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On a rencontré Aleksi Briclot, le concept-artist phare du MCU !

Par Maxime - Carraz
7 min 7 février 2023
On a rencontré Aleksi Briclot, le concept-artist phare du MCU !

Qui est Aleksi ?

 

À l'occasion de la publication d'une monographie - une énorme rétrospective sur le travail d'Aleksi Briclo - chez Huginn & Muninn, Syfantasy a été contacté afin de réaliser une interview de l'artiste !

Et quelle surprise ça a été, de découvrir derrière ce nom, qui m'était inconnu, un travail qui m'est familier depuis l'enfance ! Car Aleksi Briclot, c'est, entre autres, le créateur du costume d'Hela dans Thor : Ragnarok ; c'est lui le concept-artist de Captain Marvel, d'Avengers : Infinity War, et c'est lui qui a dessiné les costumes de voyage dans le temps pour Avengers : Endgame.

 

 

Vous avez également pu rencontrer son travail via le jeu de cartes : Magic : The Gathering, ou bien dans le jeu-vidéo, si vous avez fait Splinter Cell : Double agent ou Life is Strange (du studio Dontnod, qu'il a cofondé, avec entres autre Alain Damasio).

On n'exagérerait pas, en disant qu'Aleksi Briclot a participé à créer la culture visuelle du monde contemporain. Son influence dans la pop-culture est énorme.

 

 

La monographie d'Aleksi Briclot contient énormément d'exemples de son travail, plus des commentaires de sa part, des anecdotes sur son parcours, et une interview fleuve : la monographie n'a pas été pensée comme un compte-rendu du travail de l'artiste, mais comme un ouvrage didactique, où l'on en apprend énormément sur ce que sont ces oeuvres, les conditions de leurs créations, la vision artistique qu'elles portent.

 

 

Pour les plus intéressés, il y a moyen de recevoir la monographie dans un coffret spécial, d'acquérir jusqu'à 6 ex-libris de personnages iconiques (Drizzt, de Dongeon & Dragon, Dihada, Nahiri, et Flower, en concept-art), et d'avoir son livre signé par Aleksi : ceci, en participant à la campagne kickstarter en cours jusqu'à vendredi !

 

L'interview

 

Maxime Carraz :

Bonjour Aleksi, merci d’avoir bien voulu répondre aux questions de Syfantasy.

Pour commencer, j’aimerais qu’on revienne sur votre parcours. Il me semble que vous avez commencé par le jeu de rôle, avant de joindre à ce travail le jeu de plateau, à partir de 2004, puis le jeu-vidéo, à partir de 2005. Vous avez co-fondé Dontnod en 2008, et vous collaborez avec Marvel depuis 2010, c’est à dire de l’arrivée d’Andy Park au développement artistique du studio.

 

Aleksi Briclot :

J’ai effectivement commencé en réalisant beaucoup d’illustrations pour des jeux de rôle, et d’autres supports comme des livres et des jeux de plateau.

Je suis très tôt rentrée en parallèle dans un studio de développement de jeu vidéo (Cryo Entertainement) et j’ai ensuite enchaîné d’autres expériences dans ce milieu, (Kalisto, Darkworks, Ubisoft, NCsoft…) mais j’ai toujours continué à alterner les expériences en persévérant sur tous les fronts. Avec également des incartades dans la bande dessinée et le comics américain.

 

 

La formation du studio Dontnod Entertainment représente une longue et intense aventure qui a commencé réellement en 2006 je crois (avant que le studio ait été effectif il y a eu un gros gros engagement préalable).

Pour mon travail cinéma il y a eu quelques autres projets avant d’intégrer en continu l’équipe de développement visuel de Marvel Studios à partir de 2016 sur Thor: Ragnarok. Andy Park était déjà présent depuis un petit moment.

 

 

M.C. : Bref, tout ça pour vous demander de présenter votre rapport aux domaines de l’imaginaire et s’il a évolué au fil de votre carrière. Quelles ont été, à l’origine et par la suite, vos influences et inspirations ?

 

A.B. : C’est toujours une question difficile tant il y a eu d'influences disparates à travers le temps. Des dessins animés dans ma jeunesse, des bandes dessinées franco-belge (je repense là au Scrameustache), la découverte des comics américains par le biais de revues françaises comme Strange et Special Strange…

 

 

Le cinéma fantastique a opéré sur moi une réelle fascination très tôt. J’ai eu une période, jeune adolescent, à réaliser des maquettes de vaisseaux spatiaux, des masques de créatures en latex… Tout en continuant la peinture et le dessin, une vraie pulsion de création.

Mon cursus scolaire (en arts appliqués) m’a ouvert l’esprit et de nouvelles perspectives : graphisme, communication visuelle, histoire de l’art et même art contemporain. Comme dans ma production, je pense être assez éclectique en termes de goût et d’inspiration. La curiosité et l’ouverture sont essentielles pour produire des choses intéressantes!

 

 

J’ai effectivement principalement œuvré sur des créations qui ont trait à l’imaginaire et au fantastique sous différentes formes, fantasy, science-fiction, horreur… créer des visions marquantes qui ne relèvent pas de notre monde et du quotidien était sans doute un échappatoire jubilatoire. C’est bien sûr un pan de mon travail et de ma carrière incontournable mais j’avoue qu’avec le temps mes goûts et mes envies se sont transformés, sans doute avec la maturité.

 

M.C. : La monographie, en cours de financement par les éditions Huginn&Munin, associe dans un même chapitre vos travaux sur le jeu de plateau et le jeu vidéo.

Ayant à la fois joué à Magic dans mon enfance, et plus tard à Life is Strange, cette association me surprend : on a, dans le premier cas, de la dark fantasy réaliste, dans le second, une romance dans un récit fantastique : évidemment, une partie de votre travail est constituée de commandes ; mais de tels écarts artistiques étonnent.

Avez-vous parfois le sentiment de trahir votre style ou votre vision des choses ? Ou, au contraire, est-ce un plaisir de travailler sur des projets si différents ?

 

 

A.B. : Cette monographie se présente plutôt comme une énorme rétrospective de mon travail et de ma carrière. On essaye de couvrir un maximum de projets sur lesquels j’ai été amené à travailler. Et aussi présenter d’autres pans de création un peu plus personnels. J’ai effectivement beaucoup planché sur des travaux de commande où je développe ma vision avec un commanditaire sur un sujet précis.

Et même si j’adore toujours autant travailler sur des sujets qui ont trait à l’imaginaire, je suis de plus en plus intéressé par des projets plus terre à terre, notamment dans l’écriture, que je creuse réellement depuis quelques années.

Je travaille notamment en parallèle sur un énorme projet de bédé que j’ai écrit, basé sur des faits réels, sans élément fantastique, qui traite du deuil et des questions que ça pose par rapport à nos racines, d’où on vient… Ce qui m’intéresse là-dedans, au-delà de structurer des histoires fortes, c’est le travail de développement de la psychologie des personnages, le rapport à l’altérité (comprendre et avoir de l’empathie pour tous ses personnages), créer des conflits intéressants avec bien entendu l’objectif final qui reste toujours de créer de l’émotion.

 

 

Susciter des questions intéressantes qui marquent également, le Saint Graal de tout créateur.

Cela dit, c’est également possible de faire ça sur des sujets fantastiques mais ça crée un certain type de distanciation.

En tout cas, je suis éclectique et curieux : c’est extrêmement enrichissant de plancher sur des sujets aussi variés.

 

M.C. : Votre collaboration avec Marvel Studio en est peut-être le meilleur exemple. Avez-vous des anecdotes concernant des désaccords - ou des complicités - nés au cours de ce travail ?

 

 

A.B. : Un truc cool avec mon travail pour Marvel Studios, c’est justement la diversité des projets. J’ai travaillé sur 10 films et séries différents jusqu’à maintenant  et même si ils sont tous liés, au sein du même univers, chacun a un ton et une approche particulière.

C’est super rafraîchissant et ça présente des challenges excitants et toujours renouvelés. Là je suis encore dans un contexte où j’apporte mon savoir-faire et ma vision pour coller à un cahier des charges spécifiques. Je dois à chaque fois lire entre les lignes et comprendre le ton de chacun des films.

Par exemple Ant Man et La Guêpe s'apparente à un film de cambriolage. Il y a bien sûr des éléments fantastiques mais l’ensemble se déroule dans un contexte et un monde réaliste. La structure et le rythme ont tout du genre « Heist movie ». Thor: Ragnarok, c’est de la comédie fantastique. Et si on devait faire d’autres filiations cinématographiques, la série Loki se rapprocherait plus de Brazil ou de la série ManiacBlack widow, ce seraient plus des références comme Red Sparrow.

 

 

Chaque projet nécessite de creuser une sensibilité différente et c’est passionnant. Je parle cinéma mais ça s’applique à tout type de projet justement. On y apprend toujours quelque chose de nouveau.

 

M.C. : À ce propos, une question plus générale : est-ce que de votre travail pour le jeu de rôle à celui pour Marvel, vos outils ont évolué ? J’ai vu que vous utilisez souvent le DAO (Dessin Assisté par Ordinateur), mais que conservez en même temps une pratique plus traditionnelle de l’illustration. Pouvez-vous nous parler des différences entre les deux ?

 

A.B. : L’outil digital me semble actuellement incontournable dans tous les registres de production moderne : jeux vidéo et cinéma par exemple. Tout simplement pour les avantages qu’ils offrent en termes de retouche, d’altération, d’immédiateté…

Par exemple pour envoyer une image ce n’est plus nécessaire de la photographier ou de la scanner et justement, dans un cadre qui doit être réactif, avec des échanges entre le commanditaire et l’artiste très soutenus, c’est l’idéal. Idem pour proposer des variations nombreuses autour d’une même base : c’est l’outil idéal.. Ça nécessiterait tellement plus de temps  avec de l’encre, du papier, de la peinture…

 

 

Non pas que je n’aime pas ce travail traditionnel mais dans le cadre d’une production ou la réactivité est essentielle, pour proposer différentes pistes et s’adapter à la vision requise, c’est impossible d’être concurrentiel avec des outils traditionnels. Une histoire de production.

Mais il faut aussi préciser que même si l’outil change, toutes les notions requises sont exactement les mêmes, anatomie, dessin, composition, gestion des couleurs. On est loin de l’idée que presser trois boutons sur un logiciel va vous amener le résultat escompté, au contraire ça renforce encore plus la notion de contrôle de l’idée, de focaliser sur l’essentiel et encore une fois il s’agit d’utiliser l’outil en adéquation…

 

 

La discipline du concept art concerne le fait de produire des visuels (Art) mais il s’agit avant tout d’un énorme travail de conceptualisation : trouver les meilleures idées ou en tout cas celles qui servent au mieux l’histoire et l’expérience, qui racontent des choses, de façon évidente ou symbolique, ou encore même d’envisager des problèmes à venir (comment construire ça ? Combien ça va coûter ?). Là on traite du Concept.

Et je continue malgré tout à peindre ou dessiner en traditionnel, pour moi ou parfois sur des projets qui s’y prêtent. Et c’est aussi extrêmement plaisant.

 

M.C. : Sur quel projet travaillez-vous en ce moment ? Qu’avez-vous de prévu pour la suite ?

 

A.B. : Actuellement, outre mon travail sur les films Marvel Studios (en ce moment je suis sur Thunderbolts) mon attention est concentrée sur cette monographie et notre campagne Kickstarter. Avec l’objectif de produire un livre et des bonus que j’aimerais me procurer moi-même si il s’agissait d’un autre artiste.

 

 

Il y a une dimension émotionnelle et personnelle aussi : ce projet est une sorte d’état des lieux de tout ce que j’ai pu produire et réaliser pendant ma carrière. Plein d’images et plein de projets mais également plein de collaborations, d’histoires et d’expériences. Toutes les choses qui m’ont fait grandir en tant qu’artiste mais également en tant qu’être humain. Plein de souvenirs également. J’ai rédigé pas mal de petites histoires synthétiques pour cette campagne, qu’on publie dans les actus. C’est du contenu aussi pour le livre où on devrait trouver des notes additionnelles, des réflexions et des anecdotes pour complémenter les images : j’espère que les lecteurs apprécieront.

 

 

Pour ceux qui voudraient voir à quoi ressemblent ces actus, en voici une ici !

 

Enfin, un énorme merci à Huginn & Muninn pour la mise en contact avec Aleksi, et un autre gros merci à Aleksi lui-même pour avoir pris le temps de répondre à toutes nos questions !