Les illustrations ont toujours tenu une place de choix dans l'histoire de Warhammer 40.000. Je suis même persuadé que le succès du jeu de figurines de Games Workshop et de son univers est intimement lié à l'impact qu'ont pu avoir les travaux de dizaines d'illustrateurs sur des millions de fans, quelque soit leur âge ou leur sensibilités artistiques. A ce titre, et dans le cadre de notre semaine spécialement consacrée à l'univers où il n'y a que la guerre, il me semblait indispensable de revenir sur l'un des artistes de la maison Games Workshop. Et j'ai choisi ce cher John Blanche, pour deux raisons.
La première est factuelle. Fasciné par l'art depuis son plus jeune âge, John Blanche a d'abord donné dans le dessin conceptuel de figurines avant d'illustrer les couvertures du magazine White Dwarf pour le compte de la toute naissante entreprise de Games Workshop, au début des années 1980. Une double casquette qui lui ouvrira les portes du studio que finit par mettre en place la petite compagnie britannique lorsqu'elle décide de donner une direction artistique claire aux mondes de Warhammer, puis Warhammer 40.000. Depuis les débuts de cette joyeuse aventure, John Blanche a ainsi occupé les postes de concept designer, d'illustrateur, de directeur artistique et de directeur de studio pour Games Workshop, qui lui doit donc beaucoup. Sa patte est d'ailleurs partout, des illustrations venues des ténèbres d'un lointain futur aux dernières figurines à la mode pour le jeu Age of Sigmar, les Kharadons Overlords (à gauche, ci-dessous).
La seconde raison est bien plus personnelle. J'ai débuté mon odyssée dans le monde de Warhammer 40.000 peu de temps après le lancement de la troisième version du jeu, dont la boîte et le livre de règles étaient ornées d'une illustration représentant le dernier carré d'une troupe de Black Templar, des Space Marines encore plus zélés que leurs confrères. Véritable tableau que je vénère depuis bien des années, cette image est la première à me venir en tête lorsque je pense à Warhammer 40.000. Il faut dire qu'elle est assez typique du style hyper-expressif de John Blanche, qui n'emploie que très peu de bleu et s'inspire de la nature pour donner vie à la moindre texture, des flammes s'échappent des canons aux ruines foulées par nos Marines de l'espace en passant par les tabards souillés qui ornent leurs armures.
J'ai toujours été fasciné par la patte de John Blanche. Il faut dire que pour le gamin que j'étais, et qui découvrait tout un pan presque caché de la culture populaire à l'aube des années 2000, le style du bonhomme avait de quoi frapper. Des personnages aux gueules pas possibles, ornées de tuyaux et d'augmentations technologiques en tous genres, des batailles aux proportions dantesques et un paquet d'horreurs, à commencer par des démons aux visages grimaçants. Mais même les personnages les plus valeureux de l'univers de Warhammer 40.000 paraissent effrayants sous le crayon et les pinceaux de l'ancien étudiant des beaux arts.
C'est ce mélange d'une science-fiction complètement torturée et d'une composition presque digne des grands maîtres comme Rembrandt, Turner ou Dürer qui m'a toujours médusé et m'a poussé à revenir me plonger encore et encore dans un univers pourtant capable de hanter mes cauchemars. Autre signature de John Blanche : l'absence de bleu, comme on le disait, qui ne s'explique pas qu'avec les préférences de l'artiste, toutefois. Certes, il explique volontiers que sa plus grande influence reste la nature, dans laquelle on trouve très peu de couleurs. Mais il faut aussi rappeler que l'encre bleue est celle qui subit le plus l'usure du temps, ce qui la rend difficile à travailler. Ajoutez à cela une omniprésence de la couleur, du ciel à nos vêtements en passant par nos réseaux sociaux préférés, et vous obtenez une teinte rare dans les illustrations et concepts de John Blanche, qui préfère s'orienter vers une palette plus baroque, qui renvoie à la culture britannique la plus champêtre comme la plus urbaine, les écrits de Charles Dickens comme inspirations et l'époque victorienne en tête.
Désormais en pré-retraite - il ne passe que la moitié de ses journées chez Games Workshop - le John Blanche reste néanmoins derrière chaque figurine à sortir des usines de l'entreprise britannique, sa patte étant encore visible, ça et là, après les maintes étapes qui séparent l'une des ses esquisses de sa figurine en trois dimensions à sa version physique. Et ça n'a rien d'étonnant puisque Blanche considère l'illustration et la peinture de figurines comme deux facettes d'une même discipline. Ainsi, l'une a toujours influencé l'autre durant la carrière de l'artiste, et il n'est pas rare de le retrouver en train de lourdement personnaliser une figurine qu'il a conceptualisée, mais qui fut sculptée par un tiers. Bouclant ainsi la boucle de sa propre et débordante créativité, Blanche influence encore aujourd'hui les modélistes (ou hobbyistes, comme on les appelle du côté de chez Games Workshop) du monde entier.
Si bien qu'un courant artistique à part entière et inspiré de ses travaux est né parmi les fans des mondes de Warhammer. On l'appelle Blanchitsu, et il était un temps une simple alternative à la rubrique Eavy Metal de White Dwarf, dans laquelle les peintres émérites de Games Workshop livraient leurs secrets. Mais en quelques années, cette variante éditoriale est devenue une chronique à part entière, puis un style partagé par des milliers de modélistes aux quatre coins du globe. Autant d'artistes à part entière qui utilisent toute la variété des kits et des peintures de Games Workshop pour donner vie à des troupes de figurines pleines de personnalité, la plupart du temps roturiers, gens simples ou de l'ombre des univers de Warhammer, qui semblent tout droit sortir des illustrations les plus connues de maître Blanche. Un vrai plaisir pour les yeux, à l'heure où le style photo-réaliste semble contaminer les hobbyistes de notre belle planète bleue, comme par hasard.
Mordu de pop culture depuis plus mon plus jeune âge, j'ai pourtant du mal à trouver des illustrateurs qui auraient autant forgé mon imaginaire que John Blanche. Il y aurait peut-être Ralph McQuarrie, le génie visuel derrière Star Wars, mais je crois que la finesse de son trait n'a pas eu sur moi l'impact que les travaux de Blanche exercent encore aujourd'hui sur mon esprit bien trop nerdy. À la manière d'un Giger, Blanche et ses œuvres nourrissent autant ma créativité que mes cauchemars, et je lui dois donc bien plus qu'un émerveillement ponctuel devant une boîte de jeu ou un livre de règle. Alors du fond du cœur, merci pour tout, monsieur John Blanche.