Critiques

Enfin la nuit : vous n'aurez jamais si peu foi en l'humanité

Par Manon V
5 min 28 juillet 2023
Enfin la nuit : vous n'aurez jamais si peu foi en l'humanité
On a aimé
- L’histoire post-apo qui se concentre sur la psychologie des personnages
- La narration immersive
- La belle maîtrise des personnages et de leur construction
On n'a pas aimé
- L'intrigue peu originale

Comment réagirait la population si la nuit ne tombait plus ? C’est ce que Camille Leboulanger imagine dans son roman posta­pocalyptique Enfin la Nuit, paru chez les éditions l'Atalante. Même si mon cœur a failli s’arrêter plusieurs fois à cause de la mort qui a bien trop souvent frappé, je vous dis dans cet article pourquoi il faut lire ce roman !

 

Une histoire de survie

 

Pourquoi le soleil ne s’est-il plus jamais couché ? Pourquoi les humains se sont-ils mis à s’entretuer ? Peu importe les réponses, plus rien ne sera jamais comme avant.

Traumatisés, les survivants font comme ils peuvent sous l 'inquiétant ciel orangé. Thomas est l’un d’eux. Ancien policier, sa femme part le jour où tout bascule et meurt sous les mains d’une autre femme désespérée. Alors, pourquoi rester dans cette ville où il a toujours vécu, aujourd’hui jonchée de corps sans vie ? Il part sur les routes, pille, oublie, tombe dans le déni. Puis il y a Sophie, cette jeune adolescente sans repère, Félix, le jeune homme au chewing-gum, et ce train qui devrait passer, recueillir les survivants, donner de l’espoir.

 

Le portrait d’une humanité dévastée

 

« C’était un vrai stéréotype » dit le narrateur. Et il n’a pas vraiment tort : une population autodestructrice, un paysage vidé de toute forme de vie, des cris d’agonie, un ciel aux couleurs orange…Tout coïncide avec ce que l’on imagine lorsqu’on écrit sur un tableau blanc le mot « postapocalyptique ». Pourtant, l’auteur offre avec son premier roman une histoire singulière.

Loin d’être un énième récit à ajouter sur la longue liste du genre, il se démarque par la psychologie des personnages qui est finement étudiée au détriment de l’intrigue. Le manque d’action n’en est étonnamment pas un : tout au long du roman, les différents personnages essaient de retrouver le contrôle de leur vie. Si cela semble peu percutant comme trame, l’auteur maîtrise à la perfection son récit, permettant de ne pas s’ennuyer. Ainsi, les personnages privés d’émotions dans une société effondrée essaient de retrouver leur chemin, non sans laisser de traces sanglantes.

Je ne me retournai pas. Il était fini le temps où j’aurais pu me retourner. Pour se retourner, il faut avoir quelque chose vers quoi se retourner, et on ne se retourne vers rien quand on ne sait même plus qui on est.

Une immersion fatale

 

Lire ce roman est éprouvant. Non seulement l’auteur instaure une intimité avec le personnage, mais il nous met à sa place : aucune de nos questions n’a de réponse. On subit de plein fouet les conséquences de l’imprévisible Apocalypse en mêlant incompréhension, désorientation et effroi. D’autant plus que Camille Leboulanger ne nous épargne pas. Les morts pleuvent du ciel et la violence des actes est décrite avec des mots crus.

N’apaisant aucunement cette brutalité, le narrateur omniscient ajoute même une froideur au récit qui fait écho à l’imperméabilité de certains personnages. Il dévoile des informations mineures mais souvent morbides sur le futur, jusqu’à ce qu’on le voit uniquement sous le prisme de la déchéance.

 

Et derrière tout ça ?

 

Plusieurs récits postapocalyptiques cachent une inquiétude voire une angoisse intérieure. Enfin la nuit n’y échappe pas : l’instabilité parvient aussi à brosser le portrait d’une ancienne civilisation bancale et individualiste, anéantie le jour où le soleil ne s’est plus couché. Alors poussée dans ses derniers retranchements, on observe ce qui a de pire chez elle : égoïsme, barbarie et détresse. Pour autant, on y retrouve un souffle nouveau. Les personnages n’ont plus que leur vie en leur possession : plus de propriété, plus de boulot, plus de responsabilités. La liberté. Alors on perçoit derrière chaque ligne un jeune auteur de dix-neuf ans déjà à bout de souffle, s’inquiétant de l’aveuglement général, de la croissance et du futur incertain. Comment ne pas retrouver une résonnance en soi ?

On était malades des autres. Malades de trop, même si on se l’avouait pas. Malades faute d’espace. On avait besoin de respirer. […] On n’en pouvait plus, et on ne le savait pas. Alors le ciel est devenu jaune. Alors on a tous respiré un grand coup. 

 

Un roman psychologique réussi qui nous plonge dans un monde chaotique et pourtant pas si éloigné du nôtre…Pour les amateurs de ce genre, à lire sans hésitation !

Enfin la nuit est disponible juste ici !