et douée pour le basket.
Par son détachement de tous sentiments plus que par sa nouvelle force, elle se rapproche d'un statut divin.
3.
| L'Apocalypse
Apocalypse 6.8 : "Et je vis venir un cheval blême. Celui qui le montait se nommait la mort, et le séjour des morts l'accompagnait. Le pouvoir leur fut donné sur le quart de la terre, pour faire périr les hommes par l'épée, par la famine, par la mortalité, et par les bêtes sauvages de la terre."
L'Apocalypse, dernier livre du nouveau testament, est un message prophétique dévoilant au monde le sens du divin sur la Terre. Le sens du mot "apocalypse", détourné dans le monde moderne, signifie en premier lieu "révélation".
Pourquoi la saga Alien est-elle si forte et si dérangeante ?
Pour répondre à cette question, il faut restituer le contexte. Les métaphores que l'on peut développer, bien que tirées par les cheveux pour certaines, sont acceptables dans la mesure où le contexte du film nous situe dans un temps et une localisation à part : celui de l'espace. Tous les personnages ont leur vie sur Terre, certains ont des familles, mais tout cela ne semble pas rentrer en ligne de compte, comme si l'on avait franchi un espace parallèle. Tout est remis à zéro. Les concepts connus sont dépassés puisque l'on s'aventure dans l'inconnu.
Et nos aliens, Xénomorphes et facehuggers, sont ces inconnus. Étymologiquement, le mot "alien" vient du latin "extraneus", qui signifie "qui est en dehors de nous". "Nous" pouvant être défini par la famille, le pays, la religion, ou toute autre considération d'appartenance. Le mot "lien" est donc un synonyme d'"étranger".
La religion catholique a, de tout temps, été vallonée par les confrontations : guerres de religions, de peuples, de pays ou d'interprétations des écrits. Il est un passage dans l'Apocalypse où l'auteur met en scène symboliquement la lutte opposant Dieu à Satan ainsi que leurs peuples respectifs. Parmi les créatures du Diable se trouve une allégorie intéressante que l'on peut mettre en parallèle avec la saga d'Alien. Il s'agit de la grande prostituée de Babylone.
Apocalypse 17.1-6 : "Viens ici, me dit-il, je te montrerai le jugement de la grande prostituée qui est assise sur les grandes eaux. (…) Je vis une femme assise sur une bête au pelage écarlate. Cette bête était couverte de titres offensants pour Dieu, elle avait sept têtes et dix cornes. La femme était vêtue d'habits de pourpre et d'écarlate, et parée de bijoux d'or, de pierres précieuses et de perles. Elle tenait à la main une coupe d'or pleine de choses abominables et d'obscénités dues à sa prostitution. Sur son front, elle portait gravé un nom mystérieux signifiant : "La grande Babylone, la mère des prostituées et des abominations de la terre." Je vis qu'elle était ivre du sang de ceux qui appartiennent à Dieu et de ceux qui ont rendu témoignage à Jésus."
Cette grande prostituée de Babylone est une allégorie controversée mais la plupart considère qu'elle représente l'Empire romain. Montée sur une bête à sept têtes (une pour chaque péché capital), elle est l'incarnation du Mal qui combat l'Église.
Nous pouvons transplanter ce processus dans la saga, en considérant la reine-mère Alien comme l'incarnation de cet "étranger", que l'on ne comprend pas et qui est la figure du Mal à abattre. Une guerre de vision du Monde et de "mère" pour la sauvegarde de sa progéniture et de son espèce.
Alien nous dérange et nous bouleverse parce qu'il remet en cause ce principe de l'étranger. Étymologiquement "en dehors de nous", nous accouchons de lui dans la saga.
Ce lien d'opposition violent nous force à une introspection. L'alien qui nous tue et nous pousse dans nos retranchements ne vient pas de l'extérieur.
Tahar Ben Jelloun disait : "On est toujours l'étranger de quelqu'un."
La saga Alien nous pousse à une autre vérité : l'étranger qu'il nous faut combattre est en nous.