1.
| La Croisade Eternelle de Victor Fleury
Dans l’empire d’Ubuk, qui s’inspire librement des empires sumériens et mésopotamiens, une femme déracinée cherche à protéger son fils et survivre à la cour des Reines-Prêtresses et des Rois-Prêtres, des demi-dieux arrogants qui se pensent investis d’une mission sacrée : apporter leur religion de Lumière au reste du monde à travers une guerre sainte millénaire. Avec un univers qui sort des codes médiévaux de la fantasy et des personnages intéressants, si ce n’est attachants, Victor Fleury nous procure un sentiment agréable de lecture avec une fluidité d’écriture incontestée. Avec un cliffhanger étonnant à chaque tome, cette trilogie est savoureuse et on ne voit pas les pages filer !
L’auteur ne s’attache pas à simplement décrire une ville qui « donnerait l’impression que », non, il se cache dans les détails, comme les tenues des serviteurs, comme le rôle de chacun dans cette hiérarchie bien huilée qu’est cet empire dominé par des Prêtres-Rois. L’ambiance qu’il donne aux cités-états (Antiquité oblige) et leurs traits propres donnent l’impression d’un univers foisonnant où les dieux sont parfois les mêmes mais où quelques monts plus loin leur nom change et les rites qui lui sont dédiés également !
La Croisade Eternelle met également en jeu ces dieux, qui peuvent accorder leurs faveurs mais aussi leur courroux à leurs serviteurs ! Victor Fleury recréé ainsi l’image que l’on se fait de la mythologie antique : les Hommes peuvent converser avec les dieux, des créatures gardent les eaux sacrées… Je pense notamment à cette scène épique où un dieu-gardien d’un lac se sent insulté et où ses enfants viennent assaillir le navire de notre héroïne qui semble bien fragile face à la puissance des dieux !
La guerre sainte n’est qu’un moyen pour l’auteur de nous plonger dans les méandres de son univers et de mettre en place des intrigues et jeux de pouvoir politique qui raviront les fans de fantasy du genre ! Qui plus est, les cartes de chaque univers réalisé par l’éditeur sont de toutes beautés et les détails qui l’entourent nous donnent des clés pour comprendre les inspirations culturelles de l’auteur !
On ne vous le répétera jamais assez sur ce site, lisez Victor Fleury !
2.
| Les Ménades de Nicolas Texier
Nicolas Texier nous plonge dans la Grèce antique, dix ans après la célèbre guerre de Troie. Les noms et les lieux nous sont familiers dans cet Odyssée revisité au féminin. En effet, nous suivons les pas de Lyra, Enyô et Agamê (trois noms qui invitent déjà au voyage et au mythe) qui entretiennent une belle amitié sur leur île. La sortie de l’adolescence étant proche, elles décident d’honorer Dionysos au cœur de la forêt et de s’abandonner à des substances peu recommandables, comme les ménades (les adoratrices du dieu du Vin). Mais… à leur retour, leur village a été ravagé par des pirates et la population enlevée par ces derniers.
Les trois héroïnes, en quête de repères, décident alors de les poursuivre afin de sauver leur peuple. L’occasion pour l’auteur de leur faire vivre leur propre odyssée, en croisant cyclopes, Néréides et autres créatures mythologiques, qui sont autant d’épreuves pour ces adolescentes. Ce qui, en un sens, en fait un merveilleux roman d’initiation. Qui plus est dans un cadre enchanteur et fascinant qui a toujours bercé notre enfance (qui n’a pas lu l’Odyssée à l’école !). Cette mythologie étant peu exploitée dans la littérature française imaginaire, Nicolas Texier surprend et son monde ne manque pas d’originalité !
Les adolescentes font tantôt preuve de force, de faiblesse, d’inexpérience, de tolérance, de haine ou encore d’amitié sincère, ce qui nous les rendent toutes les trois extrêmement attachantes. Rien n’y est lisse, ni la langue, ni le style, ni les paysages et encore moins les personnages qui apportent une sensation irréelle qui frise avec le mythe.
Un vrai plaisir de lecture.
3.
| Runequest - Glorantha de Greg Stafford
Une fois n’est pas coutume, nous allons parler jeu de rôle ! Mais pas n’importe lequel : Runequest ! Créé en 1978, ce jeu de rôle n’a cessé d’étendre son univers dans lequel vous incarnez des hommes et des femmes (humains ou autres) dans une Antiquité fantasmée où se mêlent Assyriens, Grecs, Chinois des Han… Nous ne parlerons pas ici du système de jeu mais uniquement de l’univers et des ouvrages qui sont magnifiquement illustrés et qui sont de magnifiques invitations au voyage à eux seuls.
Au sein du monde Glorantha, les runes ont leur importance : elles sont le lien avec le divin et les Elémentaires. Pour devenir un héros ou presque un demi-dieu, il faut connaître et manipuler les runes. La magie est plus que concrète dans ce monde ancien où interfèrent les dieux !
Le monde se présente sous la forme d’un cube de terre flottant au milieu d’une mer infinie où les dieux observent les hommes et aident leurs croyants, parfois au détriment du bon sens même ! Les nations sont leur pion et les équilibres entre elles sont parfois rebattus abruptement. Par exemple, les fiers barbares des steppes vénèrent le Dieu de la Foudre, qui incite son peuple à s’attaquer au puissant Empire Lunar, qui est conduit par l’Empereur-Dieu du Soleil et dirigé dans l’ombre par la Prêtresse de la Lune, aux pouvoirs immenses.
Vous l’aurez compris, si les visuels ne vous avez pas mis la puce à l’oreille, Glorantha mêle subtilement religions et cultures dans un cocktail étonnant qui apporte une touche d’exotisme certain à cet univers aux dimensions titanesques (et encore je ne vous ai même pas parlé des hommes-plantes aux confins du monde, ou encore de ces hommes-lézards aux habitudes étranges…).
4.
| Troie de David & Stella Gemmell
Et si ?... C’est une question lancinante qui jalonne toute la dernière trilogie écrite par David Gemmell (et menée à son terme par sa femme Stella). Et si le Temps nous avait joué des tours ? Et si le Cheval de Troie était en vérité la cavalerie troyenne, force d’élite qui sillonna toute la Grèce pour protéger sa très chère cité ? Et si Hélène n’était pas la plus belle femme du monde mais une jolie femme à qui un instant de grâce l’aurait élevée brièvement au rang de déesse de la Beauté, l’inscrivant ainsi dans la légende ?
Toutes ses interrogations, David Gemmell se les ai posées et bien plus encore car il imagine un Enée (à l’origine de la fondation de Rome) aventurier qui s’est choisi un nom afin de faire fi de son passé de prince : Hélicon. Suite à une heureuse rencontre avec Ulysse, il devint membre de son équipage et guerroya et commerça en compagnie de ce grand Roi. Mais Hélicon est et reste un prince fidèle à Troie, ce qui causera sa perte, malgré un Priam de plus en plus sénile et despotique. Or, Troie, la grande cité d’or et capitale du commerce maritime est la source de toutes les convoitises. Tous les Rois de Grèce ourdissent dans l’ombre à la chute de cette nation qui étend son influence jusqu’en Egypte…
Evidemment, Troie tombera mais l’objet de cette trilogie n’est pas tant de réécrire la conclusion que ce qui poussa le monde connu à s’attaquer à la plus belle des cités et surtout réécrire les personnages ! Achille est vénal mais honorable, Hector reste le bon père de famille et le plus grand guerrier du monde mais est aussi un héros pétri de doute, Enée/Hélicon joue un rôle actif dans la défense de Troie, Ulysse est un ami de Troie avant de se faire trahir par Priam… Mais je n’en dirais pas plus pour vous laisser la surprise des réécritures réalistes des scènes que l’on connaît tous et toutes !
L’ambiance est parfaite et a ce « goût de réel » que seul David Gemmell sait maîtriser. Les armures sont décrites avec une finesse qui transporte, la Méditerranée est splendide et sauvage sur les navires grecs, les combats sont épiques et surtout les passions sont profondément humaines. Selon moi, Troie est le chef-d’œuvre de David Gemmell. La conclusion écrite par Stella Gemmell fait honneur à sa plume et signe une fin très poignante (même si nous la connaissons tous déjà) !
5.
| Le Cycle de Mithra de Rachel Tanner
Au cœur d’un Empire romain revisité, Rachel Tanner offre une splendide uchronie religieuse : l’Empire ne s’est pas converti massivement au christianisme mais plutôt au culte de Mithra, une religion venue du lointain Orient. Ce culte a l’avantage d’avoir une forme tellement souple qu’il permet d’englober d’autres religions et rites. Grâce cet arrangement avec l’Histoire, l’autrice se permet de nombreuses réflexions politiques, religieuses et historiques !
Tout comme avec le christianisme et le polythéisme important dans l’Empire romain, Mithra s’oppose aux anciens dieux. Chaque camp est incarné par une femme : Frédérique, la prêtresse de Mithra et la magicienne Ygrenne des dieux anciens. L’intolérance et la volonté hégémonique du culte conduisent à des luttes intestines mais pas seulement : les légions marchent vers la guerre. Et comme nous nous situons au 8ième siècle, un certain Charlemagne est également de la partie (oui oui l’Empire romain d’Occident a finalement duré bien plus longtemps que dans notre Histoire). En suivant les traces de ses différents héros et héroïnes, l’autrice explore les contrées encore sauvages de la Gaule et de la Germanie, qui côtoient des scènes plus urbaines et qui sont porteuses d’un souffle très impérial !
La plume de Rachel Tanner brille avant tout dans l’action où ses scènes de bataille sont impressionnantes et pleines de tensions. On ressent quelques peu l’influence de David Gemmell (et les fans d’Anthony Ryan devrait y trouver leur compte également !) et c’est pour le mieux !
Une fantasy historique et politique dure, avec un brin de magie qui donne l’impression que les anciens dieux arpentent encore le monde. Une vraie pépite.