Critiques

Trois Lucioles, Capitale du Sud 2 : parler d'aujourd'hui en fantasy ?

Par Dragonarcane
3min 13 octobre 2023
Trois Lucioles, Capitale du Sud 2 : parler d'aujourd'hui en fantasy ?
On a aimé
Les personnages, plus mûrs et plus sincères
L'univers, qui se révèle un peu plus
Les thèmes abordés, à la fois classiques et d'actualité
On n'a pas aimé

J'avais aimé le premier tome, je crois au second. Le cycle à deux voix de la Tour de garde, de Guillaume Chamandjian, s'enrichit avec Trois Lucioles d'une œuvre au ton ambigu, à la fois plus dur et plus doux, capable de susciter le frisson de peur et celui d'émoi. Nox a grandi, sa voix aussi, et Gemina nous endrape plus que jamais, avec ses boyaux obscurs comme ses éclatantes tours.

 

Personnage principal, Nox se refuse presque à l'être, satisfait de vaquer à ses occupations dans son chez lui selon sa volonté ; malheureusement l'histoire doit s'écrire, le destin s'accomplir. La guerre sourd sous les pavés et goutte des toits, nul n'échappera aux flots une fois qu'ils seront lâchés. Aucun de la Caouane, aucun du Port ou de l'Entre-deux, dont on apprend enfin un peu plus, aucun de ceux que nous connaissons déjà ou que nous découvrons au fil des pages.

 

Je le confesse, ce sont les personnages qui me touchent le plus dans cet ouvrage : Nox grandit, sans sombrer dans la naïveté ou la dureté souvent trop vite brossées des jeunes adultes, ses amours heureuses et malheureuses sont esquissées avec une justesse que j'ai appréciée, ses amitiés aussi touchent sans dégoûter de simplicité. Je ne veux pas gâcher le plaisir de la surprise, qui est en soi elle-aussi une surprise bienvenue quand on sait à quel point les schèmes habituels de la fantasy peuvent lasser le lecteur aguerri, je ne nomme donc pas, mais je pense que la majorité des lecteurs sauront vers qui porte leur cœur.

 

L'histoire prend de l'ampleur, l'univers avec elle, et on savoure la liberté gagnée sur les murs étroits d'une cité qui est aussi une prison pour le regard, et les rêves parfois. C'est cette même liberté qui est parfois douloureuse, parce qu'elle s'accompagne d'une responsabilité terrible, et d'actes qui le sont tout autant. Grandir, c'est apprendre à choisir, tout le monde le sait, mais on ne suit pas les hésitations de Nox sans sentir la justesse de ses peurs, et se rappeler qu'on a jamais vraiment fini de grandir.

 

Ce qui m'a le plus surpris cependant, sans révéler rien de ce qui arrive dans le livre, c'est l'irruption d'un thème ô combien brûlant vers la fin de l'ouvrage. Comme tous les habitants de Gemina, comme Nox lui-même, on l'avait tranquillement oublié, reléguer sous le tapis des soucis quotidiens et des tâches que nous donne la société. Pourtant, les portes finissent par céder, et le tapis s'envoler, et nous par nous retrouver devant nos responsabilités, encore une fois. Ces problèmes de notre monde et de notre temps ne se retrouvent pas toujours dans les ouvrages de fantasy, et si je suis parfois méfiant des grands discours bien rodés et bien inutiles, de mots et d'idées bien propres et fiers, je dois reconnaître avoir été pris par surprise. Moi aussi j'avais fait au plus simple ! Moi aussi je m'étais résigné !

 

Être classique, c'est concilier la surprise et l'attendu, le code et l'innovation. Le cycle parvient à cet équilibre dans ce tome, car il développe (le héros « assassin », la noblesse déchirée, la guerre), et propose dans le même moment (le héros poète, la noblesse citadine, les réfugiés). Il y a quelques pages qui m'ont arrêté, moi qui lis comme on dévale des rapides : le débat de la liberté et de la sécurité, glissé entre deux couvertures et vêtements, m'a laissé songeur quelques temps. Ce que j'ai aimé, c'est la subtilité avec laquelle le thème est évoqué, à peine en passant, du bout des lèvres, sans discours ou clin d'oeil. Au lecteur de voir, de prendre, de penser.

 

Sans chercher à faire la leçon, sans éviter les conséquences, ce livre n'est donc pas que de l'imaginaire, du plaisir à consommer et à jeter une fois vide. Au contraire, il s'agit d'une œuvre qui se glisse et se rappelle à l'esprit, pour l'évolution de son intrigue et univers comme pour ce qu'elle réveille en nous, d'immémorial ou de plus contemporain. Elle ne s'écarte pas des codes de la fantasy, elle est avant tout plaisante et attachante, certes ; elle n'en est pas moins surmontée d'un clocher dont le son nous rappelle qu'à chaque mot doit répondre un acte, si l'on veut être un héros nous aussi.

 

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