Tout œuvre est politique. C'est un fait. Et les contre-exemples qui pourraient vous venir à l'esprit le sont peut-être plus encore. Je pense notamment au vilain Transformers, souvent invoqué comme le nanar ultime, et qui est pourtant éminemment engagé. Pas forcément dans le bon sens d'ailleurs, mais ceci est un autre débat. D'autant plus que ce n'est pas la franchise de Michael Bay qui m'inspire cet édito', mais bien celle qui continue de brasser des millions avec son dernier opus : Hunger Games.
Si vous avez manqué la nouvelle la semaine dernière, c'est désormais avéré : le studio Lionsgate réfléchirait déjà à réitérer son succès au box-office avec des spin-offs dérivés des aventures de Katniss Everdeen, qui ont rendu Jennifer Lawrence mondialement connue. Une décision assez typique, finalement, à l'heure où les franchises se développent dans tous les sens. Le studio et le réalisateur Francis Lawrence (qui a réalisé trois des quatre opus) évoquaient d'ailleurs déjà cette possibilité en pleine promotion de la seconde partie de Mockingjay.
Hollwyood n'a pas attendu 2015 pour prolonger - à outrance, bien souvent - des franchises existantes. Après tout, il est toujours plus simple de se baser sur un nom déjà installé que d'en construire un tout nouveau. Pas de surprises de ce côté-là, seulement, cette année, on remarque que les projets se font (toujours plus) au détriment du message développé par ces franchises. En grand partisan des blockbusters, j'ai toujours trouvé qu'ils étaient de parfaits vecteurs pour bousculer les consciences. Les meilleurs d'entre-eux, ou en tous cas les plus salués, sont d'ailleurs ceux qui distillent à merveille un contenu politique dans un emballage de fun et d'aventures en tous genres.
À ce titre, malgré son image de franchise pour adolescents - qui perdure, c'est un fait - Hunger Games me semble très intéressant. Outre l'importance qu'elle accorde à une héroïne plus complexe qu'il n'y paraît, l'œuvre est profondément politique, puisqu'elle traite de la révolte de plusieurs pays (ou districts, dans le cas présent) contre un pouvoir impérialiste.
Il y aurait bien d'autres sujets à évoquer, comme l'esthétique de ce pouvoir justement, qui parvient à sortir des codes, récurrents, du troisième Reich, mais il n'en faut pas tant pour vous convaincre du contenu hautement politisé d'une franchise visant pourtant un public adolescent.
Maintenant, si au sein de la franchise, quelques entorses à cet aspect politique sont à noter, le plus grand préjudice qui pourrait être porté à Hunger Games serait de lancer une série de spin-offs, qui aux dernières nouvelles, s'intéresseront aux jeux en question - ce que Jennifer Lawrence trouve elle-même trop précipité, pour l'anecdote. S'il était nécessaire, pour les films, d'en présenter l'horreur et le fonctionnement, les décliner sous forme de spin-off est pour le moins putassier. Je comprends l'intérêt d'une telle déclinaison, qui surferait sur la vague Battle Royale de la franchise, mais force est de constater que donner dans le torture porn - toutes proportions gardées - en mettant en scène le massacre d'adolescents pour le fun risque de nuire au message péniblement établi par le reste de la franchise.
Il y a sans doutes des centaines de chemins qui mènent au massacre d'une franchise. La surexploitation est l'un d'eux, mais sa déclinaison dans des codes ou des genres tout simplement antinomiques avec le message des films originaux me paraît plus dangereuse encore, maintenant que j'y pense. Mais prenons un autre exemple, puisque je ne suis pas sûr que Hunger Games parle à tout le monde.
En revanche, au regard de son score honteusement élevé au box-office, je suis persuadé que tous ceux qui liront cet édito ont vu Jurassic World, quatrième opus de la franchise Jurassic Park, qui aux côtés de Star Wars, est pour moi l'alpha-franchise. Or, malgré quelques pistes de réflexions intéressantes (comme le branding de certains dinosaures, à vous en faire pâlir l'Accor Hôtel Arena) je trouve que le film de Colin Trevorrow s'oppose au message politique du premier film, réalisé par Steven Spielberg. Si Jurassic Park est sensé nous apprendre à respecter la nature, Jurassic World nous explique qu'il est possible de la dompter pour en tirer le meilleur, en témoigne les raptors de Chris Pratt, par exemple. Le message du film de Trevorrow est à mon sens très confus, et d'autant plus si on le compare aux deux précédentes suites, qui ne méritent pas tellement leur cote de désamour. Quelque part, Jurassic Park II et III avaient le mérite de traiter des conséquences du premier parc, ce qui est à mon sens bien plus respectueux de l'œuvre originale que le parc 2.0 de Jurassic World.
Plus que le suites à rallonge, les remakes et autre soft-reboots, ce sont peut-être les œuvres dont le message va à l'encontre de celui de l'original (ou des originaux) qui représente la némésis ultime des franchises, surtout en 2015, où la plupart d'entre-elles ont plusieurs décennies, et donc toutes les chances de fourvoyer dans un épisode de trop. On pardonne ou du moins on oublie volontiers les mauvais films, mais on a toujours du mal à digérer une production quant celle-ci va à l'encontre de l'essence de son ou de ses aînés. Quinze ans après ses débuts, je trouve que c'est - sans vouloir l'enfoncer gratuitement - ce que cristallise assez bien la prélogie Star Wars. Même si elle nous apprend quelque chose sur ce sujet :
George Lucas, il le rappelait encore il y a peu, avait en effet tenté d'expérimenter, avec ces trois films, en s'improvisant essayiste politique dans une trilogie qui a fait couler beaucoup d'encre, et continuera de le faire dans les années à venir. Si le message de la trilogie originale, sur bien des aspects, est respecté dans la cette nouvelle trilogie, bien d'autres éléments semblent aller à son encontre. Comme toujours, tout est une question de dosage, donc, et dans un monde absolument optimiste, on pourrait peut-être découvrir un spin-off de la saga Hunger Games classé R, pour prolonger l'expérience de la franchise tout en dénonçant, via un contenu plus cru que jamais l'atrocité des combats d'arène qui ont fait sa renommée dans la culture populaire.
A deux jours d'un Star Wars qui semble vouloir nous rappeler qu'en trente années, nous sommes capables d'oublier notre histoire, et donc, de laisser ses pires moments se reproduire, le message des blockbusters Hollywoodiens me semble toujours aussi passionnant, quand le fait de les respecter devient plus crucial encore. Et si les studios veulent absolument renouer avec leur gloire d'antan, peut-être faut-il leur rappeler que ces franchises se sont bâties sur plus que des dinosaures, des arènes ou des stars, mais bien sur des messages universels, qu'il convient de ne pas grimer.