1.
| Jon Shannow de David Gemmell : Entre Mad Max et Solomon Kane !
Roman post-apocalyptique, la trilogie de Jon Shannow ne s’inscrit pas dans la sacro-sainte saga Gemmell-ienne qu’est Drenaï. Cas à part dans l’œuvre de David Gemmel, Jon Shannow fait chanter la poudre (élément que l’on retrouve très rarement dans l’œuvre de Gemmell à part dans Rigante) et est un pistolero ! Attention, rien à voir avec Roland de Gilead de Stephen King, le héros de la Tour Sombre. Jon est un anti-héros comme les affectionne l’auteur et il porte une vision nettement plus cynique (certains parlent d’humour noir) du monde. En même temps, qu’attendre d’un monde ravagé et dominé par des fanatiques religieux ?
L’axe de la Terre a basculé et ce changement a tout détruit il y a déjà 3 siècles. Au lieu de revenir à l’état primaire de l’Homme et de nous proposer un énième post-apo avec des néo-hommes de Cro-Magnon, David Gemmell nous sert avec Jon Shannow une ambiance western, parfois proche du pulp. Conçu comme un hommage à Solomon Kane de Robert E. Howard, la Bible et la foi est omniprésente dans cette trilogie très rythmée car quand les choses vont mal, les Hommes se tournent bien souvent vers Dieu. Jon Shannow lui-même s’est mis en tête de retrouver la mythique cité de Jérusalem et de trouver les réponses qui tiraillent sa foi !
Ce Dieu, Jon Shannow va s’y frotter sévèrement car étant un sacrément bon pistolero, il a attiré l’attention d’un chef religieux à la tête d’une horde de fanatiques, et ce dernier a kidnappé la femme qu’il aime ! Cette secte porte le nom des Enfants de l’Enfer et on ne peut s’empêcher de penser à l’univers de Mad Max quand l’auteur nous les décrit (avec son style toujours aussi sobre) et quand on les entend parler. Et tous les archétypes se rejoignent dans un cocktail explosif : cannibales, tribus retournées à l’âge de pierre, des survivants en quête d’espoir…
Certains pourront être rebutés par l’aspect froid du personnage principal mais sa rigidité (inspirée directement de Solomon Kane !) permet de mettre en avant la chaleur des personnages secondaires qui apportent un vrai sel à l’histoire, en plus de nous montrer des pans de l’univers (saloons, tripots, communautés puritaines…). Petite pensée notamment pour le savant Archer qui m’a parfois bien fait rire et qui apporte la touche SF au roman.
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2.
| Chevauche-brumes de Thibaud Latil-Nicolas : Que les canons chantent pour le Roy !
Nous avons déjà abondamment parlé de Thibaud Latil-Nicolas et de son Bleu-Royaume dans notre dossier sur les nouvelles voix de la fantasy française, mais une petite piqure de rappel avec une dose de poudre supplémentaire ne peut pas faire de mal !
La frontière nord du Royaume a toujours été délimitée par un immense mur de brumes. Mais depuis quelques temps, des créatures viennent à en sortir pour ravager la campagne environnante. Le brouillard se mettrait même à avancer ! La neuvième compagnie des légions du roy est donc envoyée au nord pour élucider ce mystère. Les légionnaires vont être accompagnés d’un mage et de son jeune apprenti afin de contrer ce fléau.
Je passerai l’aspect politico-religieux qui sous-tend la trilogie et qui prend de l’ampleur dans les tomes 2 et 3 (et qui sont largement évoqués dans le précédent dossier) pour approfondir la place de la poudre et de la technologie dans cet univers.
Toute la trilogie de l’auteur nous fait vivre l’esprit de corps et la discipline qu’il faut s’imposer pour faire fonctionner une légion, mais aussi pour surmonter des obstacles. C’est là que la technologie rentre en jeu : quand une horde démoniaque vous charge, il faut avoir une pleine maîtrise de son sang-froid pour charger son arquebuse ou préparer un canon à faire feu. Cette tension, cette propension profondément humaine à prendre ses jambes à son cou et le courage de ne pas le faire, tout cela Thibaud Latil-Nicolas nous le fait vivre.
Il offre à ses personnages la sueur et le sang, parfois la victoire et l’amertume de celle-ci. Dans ce balbutiement technologique et la maîtrise de la poudre, il propose une lecture réaliste de ce qu’est la guerre avec toute sa logistique et le besoin perpétuel de protéger la poudre. Il a notamment créé un personnage, en charge des canons et de la poudre, qui prête toujours à sourire, car il faut être un peu fou pour manipuler des sachets de poudre sur un champ de bataille. Il s’attache autant à ses canons qu’aux hommes…
De plus, la poudre et son utilisation guerrière permettent à l’auteur de donner de l’ampleur à ses enjeux. Il faut bien quelques barils de poudre pour jouer à armes égales avec un kraken dans son tome 2, Les Flots Sombres. Et c’est les lignes d’arquebuses et le courage de ceux qui les tiennent qui font reculer les créatures venues du voile de brumes et tenir un siège.
Lisez tout simplement Thibaud Latil-Nicolas, vous ne le regretterez pas !
Chez l’éditeur
3.
| Téméraire de Naomi Novik : Eragon aux temps des guerres napoléoniennes !
Naomi Novik est une autrice qui monte depuis plusieurs années avec notamment de nombreux prix à son actif (Nebula, Locus…). Mais elle a fait ses armes avec une uchronie de fantasy : Téméraire. Téméraire se situe dans une ambiance de guerre napoléonienne, où les dragons existent et où ils sont un véritable enjeu militaire pour les nations en guerre car ils permettent la domination des airs ! C’est dans ce contexte que le capitaine Will Laurence capture une frégate française et y découvre un œuf de dragon qui va bientôt éclore ! C’est de cette rencontre que toute l’Histoire avec un grand H va changer car Téméraire, le jeune dragon, va aider l’Angleterre à résister au grand stratège qu’est Napoléon Bonaparte !
Le premier tome de la saga en 9 volumes est avant tout un roman d’apprentissage et d’exploration de la relation fusionnelle entre le chevaucheur et son dragon. C’est un tome de mise en place. Nous avons donc le droit à l’éducation (accélérée) de Téméraire et de Laurence, avec quelques batailles et exercices qui prennent réellement aux tripes ! Heureusement, les dragons de Naomi Novik parlent ce qui permet de leur donner une voix et une personnalité, ce qui est quand même plus facile pour Laurence et pour le lecteur…
Dragon Téméraire a un sacré caractère et une propension à dire tout haut ce que certains n'oseraient même pas penser même pas tout bas. La créature adore le savoir et n'hésite pas à critiquer allégrement les lois et les règlements des humains. Contestataire dans l’âme, il rajoute du piquant aux conversations un peu guindées des officiers ! Les personnages, autant humains que dragonesques, sont bien brossés, attachants en ce qui concerne Téméraire, Laurence et bien d'autres, détestables pour certains autres.
Naomi Novik n’oublie pas de traiter de problèmes forts comme la place des femmes dans la société napoléonienne ou pré-victorienne de l’époque. Là où une femme peut briller c’est bien aux côtés des dragonnes, dans l’effort de guerre, car elles n’acceptent que d’être chevauchées par une humaine. L’autrice ne joue pas sur l’anachronisme et nous propose un personnage bien ancré dans son époque et donc dans son machisme institutionnalisé quand il voit une femme portant des vêtements d’homme : ce qui donne un goût de réel à la société qu’elle décrit.
On vient parfois à davantage apprécier les dragons que les humains. Will Laurence m’a pour ma part laissé assez froid : il est l’incarnation du jeune héros parfait. Ce qui me fait dire de réserver Téméraire de Naomi Novik à des moments où vous voulez de l’épique et du beau geste, à l’opposé d’un Jon Shannow par exemple qui a une ambiance plus sombre, plus égoïste qu’héroïque !
4.
| L’Empire du Léopard d’Emmanuel Chastellière : De la fantasy en Amérique du Sud !
L’Empire du Léopard était la première incursion dans la fantasy d’un jeune auteur français qui avait commencé par un recueil de nouvelles étonnantes, Célestopol, qui reprenait les codes russes dans une ville sur la Lune ! L’Empire du Léopard abandonne le cadre médiéval fantastique traditionnel et adopte plutôt un degré de technologie plus proche de nos XVIIIe ou XIXe siècles, le tout dans une ambiance sud-américaine qui surprend dans nos littératures d’imaginaire.
Sauf que le Nouveau-Monde des conquistadors d’Emmanuel Chastellière n’est pas l’Eldorado promis par le roi : la vie y est dure, les jungles impénétrables et les indigènes de l’empire du Léopard résistent fièrement à leurs mousquets. La plume d’Emmanuel Chastellière nous immerge totalement dans ces décors sud-américains (avec une touche moyen-orientale) et dans les enjeux qui tiennent solidement le récit : conquête, grogne des propriétaires terriens à qui on avait promis des terres riches et fertiles, soldats désespérés et aigris par la guerre, conséquences de la colonisation sur les civilisations vaincues…
Le personnage principal, Cérès, colonel et jeune femme tourmentée par les atrocités commises ou encore par son manque d’autorité du fait de son statut de femme dans l’armée, développe une psychologie extrêmement fouillée qui fait d’elle rapidement un personnage attachant. Au même titre que le vice-roi, bienveillant et donc faible dans cette situation de crise, qui cherche par tous les moyens de contenter tous les partis.
L’auteur dose savamment les dialogues qui étayent les enjeux tiraillant les personnages (origines, sexualité…) et les retournements politiques. Ce qui dynamise le roman présentant au demeurant peu de batailles. Mais le final ne sera pas pour déplaire aux plus belliqueux des fans de fantasy ! De plus, les légendes indigènes autour de l’Empire du Léopard et de son immense cité, Tichgu, ne font qu’attiser notre intérêt pour cette civilisation cachée et mythique, proche des légendes aztèques entourant Tenochtitlan !
Emmanuel Chastellière sert un bon roman de fantasy avec l’Empire du Léopard dans une ambiance sud-américaine qui détonne dans l’imaginaire français, le tout appuyé par des mousquets et des jeux politiques bien amenés.
Chez l’éditeur
5.
| Dragon Blood d’Anthony Ryan : Dragons, vapeur et mousquets !
Anthony Ryan a brillé avec une première série avec sa série Blood Song mettant en scène un guerrier exceptionnel aux dons sanglants servant son royaume envers et contre tous mais restant un récit très personnel. Cette fois, avec Dragon Blood, il sert un récit choral qui à mon sens est bien meilleur que Blood Song (déjà excellent dans sa structure, son style et son personnage principal charismatique). En effet, l’auteur a recréé un univers de toutes pièces pour y inscrire une trilogie avec encore plus d’enjeux et cette fois de la magie omniprésente.
Là où l’on suivait l’enfance puis les déboires de la vie de Vaelin Al’Sorna dans Blood Song, Dragon Blood propose un récit choral, suivant tantôt un jeune voleur aux dons magiques (un Sang-Béni), un jeune officier de la Marine d’une oligarchie ultra-capitaliste et une riche espionne, héritière d’un homme de génie. Chacun possède une personnalité bien trempée qui sont toutes attachantes : Claydon, le Sang-Béni, et son je-m’en-foutisme lié à un traumatisme d’enfance ; Corrick, l’officier, un peu trop à cheval sur les règlements mais prêt à tout pour protéger ses hommes ; et enfin Lizanne, l’espionne, qui va rejeter peu à peu les dogmes de sa formation.
Sang-Béni ? Oui, oui, il s’agit bien de sang dans cette magie. En effet, l’économie d’Archefer, cette immense oligarchie capitaliste, repose sur la découverte du continent Arradsie où vivent les dracs. En effet, le sang des différentes espèces permet aux Sang-Bénis de tantôt manipuler les esprits, posséder une force surhumaine ou encore de cracher du feu. Sauf que les lignées de dracs commencent à s’affaiblir, et les dracs en captivité refusent de se reproduire… Ce serait la panique sur les marchés si la nouvelle venait à s’ébruiter ! Une légende raconte qu’un Drac argenté existerait au cœur du continent, là où les chasseurs de dracs n’osent même pas s’aventurer à cause des tribus mutantes d’hommes-dracs et de dracs de tailles colossales ! Claydon, pour ses talents de débrouillard et son attachement familial à un groupe de francs-tireurs va donc se retrouver embarqué dans cette traque qui va le pousser dans les jungles inhospitalières d’Arradsie. Tandis que les deux autres chercheront à repousser la menace de l’empire corvantin qui veut mettre la main sur les précieux dracs et soumettre une bonne fois pour toute Archefer.
Vous l’aurez compris, là où Anthony Ryan brillait par ses scènes d’action et son personnage principal, avec Dragon Blood, il pond de l’action, de la politique (si ce n’est de la géopolitique), et 3 personnages principaux bien tranchés et attachants (et charismatique pour Lizanne). De plus, il arrive à nous faire ressentir cette ambiance 17ème - 18ème par les costumes, les mœurs et la technologie liée à la poudre et à la vapeur. Tout en nous plongeant dans la jungle et l’ambiance feutrée d’une Amazonie fantasmée. Et la suite ? Elle nous fait voyager en Antarctique et explore davantage l’aspect géopolitique qui sous-tend la saga.
Dragon Blood est la meilleure série d’Anthony Ryan. Foncez-y les yeux fermés.
Chez l’éditeur