Dans une interview jamais publiée - suite à la mort du légendaire Orson Welles - mais qui refait surface aujourd'hui, George Miller évoquait déjà l'idée d'une héroïne au cœur de la saga Mad Max. Nous étions en 1985, et la journaliste Anne Bilson lui demandait ce qu'il pensait d'une éventuel Mad Max au féminin. Sa réponse, très instruite, mérite le coup d'œil, et fait forcément écho au succès du personnage de Furiosa.
"J'y ai beaucoup pensé. Je pense qu'il n'y a pas de question à avoir à ce propos. Je ne comprend toujours pas la sexualité ; je veux dire par là que c'est un tel mystère, pour nous tous. C'est comme la violence, l'agression, c'est quelque chose que nous cherchons à comprendre avec nos têtes, notre intellect, mais ça relève plutôt de notre nature instinctive. C'est notre cerveau primitif contre notre cerveau instruit, si vous préférez.
Donc, à propos de la sexualité, et des femmes... Si vous en parlez à travers la mythologie classique, rien de bien sorcier, juste de la pure narration, prenez la Belle et la Bête, qui est un mythe très commun - vous savez, King Kong le reprenait dans les années 1950 - et comparez-le à l'invention de la pilule et la libération sexuelle, vous avez là une liberté progressive des femmes, et la plupart d'entre-nous pensent que ça n'avait que trop tardé.
L'histoire de la Belle et la Bête n'est plus pertinente dans notre société, parce que les femmes ne sont plus si mystifiées - elles sont d'avantage de vrais individus que des individus mystiques. Et pourtant les femmes sont toujours des objets sexuels, elles n'ont pas été démystifiées sur ce point. Nous avons pourtant des femmes artistes, des femmes qui font ci, des femmes qui font ça, donc avoir une femme héros est devenu évident. Mais, seulement, il n'y en pas tant que ça.
Si vous retournez à la théorie - qui nous vient de l'esprit Joseph Campbell - qui veut que les héros soient les agents de l'évolution, le moyen par lequel un monde est détruit et un nouveau monde est créé, les héros n'en sont pas pour leur propre gloire, leurs propres intérêts, ils sont comme Mad Max à la fin de Mad Max 3. Quand les enfants sont libres, ils vont partir et créer quelque chose de nouveau, et il ne peut pas en faire partie. [...] Il reconnaît qu'il n'est pas si important, et que ce n'est là qu'une occasion de repartir à zéro, qui vaut bien plus que sa propre personne.
Et donc, si vous êtes d'accord pour dire que les héros sont les agents de la révolution, il y a eu très peu de femmes héros dans notre société. Et je pense qu'il n'y aucune raison pour que ce soit le cas, d'ailleurs, le personnage de Tina Turner, dans le sous-texte de Mad Max 3, avant que l'histoire ne commence, en suivant une intrigue de héros très classique - le fait qu'elle soit à l'origine de Bartertown, serait une histoire très intéressante. Et - la manière dont nous avons discuté de sa propre histoire suit le schéma du héros classique - elle devait l'être. Pour faire simple, oui, je pense qu'il peut y avoir des héros féminins qui obéissent à ces principes. Comment le public y réagirait, je ne sais pas. Mais je crois que le public y serait favorable si l'histoire était bien écrite."
Une dernière phrase qui résume tout. Certains studios, producteurs et spectateurs prétendent que les films avec une héroïne ne fonctionnent pas ou trop peu. Mais encore faut-il déjà leur donner une bonne histoire, ce que n'ont pas fait les illustrations fétiches des détracteurs, comme Elektra ou Catwoman par exemple.
Peut-être qu'en lisant les lignes de George Miller, passionnant dans sa vision du héros comme dans son application aux femmes, ces mêmes sceptiques sauront faire confiance à des films portés par des héroïnes. En attendant, Fury Road est incontestablement un exemple inspirant, et à suivre. Pas étonnant quand on sait que le réalisateur australien réfléchissait déjà à tout cela il y a une trentaine d'années !
