1.
| Les Fauteurs d'ordre : Jaworski déconstruit l'embrigadement et la désinformation
L'avis d'Exosk3let
Ce texte écrit par Jean-Philippe Jaworski à la demande des éditions Denoël Lunes d'encre, forme la pierre angulaire de ce dossier et apporte un regard et une distance au réel nécessaire à la bonne compréhention de ce qu'est un régime autoritaire voire totalitaire.
En 30 pages, le célèbre auteur de fantasy nous plonge dans une ville en mutation. Le régime politique a subitement changé et est devenu incroyablement répressif.
Des abhérations du racisme à l'aveuglement bureaucratique, en passant par les ambitions aux conséquences désastreuses, c'est un chaos qui couve dans ce court récit. Une sombre déconstruction qui s'organise autour des puissants que les fidèles adulent. Ces star à l'art mortifère se moquent ici comme ailleurs du zèle et de l'horeur que leur reigne entraîne.
Gardant son vocable désuet et poignant, Jean-Phillipe Jaworski nous plonge dans un passé qui nous rattrappe et dans les horreurs de l'Histoire que nous voudrions éviter de revoir.
L'avis de Dragonarcane
Comment parler au présent sans être redondant ? Alors que tous parlent de politique, que les discours se ressemblent, comment ne pas se confondre, ni être confondant ? Comment parler juste et fort ? Comment être un auteur d'imaginaire dans un monde réel, trop réel ?
Jean-Philippe Jaworski relève le défi avec le panache de la plume qui est le sienne. Son réalisme cru, ses descriptions cruelles s'épanouissent dans ce monde au bord du précipice, ou plutôt déjà dans sa chute, alors que les vautours ont déjà saisi ses entrailles, en criant à l'ordre et à la morale. En quelques pages, il montre le plomb sous l'or, la faim sous les mots, les loups qui s'en prennent aux loups sous les oripeaux du bien, et du droit.
Le dénouement est plus convenu que dans ses autres écrits : un problème de temps, aussi bien dans l'écriture que dans le récit ? Plutôt le rappel que la mort appelle la mort, la douleur la douleur, et que nul n'y échappe jamais, dans les histoires ou l'Histoire. Celui qui a vécu par l'épée... Et celui qui a vécu par la torture, la dénonciation et le malheur ?
Ce n'est pas une belle morale, il n'y a pas de solution à ce récit, la chape souveraine est en place et restera : l'auteur n'a pas voulu offrir de lumière ou d'espoir à ce monde qui sonne terriblement familier, qu'on sent proche sans être capable de le situer dans le temps ou l'espace. Le mauvais périt comme le bon, mais le bon ne règne pas comme le mauvais. De toute façon, il n'y pas trace de cette espèce dans ce récit, où l'on va du gris sombre au noir profond. Les héros viendront peut-être, mais pas maintenant.
Autrement dit, une fois commencée la descente, il faut l'achever, et la lie sera amère. À bon entendeur !
L’avis d’Alex
Court mais intense. C’est l’une des nombreuses éloges que l'on pourrait faire à Les Fauteurs d’ordre, cette nouvelle dystopique de Jean-Philippe Jaworski. En une trentaine de pages, l’auteur dépeint une société autoritaire, obsédée par la pureté de la race, qui se sert de l’ostracisation et de la répression pour s’arroger des biens et des privilèges.
Mais, l’histoire l’a prouvé, l’autoritarisme s’accompagne bien souvent d’un jeu de chaises musicales politique. C’est ce que va vivre le personnage principal, le magistrat Hiero Praetor, qui ne manque pas de zèle lorsqu’il s’agit de punir la pauvreté et le désaccord au nom de l’ordre et de la sécurité.
En quelques mots, Jaworski nous offre une lecture glaçante, saisissante de réalisme, de la machine à fabriquer des ennemis politiques que peut devenir un Etat. Si l’histoire prend aux tripes, c’est parce qu’elle est si crédible, parce qu’elle nous renvoie aux pires instincts de l’humanité.
Plus que jamais, il est temps d’aiguiser nos esprits critiques et de remettre nos croyances en questions afin d’éviter qu’un jour le pire de l’histoire ne se conjugue au présent.
2.
| Le Château des animaux : La Ferme d’Orwell a toujours des leçons à nous offrir
La Ferme des animaux est un roman de Georges Orwell paru en 1945, dans un contexte d’après-guerre, dont le but était, entre autres, de dénoncer les régimes totalitaires, particulièrement le stalinisme.
Sous forme de fable animalière, l’auteur proposait alors un apologue satirique et mordant, dans lequel les animaux d’une ferme décidaient de se rebeller contre les humains pour vivre dans la paix et l’égalité. Malheureusement, leur nouveau régime tourne vite au drame lorsque les cochons forment une élite et sont amenés à prendre le pouvoir. Ils asservissent les autres animaux, les manipulent pour exacerber leurs craintes et modifient le passé à leur avantage. L’histoire (réelle ou fictive) dont ils se placent comme les détenteurs privilégiés devient l'un des instruments de leur domination. Les idéaux sont très vite dénaturés, les principes d’altruisme et d’unité dévoyés. Un dictateur émerge, chasse son principal rival, puis exécute les « traîtres » pour asseoir son pouvoir de plus en plus hégémonique. Il instaure un culte de la personnalité, maintient ses congénères en état de soumission et les force à travailler jusqu’à l’épuisement.
Le roman a vieilli, mais son esprit perdure. Aujourd’hui, c’est sous la plume de Xavier Dorison et les traits de Felix Delep, que la ferme, devenue château, vient illustrer les dangers de l’autoritarisme d’État. Cette fois, c’est un taureau, Silvio, qui s’est érigé en chef autoproclamé des lieux. Pour asseoir son pouvoir, Silvio s’est constitué une milice de chiens, qu’il garde sous son contrôle en leur fournissant les meilleures rations de nourriture, et qui maintient les animaux dans la peur et l’obéissance en son nom.
La BD met en avant le personnage de Miss Bengalore, une chatte qui doit travailler et élever seule ses deux chatons seule depuis la mort de son mari, et qui va devenir l’instigatrice de la révolution contre Silvio. C’est suite à l’arrivée du vieux rat Azélar, qui conte aux habitants de la ferme comment la révolte peut être menée de manière pacifique (en citant notamment les soulèvements indien et serbe) par la désobéissance civile et l’humour. Car c’est un point d’honneur pour Miss B. : s'ils veulent construire un monde juste, les animaux ne doivent jamais tomber aussi bas que leurs tortionnaires.
Mais mener la révolte est difficile. Malgré l’aide de César, un lapin charmeur qui soutient la jeune mère dans son projet, et les conseils avisés d’Azélar, la répression de Silvio prend la forme de la privation (aussi bien de nourriture que de dignité), du harcèlement, des coups et même… de la mort. Pas facile non plus de convaincre ses camarades de rester pacifiques, lorsque la tête d’un des chiens de la milice leur est offerte sur un plateau.
Le Château des animaux est moins une histoire sur l’asservissement d’un peuple que sur les manières de lutter contre un despote. Si le dessin de Felix Delep est doux, poétique, c’est pour mieux nous choquer par la violence de certaines scènes (torture, mise à mort) qui font tristement écho à des événements bien réels de l’histoire humaine.
Avec ce récit touchant et inspirant, Xavier Dorison nous rappelle avec brio que les résistants dont les noms sont frappés sur nos monuments aux morts ont un jour été qualifiés de terroristes.
3.
| Warhammer 40.000 : L'Imperium ou l'avatar des totalitarismes
Connaissez-vous l'Imperium, le seul espoir de l'humanité face aux menaces indicibles du 41e millénaire ?
Dans Warhammer 40.000, cet univers trans-médiatique foisonnant, le bien est plus que jamais une question de point de vue. Les joueurs des factions dites de « l’ordre » pourraient essayer de vous prouver le bien fondé de leur partie. Ne vous y trompez pas, cet univers de science-fantasy est empli de noirceur telle la corruption s’insinuant partout.
De ce constat apparaît un paradoxe, celui de l’image laissée par les fameux Space-Marines / Astartes, ces surhommes en armure complète rappelant des robots. Ils sont le fer de lance de l’Imperium de l’humanité, les protecteurs des démunis et l’élite de l’Empereur.
Ces forces spéciales répandent la vérité de l’Empereur sur les planètes humaines n’ayant pas encore été libérées de l’obscurantisme et des superstitions. Mais pour libérer ceux qui refusent d’abandonner leurs croyances, c’est la mort qui les attends. Les planètes libres sont quant à elles terraformées et transformées en ruches pour loger les milliards d’habitants qui vont venir nourrir l’ogre administratif et technologique de l’Imperium. Dans le cas où la planète serait riche en minerais, ce sont des centres d’extraction, de raffinage et autres super-structures défigurant les mondes qui s'imposent.
La société impériale est composée de différents corps d’armée, de familles aristocratiques gouvernantes et d’un tissus logistique et administratif complexe liant chaque habitants de l’Impérium. L’ensemble des actions, des devoirs et des exigences qu’impliquent la vie au sein de cet Empire inter planétaire est tourné vers le maintien de la machine de guerre.
" Comment un homme peut-il être heureux s'il ne sert pas son maître de tout son coeur ? "
+++ Inconnu +++
En résumé, un Empereur tout puissant gouverne une humanité asservie et en adoration devant lui. Toute rébellion est réprimée dans le sang, tout erreur est punie très sévèrement et la liberté n’existe pas car l’humanité est dévouée entièrement à la réalisation des projets de l’Empereur et sa guerre.
Le travail en commun dans le but de soutenir l’Etat au mépris de la liberté individuelle n’est pas sans rappeler le Stalinisme. Ce n’est pas la seule référence à ce terrible régime politique, les tenues des comissars de la Garde Impériale (voir image ci dessous) renvoie directement à celle des officiers de l'URSS.
" Certain vous questionne sur votre droit à exterminer dix milliards d'individus. Ceux qui comprennent réalisent que vous n'avez pas le droit de les laisser vivre ! "
+++ In Exterminatus Extremis +++
On retrouve également des ponsifs très clairement empruntés au nazisme comme la xénophobie. En effet, de nombreuses espèces peuplent la galaxie, et si certaines incarnent l'horreur et la destruction à son état le plus primaire (Orcs, Tyranides...), d'autres défendent leurs intérêts, leur survie ou leur liberté. Selon la volonté de l'Empereur, les xénos doivent être purgés et tués. Impossible de ne pas y voir un rappel des pires périodes du XXe siècle européen.
Cela soulève une nouvelle question :
Comment faire arriver une civilisation proche de la notre jusqu'à une telle dictature ?
Games Workshop ont opté pour la technocratie à outrance. Tout est optimisé pour fonctionné le mieux possible et permettre une productivité maximale des mondes ruche dans lesquels sont parqués les civils. C'est en reniant fermemant et puissement les religions au profit de la technologie et de la science qu'à évolué l'Imperium. Les mondes humains de Warhammer 40.000 montrent les dérives d'un renfermement sur soi et de la peur mortifère de l'autre.
La société impériale est donc dogmatiquement athée et tecnocratique. A tel point que les praticiens de la magie sont traqués et tués à travers tout l'Empire. Au 30e millénaire, lors de l'âge d'or de l'Impérium et de sa reconquête des mondes humains perdus, certaines personnes commencent à voir l'Empereur comme une divinité omnisciente. Ces dernières sont traqués et assassinées au même titre que les autres religieux.
Mais lors de la chute de l'Imperium (je vous passe les détails de la guerre fratricide entre les légions de Space Marines), le culte de la personalité s'est transformé en culte religieux dont l'Empereur est devenu le dieu. On touche là au paradoxe de l'extrémisme qui fini par être victime de ses propres contradictions. Comme le communisme qui n'a jamais donné le pouvoir au peuple ou le nazisme dont le leader n'était pas un arien, l'Imperium foncièrement anti-religieux est devenu une théocratie.
Il y a encore bien des choses à dire sur l'Imperium et ce qu'il a à nous apprendre de notre Histoire. L'esthétisation de la mort et de la guerre, la communication de Games Wokshop autour des Space Marines qui s'intègre à l'histoire comme une propagande, et bien d'autres choses encore.
Ce que nous aimons dans Warhammer 40.000, c'est le charme sombre et oppressant de son univers, pourvu qu'ils restent loin du notre.
4.
| V pour Vendetta : mort pour la liberté
Autoritarisme, télésurveillance, manipulation des médias, obéissance citoyenne, corruption, destruction des humains et du savoir, terrorisme d'État, racisme, antisémitisme, homophobie… Quarante ans après sa publication, l’histoire créée par Alan Moore résonne toujours comme un futur possible. Ce n’est pas pour rien si Urban Comics a classé l'œuvre dans sa collection Anticipation.
L’Angleterre de Moore a sombré dans la dictature à la suite d’une guerre mondiale qui a vu l’arme nucléaire être utilisée. Le Royaume-Uni est épargné par les bombardements, mais pas par le chaos et les inondations issues des dérèglements climatiques. Dans cette société postapocalyptique, un parti fasciste, Norsefire, prend le pouvoir en faisant croire que le rétablissement du pays doit passer par une épuration ethnique, politique et sociale sans pitié.
Nous sommes en 1997 et le parti à totalement soumis la population, la moindre faute est passible de mort, tout élément jugé comme subversif est confisqué et son possesseur déporté. Seuls la littérature, les médias ou encore l’art validé par le gouvernement ont le droit d’être diffusés.
Evey, une jeune fille de 16 ans, trop pauvre pour subsister malgré un travail harassant à l’usine, se résout à se prostituer pour tenter de gagner de quoi survivre. Comble du malheur, elle tombe sur un officier de la brigade des mœurs qui tente de la violer avant de l’assassiner. C’est alors qu’elle est sauvée par V, un homme mystérieux, arborant un masque de Guy Fawkes, qui prône la désobéissance civile, l’anarchie et la liberté…
V pour Vendetta est une œuvre qui continue de faire écho aux troubles politiques et sociaux qui secouent de nombreux pays encore aujourd’hui. La prise du pouvoir de Norsefire a été facilitée par la grande passivité de la population, qui recherchait avant tout de la sécurité et qui pour cela n'a pas hésité à troquer sa liberté et sa dignité. Aucune voix ne semble s’être élevée quand l'épuration a vidé la population des « indésirables », alors que la disparition de ces derniers n’a amélioré les conditions de vie de personne. V n'en est pas dupe et n'hésite pas à rappeler au peuple sa propre responsabilité dans ses malheurs.
Car V n’est ni un sauveur ni un surhomme. Il sait qu’il ne suffira pas à renverser toute une dictature. Ses actions visent avant tout à sortir le peuple de sa léthargie, à lui montrer qu’une autre voie est possible, qu’individuellement ils sont isolés, mais qu’ensemble ils représentent une force. Cette compréhension, cette évolution, est symbolisée par le personnage d’Evey : jeune fille fragile qui deviendra porte-étendard des idéaux de libération.
Avec V pour Vendetta, Alan Moore et David Lloyd nous rappellent à quel point il est facile de céder aux sirènes de la haine, à quel point la liberté ne doit jamais être prise pour acquise, et comment il est important de se souvenir.
5.
| Nausicaä : le danger du passé au futur
Qui ne connaît pas Hayao Miyazaki et les œuvres du studio Ghibli aujourd'hui ? Ce sont des films qui ont bercé notre enfance, nous ont effrayés et nous ont rassurés, nous ont fait grandir dans notre monde et dans tant d'autres.
Pourtant, les créations de Miyazaki sont plus diverses encore, car, en parallèle de ses activités en animation, il verse aussi dans le manga. Si l'on a pu découvrir récemment Le Voyage de Shuna, traduit l'année dernière, une série complète existe, et dont le nom ne surprendra personne : Nausicaä de la vallée du vent.
A peine ouverte la première page du premier des sept tomes, on retrouve bien des traits, de crayon comme de caractères, propres à l'univers de Miyazaki : une héroïne forte, un monde familièrement étranger, une histoire toujours ambiguë. Pourquoi lire si l'on connaît l'animé ? Car celui-ci ne couvre que les deux premiers tomes, et doit procéder à des raccourcis et des simplifications pour s'incarner à l'écran avec la réussite que l'on connaît.
La Nausicaä de papier est plus complexe que celle en couleurs : en noir et blanc, elle hésite entre la vie et la mort, puisque l'une appelle l'autre, dans un cycle sans fin, où l'espoir se mue vite en désespoir. Dans un monde déchiré par les hommes, et plus spécifiquement par des empereurs aux pouvoirs presque divins, et aux ambitions proprement divines, la morale n'est portée que par cette enfant, qui refuse les compromissions, les sacrifices au nom d'une cause supérieure, si ce n'est d'elle-même, en conscience. Pourtant, elle connaît des épreuves terribles, devra perdre bien des siens et de soi pour trouver la source des douleurs, le cœur non-vivant d'une relique qui prétend nier l'histoire, et toute évolution libre des humains. Car il faut parfois refuser le passé au nom du futur, imposer le présent pour qu'il puisse vivre, pour que tout change. Ce manga, plongé dans les intrigues politiques, les conflits religieux et la crise écologique, relève le gant de notre époque, à plus de trente ans d'écart.
C'est une histoire terriblement émouvante, et terriblement sérieuse : ce monde qui paraissait si dangereux, cette forêt de pourrissement, exploré, se révèle plein de beauté et de douceur. Ce qui nous fait peur n'est pas toujours si effrayant une fois qu'on en apprivoise les profondeurs, et qu'on comprend l'harmonie du monde. Ce n'est pas un équilibre léger, une stase où tout irait bien : au contraire, Nausicaä doit affronter ses ennemis, le tout et le néant, s'affronter elle-même, pour comprendre et pour faire ses choix, qui entraîneront ceux du monde. Sa route est pavée de mort, de sang et de sanglots, et elle devra l'assumer jusqu'au bout. Elle n'a pas été la première à s'engager sur la voie du changement, mais seule elle assumera son rôle de créatrice-destructrice tout entier : comme le dit la princesse Kushana à l'ultime page « Que la voie royale soit désormais pavée de justice ! », symbole de ce changement.
La réflexion est bien connue des passionnés d'imaginaire : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ». Mais le pouvoir est toujours dangereux, il corrompt même les plus beaux des rêves, et personne ne peut y échapper. Inspiré par la Seconde Guerre mondiale, Miyazaki l'était, et toutes les armes présentées dans ce manga sont à double tranchant, c'est-à-dire dangereuses mais aussi positives. Il faut découvrir le Dieu-guerrier du manga, bien différent de celui de l'animé, et qui symbolise toute la complexité d'une œuvre qu'on ne peut résumer à un message clair.
Si ce n'est peut-être de ne jamais se fier aveuglément à un projet présenté comme parfait, de croire en soi et les siens, d'aimer tout, y compris les insectes les plus grands et les plus petits. Sinon, un jour, ce seront nous les insectes incompris et malaimés, et alors nous comprendrons, mais trop tard.
6.
| Dune : l'imaginaire et les décolonisations
Dune, une œuvre intemporelle, profonde et vaste, si vaste ! Aussi vaste que le désert global d'Arrakis ! Une passion qui ne se dément pas depuis 1965, une œuvre avec de nombreuses entrées et réflexions. Chaque œuvre de l'Imaginaire est politique qu'on le veuille ou non, chaque auteur et autrice imprègne son œuvre de ses valeurs, de ses narrations vécues et incorpore son parcours du héros à l'intérieur de son cheminement philosophique et sociologique. Dune fait partie de ses œuvres qui nous touche, qui nous bouleverse, renverse des codes établis, continue des vieilles traditions et en déconstruit d'autres.
Les Fremens
Les Fremens sont les véritables héros et héroïnes de Dune, ce sont les Hommes libres du Désert, les premiers d'Arrakis, les natifs de Dune et les colonisés. Les Fremens ont un vécu millénaire de leur territoire, ils connaissent les spécificités de chaque écosystème, ils transforment aussi leurs environnements tout en sachant pertinemment les limites à ne pas franchir. Ces limites sont culturelles, sociales et philosophiques. Pas du mythe du Bon Sauvage ici, les Fremens sont bien plus complexes et Frank Herbert y a veillé. Harcelé et colonisé par deux grandes maisons de l'Imperium, la planète Dune a eu le malheur d'être le seul endroit à contenir l'épice, le clé de voûte du voyage spatial et donc de l'économie impériale dominante.
Le contrôle européen du Monde
De 1492 (le début des non-découvertes ou des retrouvailles) aux années 1970, les puissances européennes ont eu aucunes limites dans leur soif d'épices, d'argent et de domination. Dans l'histoire de l'Humanité, les puissances européennes ne sont pas les premières à avoir colonisé et ne seront pas les dernières mais le contrôle européen du Monde lors des colonisations a forgé notre monde actuel capitaliste, mondialisé, métissé, créole, et profondément divers.
Un millier de pages ne suffiront pas à résumer des siècles de colonisation européenne et encore moins 100 ans de décolonisation mais l'important est de se souvenir et de se décentrer pour peut-être mieux comprendre les enjeux et les conséquences des colonisations et décolonisations sur notre vie de tous les jours et sur le long terme. L'imaginaire permet ce décentrement grâce à la création d'autres narratifs. Un nombre incalculable d'œuvres d'imaginaire existent dans la sphère de pensée décoloniale et on pourrait ici oser créer un nouveau genre : le decolonisationpunk, en référence au cyberpunk et steampunk. Un genre centré sur la lutte d'un peuple dominé contre un autre dominant.
La colonisation est un processus dialectique, entre les dominés et les dominants, entre les colons et les colonisés. Le Dune de Frank Herbert excelle dans sa manière de présenter les différents points de vues, les enjeux inhérents au contrôle et à la domination physique, culturelle et philosophique.
Les décolonisations françaises
Toujours en cours pour la Nouvelle-Calédonie/Kanaky, les décolonisations françaises ont été tragiques au point que l'amnésie est présente. De 1946 à 1971 la France est en guerre : La guerre d'Indochine (Cambodge, Vietnam et Laos) (1946 - 1954), la guerre d'Algérie (1954 - 1962) et la guerre du Cameroun (1955 - 1971). Ces trois guerres ont fait des milliers et des milliers de victimes, elles ont défini des pratiques, elles ont déplacé des milliers de personnes à travers les mers et les océans, des familles ont été décimées et des mémoires arrachées et oubliées.
L'étude et le retour vers le passé colonial et décolonial n'est pas un prétexte à chercher à raviver les feux de la colère et de la domination, le but est de retrouver les mémoires perdus, de chercher un apaisement et ainsi avancer vers des lendemains sereins. La France est riche de sa diversité et de son imaginaire. Les littératures et les autres médias de l'Imaginaire permet ce retour mémoriel et ce grâce à la transposition vers d'autres possibles. Sorti en 1965, trois ans après la fin de la Guerre d'Algérie, Frank Herbert s'est bien inspiré de cette guerre d'indépendance pour écrire son Dune. Cette inspiration est révélatrice de la prégnance mémorielle de cette guerre. Il a fallu le Sentier d'Or et 35 siècles pour se défaire de l'ordre féodal de l'Imperium, espérons un temps plus court pour la réconciliation postcoloniale et ce même malgré la recrudescence des rhinocéros.
Matiou.
Bibliographie et vidéographie
Brève histoire de la colonisation française - Youtube - Histoires Crépues - 2023
Décolonisations françaises, la chute d'un Empire - Livre - Sous la direction de Pascal Blanchard, Nicolas Blancel, Sandrine Lemaire, Benjamin Stora, Achille Mbembe - Editions de la Martinière - 2020
En guerre(s) pour l'Algérie - Documentaire en 6 parties - Arte - 2022
Histoire globale de la France coloniale - Livre - Sous la direction de Nicolas Blancel, Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire, Dominic Thomas - Editions Philippe Rey - 2022
Indochine, 1858 - 1954, la colonisation oubliée - Revue - Sous la direction de Doan Bui - Le Nouvel Obs hors-série - 2024
L'Indochine : de la conquête à la colonisation française (1847 - 1939) Partie 1 - Youtube - Nota Bene - 2024
Vietnam-sur-Lot - Podcast - Alix Douart - Paradisio Media - 2023 (à écouter absolument)
7.
| Babel : les langues au service des colons
"Traduire est toujours un acte de trahison"
Au 19e siècle, l’empire britannique compte en son sein les meilleurs étudiants du pays. La crème de la crème réunit à Oxford pour y étudier les langues. Robin Swift n’aurait cru un tel avenir possible. Né chinois dans un petit village, la pauvreté y fait rage. Une épidémie mortelle vint décimer sa famille, et l’aurait certainement tué si le professeur Lowell n’avait pas sauvé le garçon.
Orphelin, il est déporté en Angleterre pour étudier les langues sans répit.
Si Babel de R.F. Kuang semble à première vue n’être qu’un roman de fantasy des plus classiques, celui-ci révèle toute sa finesse et son engagement au fil des pages.
En même temps que notre héros, Robin Swift, on mesure combien l'Angleterre mène une politique capitaliste et ségrégationniste à l’époque victorienne : les étrangers ne sont rien de plus que de la vermine, destinés à être colonisés et gouvernés par les Anglais.
Et Robin Swift n’est que le pur produit de cette machination. Il a suivi un cursus universitaire des plus prestigieux pour devenir à son tour un éminent professeur et chercheur en langue, pour mettre son héritage asiatique au service de la couronne comme le souhaite son tuteur. Sa langue principale devient l’anglais, dont la maîtrise doit être parfaite. Le professeur Lower l’oblige également à abandonner son patronyme pour adopter un nom plus anglais.
En somme, toute trace de son origine sociale est effacée pour adopter la culture et les mœurs anglaises.
Toutefois, Robin Swift finit par se rebeller, en pillant Babel de l’intérieur. Si son rôle, au départ, est infime, il reste tout de même capital pour les opérations menées par la résistance.
En clair, chaque voix compte, chaque vote et revendication pèsent sur la balance. La passivité est synonyme de complicité, ce dont Robin Swift a conscience.
Agréablement surprise par ce roman d’un tel réalisme, je ne peux que vous le conseiller.
Entre racisme, colonialisme et violence sociale, il met en lumière les inégalités sociales qui, hélas, perdurent encore, aujourd'hui, tout en embarquant son lecteur dans un univers imaginaire haletant.
L’imaginaire au service du peuple.
8.
| Quelques ressources pour aller plus loin
Silène Edgar, Fortune Cookie, Bragelonne (la critique)
Bretagne, demain : Une coupure d'électricité plonge la petite vie de Blanche et Hadrien dans le noir, ainsi que toute l'Europe. Un mystérieux appel résonne sur les ondes : le gouvernement cache qu'il se passe quelque chose au Sud... la guerre ? Leur fille est loin, en vacances au-delà des Pyrénées. Hadrien décide de partir immédiatement à sa recherche, mais Blanche a peur.
Paris, après-demain : État d'urgence, peuple bâillonné. Blanche est devenue Bianca, résistante. Les opposants à la dictature médiatique utilisent les réseaux de consommation pour faire passer leurs messages, sur les barquettes de poulet, les barils de lessive ou dans les fortune cookies, mais, bientôt, il faudra aller plus loin. Bianca trouve de la force entre les bras de Joshua, et jamais elle ne parle ni d'Hadrien, ni d'Élisabeth. Quelque chose a basculé sur la route.
Frank Pavloff, Matin Brun, Cheyenne
Charlie et son copain vivent une époque trouble, celle de la montée d'un régime politique extrême : l’État brun.
Dans la vie, ils vont d'une façon bien ordinaire : entre bière et belote. Ni des héros, ni de purs salauds. Simplement, pour éviter les ennuis, ils détournent les yeux.
Sait-on assez où risquent de nous mener collectivement les petites lâchetés de chacun d'entre nous ?
Georges Orwell La Ferme des animaux, Folio classique
Un jour de juin eut lieu en Angleterre la révolte des animaux. Les cochons dirigent le nouveau régime. Boule-de-Neige et Napoléon, cochons en chef, affichent un règlement : « Tout ce qui marche sur deux pieds est un ennemi. Tout ce qui marche sur quatre pattes, ou possède des ailes, est un ami. Nul animal ne portera de vêtements. Nul animal ne dormira dans un lit. Nul animal ne boira d’alcool. Nul animal ne tuera un autre animal. Tous les animaux sont égaux. » Le temps passe. La pluie efface les commandements. L’âne, un cynique, arrive encore à déchiffrer : « Tous les animaux sont égaux, mais certains animaux sont plus égaux que d’autres. »
Brandon Sanderson, Le Fils des Brumes, Tome 1 : L'Empire Ultime, Le Livre de Poche
Les brumes règnent sur la nuit, le Seigneur Maître sur le monde.
Vin ne connaît de l’Empire Ultime que les brumes de Luthadel, les pluies de cendre et le regard d’acier des Grands Inquisiteurs. Depuis plus de mille ans, le Seigneur Maître gouverne les hommes par la terreur. Seuls les nobles pratiquent l’allomancie, la précieuse magie des métaux. Mais Vin n’est pas une adolescente comme les autres. Et le jour où sa route croise celle de Kelsier, le plus célèbre voleur de l’Empire, elle est entraînée dans un projet fou : renverser l’Empire.
Talentueux, passionné, Brandon Sanderson est depuis cinq ans l’un des auteurs les plus vendus à travers le monde.
Jacques Boireau,
Les Chroniques sarrasines,
Les Moutons Electriques (la critique)
L'Histoire n'est pas celle que nous avons apprise.
Après les Romains, ce sont les Arabes qui ont occupé l'Occitanie dès le VIIe siècle. Sur les Causses et dans les plaines, ils se sont installés, mêlés aux Romains, aux Gaulois, aux Francs, aux Wisigoths, les religions se sont heurtées et fondues, Chrétiens, Ariens, Cathares, jusqu'à ce que naisse l'Occitanie actuelle.
Au Nord, les Franciens vivent dans une société peu enviable. Au Sud, se mêlent Occitans et Sarrasins, dont les civilisations étaient si proches. Pourtant, des intégristes occitans cherchent à revenir à la pureté d'origine de leurs racines, en chassant l'« envahisseur » arabe.
Remarquable uchronie que celle de ces années sarrasines, entre belle actualité et excitante spéculation, qui pousse cette Histoire alternative jusqu’aux étoiles.
Gilberto Villaroel,
Zona Cero,
Aux Forges de Vulcain
Un tremblement de terre déclenche une épidémie d’origine inconnue qui transforme la ville de Santiago en paysage apocalyptique. Un journaliste doit entrer dans la ville pour sauver son épouse, qui vient d’apprendre qu’elle est enceinte. Mais la capitale est assiégée. Des troupes étrangères interdisent l’accès à la « Zona Cero », où règne le chaos depuis que ses habitants se sont transformés en créatures meurtrières et destructrices.
Avec l’aide d’un militaire américain et d’un groupe de mineurs en grève, il traversera les rues de Santiago, infestées de monstres. Sa mission : sauver un curé déchu qui a la clé pour affronter le mal légendaire qui les menace.
La « Zona Cero » était l’endroit où se retrouvèrent manifestations et mouvements sociaux pendant les grèves de 2019 à Santiago, au Chili. Gilberto Villarroel construit un récit qui se nourrit d’une force collective insoumise, et présente ce moment de l’histoire chilienne sous un angle unique. Allégorie sombre d’un pays qui a le visage de la démocratie, mais qui n’a pas chassé les restes de la dictature qui l’a asservi, Zona Cero est un roman fantastique et politique : un miroir tendu à notre monde.
Allius, A l'orée de la ville, PVH édition
Les mésaventures éco-punk de Füerzò le pirhack.
Professionnel de l’usurpation d’identité grâce à Civi, son assistant IA, Füerzò est un pirhack. Grâce à ses compétences, il prospère en détournant tout ce qui lui est nécessaire dans un monde où la misère sociale est exacerbée par des monnaies inégalitaires et une surveillance automatisée et absurde. Déconnecté de cette sombre réalité, Füerzò reçoit une mission dans un hôpital qui va changer sa vie et sa vision du monde. Quelles alternatives s’offrent à un pirhack lorsqu’il est arraché à son hyperconnexion ?
Ce que Game of Thrones doit à la Guerre des Deux-Roses, Slate, Gabriel Piozza, 3 juillet 2020.
Game of Thrones : L'histoire derrière la fiction, Nota Bene