Le style, si intense
Le monde toujours plus passionnant
Nous y sommes : la première trilogie du Vieux Royaume se conclut, et avec elle nos aventures avec le sire Benvenuto... Enfin ! Déjà ! Le cœur balance en refermant ce dernier tome tant attendu et avoir suivi au fil des pages les vies entremêlées du dur assassin, et du rude chevalier.
Je ne reviens en effet que peu sur l'histoire : qui lira les deux premiers tomes voudra nécessairement en connaître la fin, quant aux autres, je ne veux pas leur gâcher la découverte de ces sentes. L'enchâssement narratif complexe des deux premiers tomes est ici moins présent, et la fin laisse encore de nombreux fils à tisser... Promesses de nouvelles histoires ? D'aucuns diraient qu'on reste sur sa faim, d'autres qu'il faut ménager son appétit quand on veut faire un long voyage. Je ne tranche pas, vous en jugerez en lisant.
Le Chevalier aux épines 3 : les dames débattent, les hommes se débattent
Cependant, ne vous attendez pas à en apprendre trop sur notre triste ami Benvenuto : ce tome revient à Ædan et au style haut et enlevé du premier, renoue avec la tradition épique et chevaleresque qui rend la lecture aussi intéressante qu'exigeante. On pourrait invoquer de multiples raisons justifiant l'importance d'un style aussi recherché, novateur dans ses archaïsmes sophistiqués, surprenant dans son mélange de prose et de poésie (il y en a si peu en fantasy !). On pourrait dire le plaisir de découvrir de nouveaux mots qui font écho aux plus vieux textes que l'on ait lus, de sentir la courbure de la langue, et sa profondeur. On pourrait sentir la poussière des mâchicoulis et la fraîcheur des rus rien qu'à leur nom prononcé. Mais en réalité : on aime, ou on peine. De gustibus...
Consensus cependant sur la qualité du monde déployé sous nos yeux. Le Vieux Royaume devient plus concret à chaque page, plus original et plus complexe. Le lecteur assidu commence à en avoir arpenté une bonne part, et en avoir fréquenté de nombreux personnages. Ce sont d'ailleurs ces derniers qui animent le décor, et le font vivre. On s'attache aux hommes et leurs roublardises comme à l'inconstance des elfes, aux amis comme aux ennemis, bien que la frontière soit dans ce tome plus clairement établie. La douleur de l'honneur cependant, le devoir de remplir tous ses engagements, même contradictoires, infuse ce texte d'une ambiguïté qui tient le lecteur en haleine, alors qu'il voit Ædan s'enchevêtrer de toile en toile. Roman courtois ? Toujours autant qu'il est épique et terrible. C'est là le brio de cette trilogie : si on loue souvent la renaissance d'un genre médiéval réservé depuis des siècles aux longues heures du collège, on oublie peut-être aussi souvent sa modernité, sa pleine inscription dans la fantasy contemporaine. Sinon, pourquoi un tel public ? Cette trilogie nous a bercés pendant un an, mais j'ai pourtant l'impression de la connaître depuis bien plus longtemps, comme si elle était une évidence. Est-ce ça un classique ?
Je ne cache pas mon engouement pour ce cycle, car il est pur et sincère. Je ne crois pas qu'on puisse l'ignorer dans le paysage contemporain de la fantasy, française ou pas, qu'on l'apprécie ou non. Je peux comprendre qu'on souhaite des mondes plus révolutionnaires, des plumes plus conventionnels, des histoires plus claires. Je peux, et pourtant je retournerai à Ciudalia, en Bromael et même dans les Landes Grises dès que les moutons électriques reviendront paître là-bas. Et sinon, je marcherai encore une fois dans les pas de Benvenuto avec un plaisir coupable !