Critiques

Nuits torrides et sueurs froides, contées par Mariana Enriquez

Par Alex Moon
5 min 5 novembre 2023
Nuits torrides et sueurs froides, contées par Mariana Enriquez

Ça aurait dû être une journée comme les autres. J’avais travaillé mes textes jusqu’à midi et demi, je ne reprenais pas le boulot avant quatorze heures, et tandis que mon plat de riz aux falafels réchauffait tranquillement, je suis allée voir le courrier.
Il m'attendait dans une petite enveloppe de kraft.
Un livre.
Le livre.

Je connaissais Mariana Enriquez par un ami qui m’avait beaucoup parlé de son roman Notre part de nuit. Pourtant, même s’il m’avait décrit le malaise qui s’était emparé de lui à la lecture, cette angoisse que l’autrice parvenait à faire naître en gommant la frontière entre réel et imaginaire, je n’étais pas prête.

Dans Ce que nous avons perdu dans le feu, ce sont douze nouvelles, qui vont du malaise à la terreur pour faire frissonner le lecteur.
Ici, l’horreur trouve d’abord sa source dans le quotidien. En basant toutes ses histoires en Amérique du Sud, le plus souvent en Argentine (pays d’origine de l’autrice) elle offre un cadre sordide bien réel, entre favelas crasseuses, trafic de drogue, prostitution infantile, meurtres de cartels et rituels païens morbides. A cela vient s’ajouter juste ce qu’il faut de surnaturel pour insérer une couche de frisson supplémentaire à une histoire déjà angoissante. Bien souvent d’ailleurs, le fantastique n’est que suggéré, au lecteur de choisir si le personnage s’imagine des choses où si elles se produisent vraiment. Comme dans Fin des classes, septième nouvelles de ce recueil, qui créera chez les connaisseurs le même malaise que le jeu Doki doki literature club !
Parfois, l’horreur vient des vices terriblement réels des personnages (L’enfant sale) nous plongeant alors dans une douloureuse introspection sur la société et l’humanité. D’autre fois elle s’insère via un fantastique assumé (La maison d’Adela) et nous rappelle sans ambiguïtés les histoires effrayantes que l'on se raconte durant les soirées pyjamas de l’enfance. Celles durant lesquelles on ne fermait pas l'œil, mais ou l’on osait rien dire, de peur de passer pour un poltron. Et puis il y a aussi cet hommage à Lovecraft (Sous l’eau noire) qui prouve la maestria du maître en la matière, puisque la simple lecture du nom d’un grand ancien m’a hérissé les poils de la nuque !

Je n'oublie pas non plus les horreurs infligées aux femmes. Car les hommes, dans ces nouvelles, s’ils ne sont pas tous des violeurs, sont souvent terriblement cruels envers elles. Comme dans le récit qui à donné son titre à l’ouvrage, et qui débute par l’histoire de celle que son mari à défigurée en la brûlant, pour lui faire payer son infidélité supposée.

Mariana Enriquez, sans artifices, sans créatures alambiquées ou surnaturel appuyé, parvient à distiller malaise et angoisse de façon magistrale. Une horreur bien réelle, à échelle humaine, qui ne se trouve pas dans ce qui est écrit, mais bien dans ce que l’auteur ne dit pas et laisse à la  libre imagination du lecteur. Pour le meilleur, mais surtout pour le pire !
Une découverte horrifique qui m’a été proposée par ma camarade Laracroman que je remercie ici.

Si vous voulez frissonner pour Halloween, n’hésitez pas à aller découvrir ces douze histoires d’horreur aux éditions Points.