Mercredi dernier, nous retrouvions John Howe pour un dernier voyage Aux sources de la fantasy, diffusé sur Arte ; je dois bien avouer qu'au final, charmé par sa personnalité légère, qui laisse le spectateur prendre ce qu'il lui plaît dans son propos sans rien lui imposer, et par les histoires illustrées contées dans chaque épisode, c'est avec une pointe de regret que je quitte ce documentaire dont l'intelligence se révèle un peu plus à mesure qu'on le côtoie.
Cette fois-ci, nous partions direction le Texas, sur les traces de Howard - connu comme l'auteur de Conan le Cimmérien, quoiqu'il ait également rédigé de nombreux autres bons récits, comme ceux de Solomon Kane, ou bien de Dennis Dorgan, sur un ton plus humoristique.
C'est encore une fois une approche inattendue de l'écrivain que nous propose John Howe, et qui le rend plus intéressant : en compagnie de Patrice Louinet, spécialiste de Howard, il nous présente un homme révolté, à la fois en paix avec tout ce que l'être humain a de sauvage et blessé par la violence qu'inflige la civilisation à ceux qui en sont exclus.
Howard n'était pas exempt des préjugés de son époque : les contraintes éditoriales propres aux Pulps dans lesquelles il publiait l'ont même forcé à en soutenir quelques-uns, mais une meilleure connaissance du personnage ne peut faire douter que son Conan, barbare et paria, incarne les opprimés et leur victoire fantasmée.
Ce dernier épisode d'Aux sources de la Fantasy était surtout remarquable en ce qu'il montrait comment les intentions d'Howard sont mises en scène dans la nouvelle Au-delà de la rivière noire, selon des ambivalences et des codes qui, pour nous peu familiers, nous seraient restés hermétiques.
R.E.Howard, jusque vers sa vingtaine, était un jeune homme bien intégré ; le succès venant, peu à peu, il dut s'isoler et consacrer à son travail une partie toujours plus importante de ses journées. Mais via les Pulps, il ne touchait que très peu - et il n'avait guère de reconnaissance de la part de sa société. Howard commence alors à concevoir un certain mépris pour les valeurs américaines.
Dans les formes que prend ce rejet, un voyage en Nouvelle-Orléans qu'il fait avec sa famille s'avère décisif : la ville compte dans les années 20 environ 200 000 habitants. Howard, au Texas, n'avait jamais croisé de villages dont la population dépassait les 500 âmes. Il associe la ville, quoique sans la condamner tout à fait, aux malheurs de sa vie d'écrivain et plus largement aux exclusions qu'elle produit, qu'elles soient sociales ou économiques, en son sein ou bien vis-à-vis des natifs.
Howard, de cette manière, s'est créé à la fois un ensemble de valeurs et un imaginaire qui ne dépendaient pas de la fantasy européenne - qu'il ne connaissait d'ailleurs peut-être pas, ce qui participe à l'originalité radicale de son oeuvre. Dans Conan, pas de quête, de rites initiatiques, de noblesse, d'héritage. L'âge Hyborien dans lequel vit Conan, c'est un mélange excitant de toutes les passions de l'auteur : les guerres cosaques, les croisades, les guerres indiennes ; et tout cela se mêle sans contrainte, uniquement pour créer un monde aussi varié, vif et intense que possible, à la hauteur de son héros, aussi excentrique que la vie qu'Howard lui-même aurait désiré. Car, ce qui rend la liberté fondamentale de Conan si puissante, c'est qu'elle est la libération, reprise et retissée sans cesse, de son auteur dans l'écriture.
Dès la mort de Howard, en 1936, des lecteurs se sont mobilisés pour faire recueillir ses nouvelles. Ce n'est toutefois qu'en 1946, par Arkham House (la maison fondée pour sauvegarder les écrits de Lovecraft) que sera publiée la première compilation de Conan le Cimmérien. De nouveaux volumes sont publiés dans les années 50, cartonnés et sous jaquette, c'est à dire dans la forme qui convient à un texte auquel on accorde un minimum de légitimité littéraire.
Patrice Louinet et John Howe achèvent l'épisode en s'interrogeant sur la postérité d'Howard, sur les qualités qui l'ont préservé de l'oubli. Ils rappellent que son succès, de même que celui de la fantasy en général, n'est pas constant : ce sont les années 30, au moment de cette ancienne grande crise économique, les années 60 pendant la guerre du Vietnam, et ces 15 ou 20 dernières années, qui ont vu la fantasy croître et s'étendre dans la société.
Plus encore qu'une échappatoire, ou le reflet de la noirceur du monde, la fantasy ouvre le désir et lui propose de nouveaux objets, à l'image des aspirations les plus enfouies - et les plus vraies - de l'esprit. La fantasy rappelle incessament l'infinité du monde et des manières d'y vivre heureux : si elle est une échappatoire, c'est aussi au sens le plus concret, car elle permet d'infléchir le présent et de créer de nouveaux futurs.
Ceux qui suivent Syfantasy de près savent que nous sommes de bons amateurs de Conan : pour ceux qui les auraient ratés, voici notre dossier sur La Tour de l'Éléphant, et l'interview que nous a accordé Valentin Sécher.
Et voici également notre podcast avec Patrice Louinet - eh oui, le même !
Toutes les images de cet article ont été tirées du documentaire Aux Sources de la Fantasy diffusé sur Arte.