Depuis son annonce la semaine dernière, le projet Godzilla vs Kong fait beaucoup parler de lui, et souvent en mal. Il faut dire qu'avec un tel gigantisme, le film de Warner Bros et Legendary Pictures a de quoi faire tourner les têtes, même cinq avant sa sortie dans nos salles, puisqu'il est prévu pour 2020, une année qui verra, entre autres, les premiers plans de Lucasfilm sur Star Wars s'achever.
Projet colossal, pour une année colossale donc. Ce qui n'empêche pas le projet d'essuyer toutes sortes de critiques, qui ont inspiré cet édito'. Mais avant toute chose : soyons clairs, je n'ai pas vu le film, et en l'absence de toute équipe créative digne de ce nom, je ne peux ne serait-ce que m'avancer sur sa qualité. Seulement, les diverses remarques qui peuplent internet valaient peut-être quelques contre-arguments.
"King Kong va devoir manger de la soupe !"
Commençons par le plus simple. Si vous avez un peu suivi la nouvelle, vous savez que Warner Bros s'est de nouveau associé à son ancien compagnon de business Legendary Pictures pour récupérer King Kong et ainsi donner à Godzilla, déjà sorti chez le studio, un adversaire à sa mesure. Seulement, pour beaucoup de cinéphiles, nous connaissons déjà l'issue de cette bataille : le roi des lézards, tel que présenté par Warner l'année dernière, ne fera qu'une bouchée de Kong, dont la dernière incarnation, celle de Peter Jackson, mesurait entre 6 et 7 mètres de haut, d'après ce qu'on peut trouver sur internet. Effectivement, c'est peu face à la centaine de mètres affichée par Godzilla dans son dernier film. Seulement, il faut noter deux choses : Legendary peut très bien faire grossir son Kong, qui se passera du passif de sa franchise ; c'est d'ailleurs ce que semble nous indiquer les premières photos de tournage de Kong : Skull Island, qui introduira la nouvelle version du singe.
De plus, puisqu'il affrontera le Godzilla de Gareth Edwards, il évolue logiquement dans le même univers, qui par touches, nous parlait d'anciens et de crypto-zoologie. Un lézard venu du fond des âges, alors pourquoi pas un singe ? Enfin, soyons honnêtes avec nous-mêmes deux minutes : même du haut de 6 petits mètres, Kong ne serait pas non plus ridicule à l'écran, et compenserait sa taille par une agilité dingue. De mon côté, je l'imagine sans problème se déplacer d'un immeuble à l'autre comme un singe standard se déplace d'arbres en arbres. Une logique d'échelle qui serait spectaculaire, et tout à fait jouissive, si on se réfère, par exemple, au Pacific Rim de Guillermo Del Toro et ses bateaux en forme de battes de baseball (et autres joyeuses comparaisons entre le gigantisme et le quotidien).
"Hollywood, ça devient n'importe quoi"
Oui et non, à vrai dire. Et répondre à l'affirmative serait assumer qu'Hollywood a toujours été caractérisé par le n'importe quoi. Certes, sur le papier, le titre Godzilla vs Kong a des allures de série B complètement débridée, voire de nanar. Ce sont d'ailleurs les producteurs de la nanaxploitation qui doivent se mordre les doigts à l'idée qu'un film pareil débarque dans le cercle des métrages validés par l'industrie, la critique et le grand public. Et finalement, c'est logique, en plus d'avoir déjà été fait ! Marché comme un autre, les films Hollywoodiens suivent des tendances, souvent radicalement opposées à leurs aînées et futures cadettes.
A ce titre, il n'est pas étonnant de voir les blockbusters du moment se tourner vers une approche des plus décomplexées. Puisqu'il y a quelques années encore, des films comme Batman Begins ou Casino Royale ont ramené une notion de noirceur et de vraisemblance au cœur des productions hollywoodiennes. Une vague Nolanienne, si on en croit nombre de critiques anglo-saxons, qui étant passée, laisse sa place à une tendance nouvelle. Et en l'occurrence, on voit apparaître des normes inédites du côté de la colline la plus célèbre de Los Angeles.
"Les univers partagés, c'est lourd"
Très clairement, une certaine forme de légèreté règne à Hollywood, qui n'a plus peur de rien, pour le meilleur comme pour le pire, en témoigne l'annonce récente d'un Die Hard : Year One. Mais qu'importe, on revient vers une formule qui n'est plus effrayée par le fun le plus pur, et s'il y a bien un moment pour jouer la carte du versus, c'est bien dans les quatre prochaines années. Dès 2016 d'ailleurs, on retrouvera notre premier versus en la personne de Batman v Superman. Le terme versus n'étant pas forcément synonyme de stupidité non plus. Après tout, le film susnommé a été écrit par un certain Chris Terrio, à qui on doit des choses à première vue plus sérieuses, comme Argo.
Enfin, la tendance est également à la construction d'univers partagés. Une formule que seuls deux studios semblent aujourd'hui maîtriser sans encombre : Marvel Studios avec ses nombreuses productions, bien articulées entre-elles et quelque soit leur qualité, et Warner Bros avec ses films DC, dont le planning de sortie est le reflet d'une stratégie savamment réfléchie. Une mode qui nous vient donc des super-héros, mais qui cherche à s'exporter un peu partout. A ce titre, l'ancien partenaire de Legendary Pictures, Universal, cherchait à bâtir un univers partagé autour des monstres classiques du septième art. Une tentative qui est tombée à l'eau faute de bons métrages : rappelez-vous d'un certain Dracula Untold. Et puisque Legendary est une force assez originale, à l'échelle d'Hollywood, pourquoi ne pas lui laisser la chance de bâtir une univers partagé qui inviterait de vraies voix à s'exprimer, politique qui est celle de l'entreprise depuis sa création. Nous tenons peut-être ici une opportunité de dépoussiérer la logique d'univers partagé, qui commence déjà à montrer quelques faiblesses !
Les licences sont les stars du moment
Les historiens d'Hollywood vous le diront mieux que moi : depuis la création de cette branche bien spécifique du septième art, la place des stars n'a cessé de diminuer. N'allez pas me faire dire ce que je n'ai pas dit pour autant : elles sont toujours aussi populaires. Mais leurs contrats, leurs rôles dans les productions et leur influence ne sont plus les mêmes. Notamment parce que les studios et leurs financiers, surtout, ont voulu s'accaparer le pouvoir, mais aussi parce que le développement et la suprématie du cinéma de franchises montre que les acteurs et actrices ont délégué, malgré eux, une partie de leur star power aux licences. L'exemple de Marvel Studios le montre le bien : une réussite à plusieurs milliards de dollars, qui s'est bâtie sans aucune star d'envergure.
A ce titre, plutôt que de mettre en scène des célébrités, le cinéma met en scène des licences, quitte à oublier ce qui fait leur saveur. Nous sommes d'accord, il faudrait redresser la barre. Mais en attendant, l'idée d'un Godzilla vs Kong n'a rien d'incohérente aujourd'hui. Qu'on préfère les stars aux licences ou les licences aux stars n'y changera rien. Il y a quelques années, on aurait pu nommer le Heat de Michael Mann "Robert de Niro vs Al Pacino", aujourd'hui, on remplace ces noms ronflants par d'autres tout aussi puissants. Et vous obtenez ainsi des Godzilla vs Kong. Et ces films ne sont pas moins légitimes pour autant. Ils correspondent à leur époque et à leur public. Nous verrons si l'histoire et les spectateurs s'en souviendront dans quelques années, mais en attendant, le projet a le mérite de se laisser porter par sa folie. Et en l'occurrence, il y a sans doute beaucoup à faire, ne serait-ce que visuellement, sur un Godzilla vs Kong, donc laissons-lui une chance !