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Dossier : Conan, le barbant ? Vraiment ? Les métamorphoses du barbare
Par Maxime - Carraz
7 min.
29 octobre 2022
1
- Le pourquoi, le comment, qui, et qui
2
- Conan, héros, un paria ?
3
- Howard, une écriture déchaînée
4
- Suppléments
1.
| Le pourquoi, le comment, qui, et qui
Lire n’a rien d’évident ; aujourd’hui tout particulièrement, il y a une tension, entre soit un rapport vertical au texte - qui serait un objet canonique, une leçon - soit un rapport qu’on dirait horizontal, critique, créatif ; rapport dans lequel l’acte de lecture s’invente et s’enrichit sans cesse. Le Conan de Howard, qui a atteint cette année l’âge canonique de 90 ans, demeure un ovni, et bien malin serait celui qui saurait en fixer le propos - et empêcher notre barbare favori de nous inspirer, tant en ce qui concerne notre imaginaire que nos valeurs. Et justement, notre dossier d’aujourd’hui a été motivé par le travail d’illustration réalisé par Valentin Sécher sur La Tour de L’Éléphant, et le dialogue engagé entre l’auteur et l’artiste, qui motive une relecture enthousiaste de la novella d’Howard.
On pourrait penser de Conan que c’est un peu vieillot, et certes on ne manque pas de nouveautés passionnantes à chroniquer : il faut garder à l’esprit qu’Howard, ex nihilo, a créé un univers original dont l’écho perdure à travers maintes et maintes oeuvres contemporaines. Revenir au fondateur, c’est se permettre de percevoir le dialogue qu’entretiennent avec lui nos auteurs vivants. C’est surtout profiter du travail magnifique de Valentin Sécher, qui constitue une oeuvre à lui seul et qui mérite qu’on s’y penche.
Ce sont des compositions hyper dynamiques - hoquetantes, presque - un réalisme des détails projeté sur des arrières-plans fantasmagoriques, qui ressemblent aux tableaux de l’imagination et grâce auxquelles on suit Sécher comme Howard dans l’intimité de leur activité créatrice. Ce rêve éveillé et joueur s’allie à une précision qui happe, et le mouvement de l’image accompagne celui des pages, qu’on ne peut s’empêcher de tourner trop vite.
Valentin Sécher se situe dans la lignée d’illustrateurs comme Alex Ross, Norman Rockwell, Drew Struzan, Travis Charest, Mathieu Lauffray. Jean-Luc Istin, directeur de collection aux éditions Soleil, le met en contact avec le scénariste Stéphane Louis avec qui il dessine sa première BD : Khaal, Chroniques d’un empereur galactique. Il est ensuite choisi par les Humanoïdes Associés pour réaliser la suite directe de La Caste des Méta-Barons, Méta-Baron. En 2021, il travaille une première fois pour une BD Conan chez Glénat : L’heure du Dragon. La Tour de l’Éléphant est sa première nouvelle illustrée.
Robert E. Howard est un vieux Texan, quoiqu’il soit mort trop tôt, à 30 ans, en 1936, 8 ans après qu’il a percé. Il crée Conan en 1932, qui lui vaut d’être connu de la postérité. Bien qu’il n’ait pas la même reconnaissance que, par exemple, Tolkien, et qu’on l’ait relégué dans une marge de la culture, on ne saurait dédaigner son influence réelle sur la constitution d’un imaginaire de la Fantasy.
La Tour de l’Éléphant débute avec l’arrivée de Conan dans une taverne mal famée du quartier de Maul, en Zamora. Chacun s’y vante de ses talents et de ses exploits en tant que coupe-bourse, voleur ou contrebandier ; notre héros, qui n’est pas moins un intrus qu’un étranger, s’étonne. Pourquoi, parmi tant d’hommes habiles, n’y en a-t-il pas un seul pour voler le Coeur de L’Éléphant, joyau du quartier des prêtres dont la valeur dépasse celle de plusieurs royaumes ? Et chacun de se moquer de lui ; va, tu n’es qu’un ignorant. Conan le prend mal, et il ne comprend pas les moqueries dont il est l’objet ; le cynisme des buveurs, leurs peurs lui sont étrangers : il part, cette nuit-même, vers la Tour de L’Éléphant, dont le joyau sera bientôt sien. Mais le trésor qu’il y trouve ne soit pas celui auquel il s’attendait.
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2.
| Conan, héros, un paria ?
Le texte frappe, à vrai dire, par sa profusion d’événements, dont aucun ne semble creux. Chacun nous emporte, non qu’on ait peur pour l’invincible barbare, mais parce qu’il ne se rend pas compte lui-même de sa force : les épreuves se succèdent, mais pour le raconter, lui. Son corps, comme sa culture, ont été façonnés par les paysages frustes du Nord. Sa religion, son dévouement pour Crom n’ont d’origine que les conditions rudes de la vie là-bas, de destination que la reconnaissance de sa supériorité en tant que guerrier.
Ses aventures dévoilent la profondeur de sa culture, plutôt que ses discours ; et c’est lui qui sait faire preuve de confiance, envers un voleur qu’il croise et qu’il prend comme complice, ou d’empathie envers les monstres de la tour. Faut-il y voir une inspiration rousseauiste ? Le sens de la justice et du bien vont à l’homme « sauvage », tandis que les Zamoriens, rusés, habiles, philosophes, sont veules et humiliants. Conan aspire à l’exploit par ce qu’il est seul, et il dépasse ainsi une culture dont il n’a pas les codes : de même qu’Howard, texan des années 30, dépasse les new-yorkais de son temps par son talent littéraire.
Conan n’est une brute que dans la mesure où c’est un exclu, et c’est un héros parce qu’exclu il n’est en rien diminué. Éprouver sa propre valeur, pour lui-même, voilà sa revanche : c’est ce qui fait de Conan l’expression d’une liberté, l’affirmation d’un désir d’indépendance. Le texte dépasse la simple mise en scène de ces affects : si la valeur de Conan semble répondre à une nature - à son corps, ce corps est ouvertement mythique : il descend des Atlantes.
Le lecteur qui voudrait s’identifier à Conan est prévenu, ce qui a été pour le barbare un don doit être pour lui le fruit d’un parcours philosophique, moral, esthétique. Un parcours semblable peut-être à celui d’Howard, qui lui a permis d’écrire cet univers, pour nous familier, invraisemblable en 1932.
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3.
| Howard, une écriture déchaînée
Conan avait été mis en marge, en tant qu’oeuvre, sous prétexte qu’il fallait enjamber les opinions de son auteur, pour accéder à un récit dont l’intérêt, dès lors, se serait limité à des motifs imaginaires creux. Aujourd’hui encore, malgré sa postérité, on aurait du mal à faire reconnaître Howard dans l’histoire de la littérature - l’argument, de mauvaise foi, étant qu’il ne s’agit pas vraiment de littérature. Mais peut-être est-ce à cause aussi de cela qu’Howard est un si grand plaisir à lire. La Tour de L’Éléphant est un texte excitant et stimulant.
Au nom de quelle théorie revêche devrions-nous restreindre notre adhésion à Conan ? Parce que l’auteur ne paraît pas souscrire aux prescriptions, ou aux contraintes des institutions littéraires, le lecteur à sa suite abandonne son esprit de censure, et le souci de savoir si ce qu’il tient entre les mains est « bon » ou « mauvais », il suspend ses certitudes de même qu’à l’orée d’un conte. Le caractère fantaisiste d’Howard devient pour le lecteur une libération critique.
Il y a du panache ici. On ne songerait pas à exiger de l’auteur une justification, dans le choix de ses péripéties, quand tout craquelle sous le caractère explosif de sa créativité. Au contraire, chaque détail devient un prétexte à l’excentricité. Si Conan a besoin d’une corde, pourquoi ne serait-elle pas « faite de tresses de cheveux de femmes mortes, dérobées à même leurs tombes à minuit, puis trempées dans le suc mortel de l’arbre upas, pour la rendre plus solide » ? Les monstres de la tour, pourquoi ne pas les faire venir de l’espace ? Ainsi, sur les aventures de Conan sont projetés les fragments d’autres aventures, pour lesquelles Howard pioche dans tous les imaginaires sans qu’aucun tri ne soit pertinent.
La vérité n’est pas une contrainte, la puissance évocatrice et l’amusement l’emportent, et comme un enfant, on reprend conscience qu’après tout on n’en sait jamais assez pour distinguer ce qui peut exister, de ce qui ne le peut pas. Howard ne se brime pas, dédaigne de se situer nulle part, il jaillit sans cesse et nous transmet encore la jouissance qu’était pour lui l’écriture.
Cette nonchalance féroce sans doute était nécessaire, pour créer de toute pièce le monde de Conan le Cimmérien, pour fonder quasiment un nouveau genre.
La Tour de L’Éléphant est disponible aux éditions Bragelonne pour 29,90 euros, dans sa traduction par Patrice Louinet - une des principaux exégètes d’Howard, ce qui est bien heureux, car les anciennes traductions étaient peu scrupuleuses. Les illustrations sont de Valentin Sécher, qui les a d’abord peintes à la peinture à l’huile, avant de les numériser, de les retoucher, et de les faire imprimer en quadrichromie.
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4.
| Suppléments
On vous met également une petite liste, loin d'être exhaustive, des adaptations récentes de Conan le Barbare !
Il s'agit d'un tower defense très inspiré de They are billions, avec quelques bonnes idées, dont surtout un mode co-op réussi. Conan unconquered était sorti en 2019.
Vous pouvez également retrouver Age of Conan : Unchained, un mmo au succès mitigé (dont voici le trailer), ou bien Conan Exiles (trailer), mmo de survie à la communauté fort appréciée et sympathique.
Ailleurs :
Le site trictrac.net vous parle de jeu de rôle Conan, aventures épiques d'un âge oublié, développé par Funforge. Cliquez ici pour lire la critique du jeu, ou bien là pour voir en la présentation par l'éditeur.
Enfin, petit cadeau pour terminer, sachez que Netflix tourne en ce moment même une série Conan le Barbare ! Voici l'article écrit par nos confrères d'Allociné.