Critiques

À l'orée de la ville : le pire avenir possible

Par Alex Moon
5 min 20 juin 2023
À l'orée de la ville : le pire avenir possible
On a aimé
- Une crédibilité renforcée par la rigueur scientifique de son auteur.
- Un récit qui fait écho aux peurs et aux espoirs de notre génération.
- Une œuvre qui offre une compréhension très actuelle de nos problèmes de société.
On n'a pas aimé
Certains passages auraient mérités un développement sur plus de pages.

Lorsque j’ai saisi ce tout petit livre noir, d’à peine 70 pages, j’ignorais qu’il allait me tordre, me prendre au tripes, frayer dans mon cerveau éco-anxieux pour y mettre en forme tous mes doutes et toutes mes angoisses. Forte de considérations très contemporaines, la plume d’Allius nous emmène dans un futur connecté, dévasté, déshumanisé. À l’orée de la ville est une nouvelle sombre et cynique qui, sous couvert de science-fiction, alerte sur des problématiques bien réelles. Bien loin de l’utopie sociale d’Ada Palmer dans Terra Ignota, ou des robots des lendemains d’Isaac Asimov, c’est le récit d’un futur froid et cruel qui nous est conté ici. Inspiré par des événements, des personnages et des situations bien réelles, le propos de l'écrivain vient gratter la conscience de son lecteur, tout comme à pu le faire Georges Orwell avec 1984 en son temps.

Climatosceptiques passez votre chemin, Allius vous emmène dans l’un de nos pires avenirs possibles.

L’histoire

Paris, 22ème siècle. Füerzo s’éveille alors que la nuit commence à tomber sur la ville. Füerzo est un pirhack, il se sert de son talent pour le piratage informatique afin de survivre dans un monde de misère sociale, d’inégalité manifeste et d’hyper-connexion absurde. Ignorant la souffrance de ses contemporains, endossant différentes identités pour survivre, c’est une mission de vol de données dans un hôpital qui va totalement bouleverser son existence. Sa rencontre avec Anorkae, une “sorcière” selon ses propres mots, va lui faire découvrir un autre monde, loin des villes polluées et des classes sociales codifiées qu’il connaît. 
La-bas, au Foyer, là où le bonheur existe encore.

Une écriture qui claque

Dans cette dystopie de science-fiction, le futur est cruel. A tel point que le récit oscille parfois avec le pamphlet politique.

« Le néolibéralisme à cela d’incroyable, peu importe ce que tu mets entre ses mains, il se l’accaparera pour en tirer le meilleur profit [...] Tes désirs, il les changera en besoins, refermant peu à peu son étreinte sur ton autonomie ».

Cette citation renferme à elle seule tout le propos de À l’orée du la ville : Ici les plus fortunés disposent de tous les avantages, depuis les voies de circulations privilégiées, au traitement prioritaire dans les hôpitaux. Et les autres s’échinent pour tenter d’engranger toujours un peu plus de smartpoints, une monnaie inégalitaire qui permet de se payer certains services bien particuliers, afin de grimper l’échelle sociale.


Dans cette société où tout est automatisé, les gens sont déconnectés. De la réalité, de la nature mais aussi des autres. Les IA ont remplacé les relations humaines. Et pour ne pas risquer de perdre le moindre privilège, personne ne sort du rang. Même si cela signifie regarder sans bouger son voisin se faire tabasser par les sentinels, la milice mécanique.
C’est une terre sur laquelle la catastrophe climatique annoncée s’est abattue. Les cités sont envahies de smog, ce brouillard de particules fines que l'on connaît déjà au 21ème siècle. On y évoque aussi les conséquences de l’échec écologique pour les populations du Sud, devenues des réfugiés climatiques. Ces migrants sont autant de miséreux que de fanatiques religieux ou de terroristes, réels ou fabriqués par les médias corrompus.

Le monde de Füerzo est noir, inhumain. Écho des problématiques de notre époque. Difficile de ne pas y voir un présage de ce qui attend l’humanité. D’autant que son excellente documentation, tant sur les questions environnementales que biologiques, le rend parfaitement crédible. Si le Discours de la Servitude d’Etienne de la Boétie s’avère toujours d’actualité, À l’orée de la ville en est un porte-étendard.


Pourtant, comme à tous les âges, il s’y trouve encore des personnes pour s’élever contre la tyrannie et se battre pour un monde plus juste. Incarné par le personnage d’Anorkae, l’espoir subsiste.


Comme à tous les âges, cet espoir est violemment réprimé par le gouvernement.
Fragiles, volontaires, discrets, les rebelles du Foyer sont aussi colorés que la ville est grise, aussi vivants que ses habitants semblent désincarnés. 


Et si ces utopistes ont réussi à convaincre un personnage cynique et taciturne comme Füerzo d'adhérer à leur cause, le monde n’est peut-être pas totalement perdu.

Malgré son dénouement glaçant, nous, lecteurs qui refermons la dernière page, voulons tout de même garder un peu de cet espoir.

Le monde d’après

Quand on sait qu’il a été chercheur au CNRS et pour peu que l'on se sente concerné par la situation actuelle de notre planète, difficile de ne pas adhérer aux prédictions d’Allius.

Bien que le récit soit âpre, il est salutaire. Nécessaire. Tel une tape sur l’épaule de quelqu’un qui vous dirait “tu n’es pas seul, moi aussi j’ai peur pour l’avenir” cette simple pensée suffit à le rendre rassurant malgré son ton acide. 
Ensemble, un autre avenir est possible.

Et si vous n’adhérez pas aux récits alarmistes, aux politiques d’anticipations ou à la climato-fiction, il vous reste une excellente aventure de science-fiction.

 

À l’orée de la ville, aux éditions PVH, est à découvrir par ici en version numérique et là en version papier.