Aujourd'hui, chez Syfantasy, nous vous proposons d'aller à la rencontre de l'autrice Silène Edgar, dont le prochain roman, Une Maison de Feu, paraît ce 7 juin 2023 ! Au programme : la Polynésie, Nieztche et de la science-fantasy !
Bonjour Silène, merci de nous accorder cette interview pour nous parler plus en détail de votre nouveau roman !
S.E : Bonjour Syfantasy ! Merci beaucoup pour l’attention que vous accordez à cette nouvelle parution : je suis sur des charbons ardents en attendant de savoir si les lecteurs vont aimer cette histoire !
Pourriez-vous nous présenter, avec vos propres mots, cette nouvelle trilogie ?
S.E : Déjà, je pense que donner le contexte d’écriture vous permettra d’être sûrs que cette trilogie va vous dépayser et vous procurer un vrai sentiment d’évasion : en effet, je l’ai écrit pendant la pandémie, pour une amie qui avait un gros besoin de lecture-plaisir dans son RER du soir après sa journée de travail « confiné ». Je voulais qu’elle puisse oublier le quotidien… Les chapitres sont donc très rythmés, comme un roman-feuilleton et chacun est conçu pour un temps de trajet de 20 minutes…
Vous allez donc partir sur une autre planète, dans un autre système solaire, et plus précisément dans une petite île de cette planète qui ressemble à Tahiti : Noun, le mage-familier de l’île, et Tahora, sa femme au caractère bien trempé, attendent la naissance de leur troisième enfant… et ce bébé va les bouleverser car la petite fille naît bleue comme la nuit, des étoiles plein les yeux.
Au même moment le volcan de l’île se réveille et ça, c’est vraiment anormal car c’est un signe de Chaos alors que nous sommes en pleine période d’Équilibre. En plus, ce bébé grandit à toute vitesse, elle donne des pouvoirs à ses frères et Noun découvre d’étonnantes informations sur les filles de Diké qui, comme elle, ont été conçus un jour de Chaos. Toutes leurs croyances vont être bousculées. Les habitants du village aussi car les évènements vont s’enchaîner et que tous ces bouleversements vont attirer l’attention de la reine sacrée, Matuta.
Le tome 2 et le tome 3 vous feront voyager en d’autres endroits de Monos, cette planète marais. Ils paraîtront en octobre 2023 et mars 2024… soit moins d’un an pour avoir les 3 volumes ! Tout est déjà écrit… et vous n’aurez donc pas à attendre trop longtemps. Je ne me la joue pas Georges Martin !
Dans quel genre littéraire (ou hybridation de genres...) se situe cette histoire selon vous ?
S.E : Cette trilogie est ce qu’on appelle parfois la science-fantasy ! Une autre planète, de la magie, un contexte d’astrophysique particulier, une religion manichéenne, de la physique des particules, des mystères autour des souverains sacrés… j’ai mélangé les deux genres et vous découvrirez au fur et à mesure des volumes ce qu’il en est vraiment. En tout cas, ce qui est certain, c’est que j’y renverse certains poncifs qui me déplaisent en fantasy : l’enfant prédestiné, le stéréotype du prince abandonné qu’on retrouve et qui a des dons hérités de son ascendance royale… Ils me déplaisent parce que politiquement, je les trouve problématiques : comme la plupart des gens, je ne suis pas issue d’une grande famille riche, je n’ai pas de destin… et cela ne me fait pas rêver !
Je n’avais pas envie non plus de construire l’histoire d’une self-made-woman… Mon héroïne grandit au sein d’une famille qui va rester au centre du récit jusqu’à la fin de la trilogie : elle ne se fait pas toute seule, mais dans l’échange et le partage. J’ai voulu faire une histoire qui parle de gens simples, normaux, comme nous, mais dont la vie est bouleversée par une conjonction d’évènements qui les secouent et les poussent à changer profondément. Qui poussent même la société dans son ensemble à évoluer.
Pour créer mon univers, j’ai puisé dans mes propres voyages en Polynésie et au Tibet et dans les travaux de recherche des anthropologues, par exemple pour la figure de la « reine sacrée ». Parfois, par autodérision, je dis que j’ai fait non pas de la hard science, mais de la hard anthropology… Mais c’est plus ou moins une blague car c’est vraiment une composante essentielle de mon travail : une fantasy anthropologique polynésienne avec des surprises à venir dans le tome 2 !
Avec Une Maison de Feu, vous quittez les rivages du lectorat jeunesse pour vous orienter vers un public plus mature : quelles sont, pour vous, les différences entre écrire pour un lectorat jeune et un lectorat adulte ?
S.E : Il me semble qu’il m’a suffi de m’adresser à des adultes plutôt qu’à des jeunes gens, et j’ai trouvé cela plus facile parce que j’étais très libre. J’ai voulu répondre à un des lecteurs de Moana (parue pour la première fois en 2010) qui me demandait si je pouvais lui écrire un livre pour lui, maintenant qu’il avait 25 ans. Du point de vue du style, je joue beaucoup plus sur l’implicite et je ne me mets aucune barrière lexicale alors que dans 14-14, par exemple, j’ai fait attention à ne pas concentrer les termes savants et plutôt à les répartir. Le worldbuilding est élaboré, je ne m’interdis rien. Et les thèmes touchent à des questions philosophiques qui intéresseraient peu les moins de 15 ans : la famille, les rapports de domination, le manichéisme religieux, des questions politiques sur la théocratie…
Mais cela reste en sous-texte car c’est avant tout un roman d’aventure, avant d’être une réflexion humaniste ou une métaphore sur la transformation des particules. De fait, les grands ados y trouveront aussi leur compte ; de toute façon, les lycéens qui découvrent les classiques du XIXème sont déjà confrontés à de la littérature aux thèmes plus matures. Enfin, je crois que, parfois, la principale différence ne tient parfois pas dans le style ou les thèmes, mais dans la posture : pour certains lecteurs un peu snobs, il faut nécessairement écrire des livres ardus et intellectuellement prétentieux pour être digne du rayon « Adulte » alors qu’en réalité, ces livres-là relèvent plutôt du rayon « Momie » à mon goût… Mon objectif a été d’écrire de la littérature populaire, plaisante, accessible à tous sans que le lecteur ait besoin d’un bac +5 en lettres pour en apprécier la lecture. Heureusement, c’est souvent le cas des livres d’imaginaire !
En quoi les cultures polynésiennes et insulaires ont influencé l'écriture de Une Maison de Feu ?
S.E : Après avoir vécu à Papeete en 2005-2006, j’ai écrit ma première trilogie polynésienne, une dystopie. J’avais envie de revenir à mes premières amours car j’avais été frustrée de ne pas développer assez le background. J’ai été profondément changée par mon expérience tahitienne : j’y suis arrivée ethnocentrée et j’en suis repartie avec le sentiment d’avoir tout à regarder d’un œil neuf. La famille, ma propre place dans l’écosystème, le travail… J’ai ressenti la même chose après avoir été initiée à la philosophie bouddhiste tibétaine : j’ai changé profondément dans mon rapport au monde. Alors c’est cela que propose la trilogie : un décentrement, un pas de côté, une aventure qui permet de découvrir d’autres cultures et de bouger dans ses représentations comme on le fait quand on voyage et qu’on s’intéresse aux autres humains et aux autres cultures.
Quelles théories philosophiques et scientifiques vous ont inspirée pour construire votre univers ?
S.E : Nietzsche, Arendt ont nourri ces romans ainsi que les propos de Philippe Descola sur les différents systèmes ontologiques humains. Pour ce qui est de Nietzsche, il s’agit d’illustrer, de manière très imagée, le passage de Zarathoustra sur le chameau, le lion et l’enfant-roi. La volonté de l’être humain, ce qu’il fait de son rapport au monde pour dépasser ses propres illusions.
Dans Hannah Arendt, je suis allée chercher dans La Crise de la culture des éléments sur la place de l’enfant, mais c’est surtout La Condition de l’homme moderne qui a nourri ma réflexion sur l’action humaine et sur l’inexistence du destin.
« Le fait que l'homme est capable d'action signifie que de sa part on peut s'attendre à l'inattendu, qu'il est en mesure d'accomplir ce qui est infiniment improbable. Et cela à son tour n'est possible que parce que chaque homme est unique, de sorte qu'à la naissance quelque chose d'uniquement neuf arrive au monde. »
Aïone, l’héroïne, est cette chose d’uniquement neuf qui va bouleverser la vision du monde illusoire de sa famille. Enfin, Descola et ses Lanceurs du crépuscule ont fortement influencé mon propos et des éléments de la culture achuar se mélangent à la culture polynésienne ! En effet, concevoir d’autres façons de vivre dans notre écosystème, cesser de considérer l’être humain comme séparé de la nature dont il fait pourtant partie ou comme un animal supérieur aux autres, sont des pistes de réflexion que je propose dans la trilogie.
En science, j’ai fait appel à mes amis physiciens pour construire une configuration planétaire qui ressemble à celle de Brian Aldiss dans Helliconia : j’ai imaginé un système chaotique qui, de par son instabilité, amène ses habitants vers des croyances simplistes, moralistes. Enfin, j’ai consulté un physicien des particules, lui-même écrivain de SF — Raphaël Granier de Cassagnac— pour voir si je pouvais appliquer à mon monde la théorie d’Einstein sur la transformation d’énergie en matière… de manière poétique. Et ça marche, même si c’est très fantaisiste…
Vous faites d'ailleurs partie d'un projet d'écriture collaboratif ambitieux, Les Amazonies Spatiales ! Pourriez-vous nous en dire plus sur ce projet à venir ?
S.E : Oui ! Nous sommes 15 auteurs qui, en lien avec l’ESA, l’agence spatiale européenne, essayons d’imaginer l’avenir de l’exploration spatiale en 2075. Alors que le dérèglement climatique nous inquiète tous, certaines voix s’élèvent contre les dépenses énergétiques que suppose l’envoi de sondes et de fusées dans l’espace. Or j’apprends, avec les 60 experts qui composent le collège scientifique de ce projet, que c’est justement grâce à l’observation spatiale et à la comparaison de notre planète avec d’autres systèmes et d’autres objets célestes que nous pourrons comprendre et affronter la situation catastrophique dans laquelle nous a mis le système capitaliste.
Cela suppose cependant, à mon avis, que l’on cesse d’aborder l’espace avec une conception du monde qui sépare nature et culture, ce qui est le propos que je développe aussi dans la trilogie. Je fais donc le même travail mais, pour Amazonies spatiales, je vais partir beaucoup moins loin (sur Titan), je vais m’essayer à la hard science et j’ai encore plus de cerveaux extraordinaires à ma disposition pour répondre à toutes mes questions de néophyte avec une patience infinie.
Nous discutons avec Claudie Haigneré, Christiane Taubira, nous allons visiter des hauts-lieux de la recherche spatiale et tout est mis en œuvre pour nous permettre d’imaginer un avenir souhaitable. Pour autant, nous n’avons pas de mission prospectiviste : on reste dans le domaine de la littérature, on n’est pas la red team version spatiale ! Bref, c’est un sacré projet, oui, et le résultat de notre travail paraîtra chez Bragelonne en 2024.
Merci infiniment Silène pour votre temps et vos réponses ! Pour rappel, Une Maison de Feu sort le 7 juin 2023 aux éditions Bragelonne !
Une Maison de Feu est disponible juste ici !