Comme tous les arts, le cinéma est sensible aux évolutions de notre société. Si celle-ci change, le septième art le remarque, et décide d'épouser le mouvement, ou au contraire, de s'inscrire en faux. Ou tout simplement, de faire de ce changement le sujet d'une ou plusieurs œuvres.
L'année dernière, il me semble que l'un des sujets dominants à Hollywood était la question du messie. Depuis toujours, la fiction a tendance à mette en scène des personnages messianiques. Il faut dire que le schéma narratif promettant à un personnage une plus grande destinée par le sang, la providence ou une quelconque prophétie a fait ses preuves.
Seulement, à mesure que notre société semble avide d'un équilibre plus juste entre les êtres humains qui la composent, qu'importe leur genre, leur naissance ou la couleur de leur peau, la figure du messie est mise à mal. Rien de plus logique : après tout, les messies sont souvent des héros à qui l'ont promet un destin et les récompenses qui vont avec avant même que les épreuves n'arrivent.
Et tout ça pourquoi ? Parce qu'ils portent dans leurs veines un sang noble. Parce qu'une prophétie les a établis en héros par avance. Parce qu'ils sont tombés sur le bon artefact, au bon endroit, au bon moment. On dit parfois que le hasard est la forme la plus pure de justice, mais à l'heure actuelle, la société entend lutter contre les aléas de la chance, et je crois qu'elle a raison.
Cette soif d'équilibre s'accompagne donc logiquement de nouveaux personnages, qui viennent subvertir la figure du messie, la réinventer, ou tout simplement, la rejeter. L'année dernière, au moins deux grands films nous le prouvaient : Star Wars - Les Derniers Jedi et Blade Runner 2049 - attention aux spoilers, d'ailleurs.
Le huitième film de la saga Star Wars a le courage de répondre à des décennies - ou plutôt des siècles - de personnages messianiques en faisant de son héroïne principale une parfaite inconnue, qui doit forger son destin au fil de l'épée - laser, en l'occurrence. Rey n'attend pas qu'elle devienne l'objet d'une prophétie (contrairement à Anakin), ou l'outil pour la corriger (contrairement à Luke), pour agir. Elle agit, tout simplement. Par pur héroïsme.
Le personnage de Daisy Ridley a pour elle cette naïveté désarmante mais tellement rafraîchissante par les temps qui courent. Mais Rey nous montre aussi les limites de cette réinvention de la figure messianique, car l'héroïne finit par devenir quelqu'un certes - et "devenir quelqu'un" est l'une des préoccupations de tous les films de Johnson - mais devenir quelqu'un d'important à l'échelle de la mythologie Star Wars. Peut-être malgré elle, Rey revient ainsi dans les clous d'un messie, ou en tout cas, d'une sorte de messie. Comme si la saga Star Wars ne pouvait pas échapper à ses origines, en partie tirées de la mythologie Arthurienne.
De la même manière, Blade Runner 2049 ne semble pas non plus annuler la figure du messie, qu'il choisit plutôt de contourner. Toute la puissance du film de Denis Villeneuve repose en effet sur l'enquête de K, incarné par Ryan Gosling. D'acte en acte, le flic robot, en même temps que le spectateur, se sent devenir l'enfant d'une prophétie qui le sortirait de son quotidien maussade, pour finalement, apprendre qu'il n'est rien. La scène est d'une brutalité sidérante, et envoie bouler toute la construction du métrage, qui évoque les récits christiques typiques de son producteur, Ridley Scott.
Mais si le pauvre K n'est pas le messie qu'il pensait être, cet enfant élu existe bien quelque part, et notre figure tragique deviendra héros lorsqu'il choisira de se sacrifier pour que vive la fille de Rick Deckard. Un acte désintéressé mais libre d'interprétations. On peut y voir un martyr qui ne fait que renforcer la quête messianique de Deckard, ou un commentaire sur les inconnus qui comme Rey, donnent naissance à de grandes choses.
En somme, si la figure du messie est toujours plus questionnée, peu nombreux sont encore les films qui osent la briser purement et simplement, même si on constate que les interrogations sont toujours plus nombreuses et variées. Après tout, même le roi Arthur, figure messianique par excellence, a été réinventé sous les traits d'un gangster devant la caméra de Guy Ritchie.
Le héros ne pourrait-il pas être un simple inconnu ? Une femme ou un homme du quotidien ? A vrai dire, tous les changements sociaux du monde ne bouleverseront jamais certains impératifs de narration. C'est peut-être ce qui empêche encore Hollywood de nous proposer des héros purgés de leur aspect messianique : il convient de maintenir un sens du spectacle, de la grandeur. C'est pourquoi Rey ne peut toujours pas choisir de rejoindre l'antagoniste d'une saga - petit fils d'un élu lui-même d'ailleurs - qui prétend vouloir se réinventer.
Mais ne soyons pas mauvaise langue : même les plus infimes variations de la figure messianique sont capables de faire passer de grandes idées sur notre société, son désir et son besoin d'évoluer. Et dans le même temps, ce sont de nouveaux archétypes et de nouveaux personnages, et donc de nouveaux types d'histoires qui naissent et qu'on aura l'occasion de voir grandir jusqu'à notre dernier souffle.
N'est-ce pas tout ce que demandent les cinéphiles ?