A l'occasion de la parution d'Amazonies Spatiales, un reccueil de textes parru à la suite d'une résidence d'auteurs. Cet ouvrage que nous avons précédemment critiqué et fortement apprécié, a rassemblé 15 auteurs et 50 experts afin de penser des futurs probables du voyage spatial en 2075.
Exosk3let a eu la chance d'interviewer quelques uns de ces auteurs et autrices. Voici le premier de ces trois entretiens écrits.
Mickaël Rémond est un auteur jonglant entre les genres du thriller, du polar et de la science-fiction. Son travail sur la résilience des systèmes informatiques le pousse à chercher les défauts et les malformations technologiques pour les changer en intrigues pasionnantes.
"J’ai imaginé qu’avec les bons outils politiques et sous la vision éclairée de quelques fous, l’espace pouvait redevenir un rêve humain, accessible à tous et fédérateur."
En tant qu’auteur de science-fiction et amateur d’imaginaire sous toutes ses formes, pourquoi avoir choisi le double prisme de l’espace et du politique dans cette nouvelle ?
L’exploration spatiale est politique, quelle que soit la manière dont on l’aborde. C’est un enjeu de souveraineté et un secteur qui nécessite des financements énormes.
En même temps, j’ai voulu montrer que les enjeux politiques spatiaux peuvent et doivent être investis par les citoyens. Lors de mes discussions avec les experts, tout cela m’est devenu évident. L’espace pose des questions éthiques, environnementales, philosophiques même. On ne peut pas réduire la lune à un gisement de ressources et l’exploration spatiale à la recherche d’une planète B inatteignable.
On rêve l’espace depuis plus de 150 ans dans la fiction. On a marché sur la lune avec des technologies qui semblent aujourd’hui excessivement rudimentaires. Pourtant l’espace reste malgré tout un horizon qui semble inatteignable, indépassable pour le commun des mortels. Alors, j’ai voulu imaginer qu’avec l’évolution technologique et le progrès, une exploration de l’espace low cost était possible également, avec du bricolage, du recyclage, etc.
Les premières idées autour de mon texte imaginaient la construction d’une ZAD sur la lune, un espace que les citoyens pouvaient se réapproprier. Je m’en suis écarté au profit d’un récit chorale pour mieux souligner les enjeux qui se jouent aujourd’hui autour de la connaissance et comment derrière la volonté de contrôle de la connaissance, le spectre des meilleures dystopies de Science-Fiction n’est pas très loin.
J’ai imaginé qu’avec les bons outils politiques et sous la vision éclairée de quelques fous, l’espace pouvait redevenir un rêve humain, accessible à tous et fédérateur.
Dans vos notes on retrouve quelques références notables comme le cinquième élément ou David Bowie. Quelles ont été vos autres sources d’inspiration pour écrire ce texte ?
Le rêve d’espace est né avec la science-fiction. Je pense que les deux sont liés. La fascination pour l’univers qui nous entoure est un des moteurs de la science-fiction, qui à son tour est devenue un pilier de la pop culture. L’intégration de ces références me semblait indispensable.
David Bowie est incontournable sur le sujet de l’espace, car quand on y prête attention, sa fascination pour l’exploration traverse toute son œuvre, avec des morceaux phares comme Life on Mars et Space Oddity. D’une manière générale, la musique et l’espace se marient bien. Souvenez-vous du ballet mythique de 2001 l’odyssée de l’espace, avec un vaisseau qui traverse l’écran sur le rythme du Danube Bleu de Strauss.
Ce qui m’a intéressé dans les autres influences que j’ai choisies, c’est l’esthétique. La science-fiction porte toujours en elle une grande esthétique (qui marque aussi David Bowie lui-même). Le Cinquième Élément de Luc Besson en est un exemple flamboyant, mais je pourrais citer des dizaines d’autres films marquants, d’Alien à Interstellar.
J’avais aussi en tête l’esthétique obsédante d’Enki Bilal, que l’on retrouve dans ses BD bien sûr, mais aussi dans la photographie de son troisième film Immortel. Je regrette qu’il n’ait pas très bien marché, car c’est un film inoubliable et poétique. Pendant l’écriture, j’ai réécouté Beautiful Days du groupe Venus, le morceau qui clôt le film. Il fait écho à l’Overview Effect que ressentent les astronautes en voyant la Terre depuis l’espace. Expérience bouleversante ! La vision du monde change complètement quand on voit la Terre depuis l’espace et qu’on réalise sa grande fragilité.
Je suis finalement très influencé par la bande dessinée, c’est là que se crée l’esthétique de la science-fiction telle qu’on la connaît aujourd’hui, avec des approches très différentes, de celles colorées d’Alejandro Jodorowski, ou Jean-Claude Mézières à celle monochrome de Marc Rochette dans Le Transperceneige.
Je me suis concentré sur les esthétiques de SF qui claquent et qui marquent la rétine pour cette nouvelle, de l’ordre du space opera flamboyant, un récit choral (oui, dans une nouvelle !!). On y passe de la tribune de l’ONU, à la jungle après une excursion sur la Lune. Je voulais plonger le lecteur dans une explosion de lieux et d’images, qui imprime la rétine en surfant sur la pop culture et tout ce que l’on connaît aujourd’hui de cette esthétique. Ma nouvelle est très visuelle et elle ferait une magnifique BD. Je suis d’ailleurs prêt à en faire l’adaptation si un dessinateur est inspiré par l’univers que j’ai posé.
Et la dernière influence majeure a été La Planète des singes de Pierre Boulle. J’avais une fausse image de ce bouquin, véhiculé par les films. Enfant, j’avais aussi été marqué par le malaise causé par ces masques de singes sur des corps humains, dans les vieux films et la série. Il y a de quoi faire des cauchemars !
Le livre de Pierre Boulle est bien plus subtil que ça. La première scène est très poétique et s’ouvre sur un voilier spatial qui se déplace grâce à des voiles solaires. Si vous lisez ma nouvelle, vous repérerez clairement le clin d’œil à ce grand auteur. Un Français adapté plusieurs fois par le cinéma américain pour des œuvres aussi diverses que La Planète des Singes et Le Pont de la Rivière Kwaï, ça mérite un coup de chapeau, quand même !
Vous citez plusieurs experts amazonautes dans vos notes, comment sont-ils intervenus dans votre création ?
Nous avons tous travaillé de façon similaire avec les experts. Durant le projet, nous nous sommes réunis à plusieurs reprises avec des groupes d’expert différents, à Paris chez Matrice, à l’Observatoire de Paris, à la Cité de l’Espace à Toulouse puis durant notre road trip de dix jours en Guyane.
L’association Matrice nous a aussi rapproché d’un cercle proche, un petit groupe de quatre experts qui nous étaient plus spécifiquement dédiés. Avec chacun de ces experts, nous nous sommes rencontrés trois fois. J’ai affiné au fur et à mesure les questions que je voulais leur poser sur leur métier en fonction de l’orientation qui dessinait pour ma nouvelle.
Par exemple, pour la partie de ma nouvelle qui se passe sur la Lune, j’ai eu la chance d’échanger avec Antoine Bocquier de la société japonaise iSpace. J’ai vécu avec eux et vibré lors de leur première tentative d’alunissage en juin 2023.
Pour le voyage de la sonde, l’astrophysicien de l’Observatoire de Paris, Ludovic Petitdemange m’a raconté son métier, et donné des pistes. J’ai découvert un travail minutieux et fascinant. Vous imaginez ? Il analyse depuis la Terre avec ses instruments de mesure la matière qui composent les étoiles et les géantes gazeuses.
Sur les aspects de partage de la connaissance et de l’open science, c’est Loïc Besnier, épistémologue, expert de la représentation de la figure scientifique dans la fiction, qui a répondu à mes questions.
Et c’est Didier Schmidt de l’ESA qui m’a initié aux bases de la politique spatiale européenne.
La chose qui me frustre le plus ? C’est que dans une nouvelle, je n’ai évidemment pas pu utiliser toute la matière que j’ai rassemblée. Il me reste des pages et des pages de notes avec des idées incroyables. À suivre, car je vais forcément avoir envie d’écrire à nouveau sur l’espace à partir de ces éléments.
Dans votre nouvelle vous faites cohabiter protection du savoir avec mission spatiale, passé et futur, que signifie pour vous ces dualités ?
L’exploration de l’espace et l’exploration de notre monde et de la connaissance participent de la même dynamique humaine. C’est la libido sciendi, la soif de savoir qui nous pousse à aller toujours plus loin pour comprendre le monde où l’on vit, à construire des télescopes de plus en plus puissants pour peut-être capter le Big-Bang. Vous imaginez ?
Mais le savoir est aussi marchandise et pouvoir. Comme dans les grands récits dystopiques, le savoir est toujours attaqué en priorité. Le savoir émancipe et c’est en cela qu’il dérange et qu’il suscite des réactions ambiguës des gouvernants. C’est cette opposition que j’ai voulu retraduire dans ma nouvelle.
Comment avez-vous pensé et construit votre Union des Savoirs ?
L’Union des Savoirs est une nation sans territoire, représentée à l’ONU, accueillie dans les parlements du monde entier, qui a son mot à dire dans la politique des États.
Je suis aussi développeur, je viens du milieu des logiciels libres, et cette ouverture de la connaissance, cristallisé dans le logiciel est quelque chose auquel je suis particulièrement attaché. La difficulté est toujours de trouver le bon équilibre entre le partage ouvert et libre et les ressources financières que doivent générer les projets pour rester viables.
Le milieu du logiciel libre constitue une communauté qui dépasse les frontières. Les développeurs talentueux et sensibles à la vie privée, le besoin de contrôle de la technologie par les citoyens existent et vivent partout dans le monde.
En même temps, la tentation de replis et de censure est toujours très grande, comme on le constate chaque jour. J’ai imaginé que cette volonté de protéger le savoir pouvait dépasser le domaine de l’informatique, rejoindre d’autres mouvements comme l’open science et ceux du large accès à la culture.
De la nécessité de sortir le monde de l’impasse climatique est née l’Union des Savoirs. Cette dynamique existe dans les communautés dont je parle. L’élément le plus utopique de ma nouvelle est certainement qu’on laisse ces fous faire, qu’on les intègre dans les parlements, qu’on leur donne une place dans chaque nation, chaque territoire. Mais la pression et le désespoir face à l’urgence climatique ne peuvent-ils pas aussi créer les conditions pour qu’advienne le meilleur ?
Et j’imagine que si l’Union des Savoirs parvient dans un futur plus lointain à fusionner avec l’ONU dont elle fait partie, on ne sera pas loin d’avoir construit la Fédération de Star Trek.
Rendez-vous sur l’Enterprise, les ami·es !
Je vous laisse le mot de la fin
Avec le recul, je m’aperçois qu’un projet comme Amazonies Spatiales a fonctionné à sa mesure comme un embryon d’Union des Savoirs. Une organisation pas parfaite, mais humaine, mue par une réelle volonté de comprendre et de trouver des leviers d’action, de voir au-delà du mur climatique pour le dépasser.
Je rêve de voir naître plus de projets comme celui-ci, car il démontre que lorsque la science, l’art et la fiction se rencontrent, il se passe des choses qui transcendent la condition d’être humain.
On ne cherche pas le transhumanisme au bon endroit, en voulant allonger notre vie, ou en truffant nos corps d’électronique. L’humain augmenté existe déjà, il est multiple, transdisciplinaire, transculturel, ouvert et social. Tout l’inverse de ce qu’essaient de nous vendre les multinationales.
Est-ce que cet ouvrage, Amazonies Spatiale, est totalement brillant ? Je n’en sais rien, et peu importe finalement, car c’est un livre qui interroge sur notre futur et qu’il était nécessaire d’écrire. Et croyez-moi, ce n’est pas tous les jours qu’on participe à un projet qui devait exister !
J’espère que les lecteur·ices s’en empareront pour continuer à faire vivre cette dynamique.
