1.
| Terremer d'Ursula K. le Guin, par Eve
Terremer d’Ursula K. Le Guin
Bon, j’avoue, je ne vous fais pas un cadeau en suggérant ce livre-ci. Si vous choisissez l’intégrale parue au Livre de Poche qui comprend tous les romans et toutes les nouvelles du cycle de Terremer, ce sera un sacré pavé dans votre valise ou votre sac de plage ! Mais vous pouvez aussi vous procurer les tomes individuels, sans entrer trop en profondeur dans l’œuvre d’Ursula Le Guin.
Le Cycle de Terremer regroupe tous les écrits de l’autrice se déroulant dans l’univers de Terremer, soit six tomes (cinq romans et un recueil de nouvelles), des nouvelles diverses et variées, ainsi que des textes annexes très enrichissants sur le point de vue de Le Guin quant à l’évolution de la littérature fantasy et aux messages qu’elle a souhaité transmettre dans son œuvre. Il faut dire que cette dernière a été écrite sur plus de soixante ans, entre 1964 et 2018, année où l’autrice nous a malheureusement quittés.
Le héros de cette longue épopée est Ged, un jeune chevrier sur une île quelconque qui deviendra le plus grand Archimage de tout l’archipel de Terremer. Il croisera sur sa route une ombre maléfique, une prêtresse, une fille-dragon, un prince… Autant de personnages profonds qui évolueront d’année en année, maîtres de leur destin et porteurs de réflexions philosophiques et sociales. Il faut dire qu’un héros de fantasy racisé et féministe en 1964, ce n’est tout de même pas rien !
Ursula K. Le Guin a réussi à créer un univers extrêmement riche avec ses civilisations, ses coutumes, ses légendes, et pourtant sa plume poétique (l’une des plus belles que j’aie jamais lues) nous envoûte et nous embarque immédiatement dans cet archipel. Point de fantasy médiévale, la vie dans ce monde est basée sur notre antique âge du fer. L’ambiance de Terremer est si douce et immersive qu’on n’a pas envie de la quitter, presque comme ce qu’on appellerait de façon moderne de la cozy fantasy.
Le système de magie passionnant, basé sur le langage et la véritable nature des choses, va de pair avec cette sublime écriture et donne à cet univers une dimension encore plus profonde. Et, point non négligeable question magie : il y a des dragons !
Alors certes, certains récits seront plus lents et moins palpitants que d’autres, mais l’imagination Le Guin, sa maîtrise de son univers et ses réflexions sur l’humanité en avance sur son temps font de son œuvre un monument de la fantasy.
2.
| Le Fort Intérieur de Stella Benson, par Ephyrose
Le Fort Intérieur de Stella Benson
Certains livres, gommés par le passage du temps, laissent parfois dans leur sillon une influence qui touchera tout un pan de la littérature sans même qu'on ne le sache. Si, grâce au travail éditorial de certaines maisons certains ont pu être réveillé de leur longue torpeur, à l'image des récits de Lovecraft qui sont désormais devenus des références, d'autres sont en passe de s'éveiller enfin.
Le Fort Intérieur, troisième roman de l'autrice Stella Benson, méconnue sur nos vertes contrées littéraires, en fait partie sans l'ombre d'un doute, et il faut s'en réjouir, car l'on trouve de nombreuses choses dans son sillon.
Il est complexe de résumer ce qu'est Le Fort Intérieur. Au mieux puis-je vous proposer de lire cet extrait de la présentation que fait la sorcière de L'île Moufle à notre protagoniste, Sarah Brown, alors qu'elle s'apprête à lui rendre son balai magique :
"Cette maison s'appelle le Fort Intérieur. Cette maison est un monastère et un couvent pour les moines et les religieuses vouées à des dieux inconnus. Pour ceux qui ne savent pas encore cuisiner mais déteste l'être."
Car la magie est de la partie, dans Le Fort Intérieur... mais pas que, car la guerre frappe aussi à la porte de l'univers de Sarah. Le récit, paru en 1919, est empreint d'un contexte post-première Guerre Mondiale dans lequel l'autrice nous immerge afin de mieux saisir le caractère des personnages, victimes d'un conflit qui les dépasse, mais désireux de participer à l'effort de guerre.
Pour autant, Le Fort Intérieur n'est pas un récit introspectif sombre et tortueux, mais plutôt un précurseur de la light-fantasy, avec une touche d'humour que n'aurait pas renié Terry Pratchett. On peut même pousser la comparaison plus loin en y trouvant une touche très prononcée de Alice au Pays Des Merveilles, tant l'univers dépeint par Benson est fantasmagorique et farfelu par instants. Les réactions de la sorcière, par exemple, donneraient presque à voir Le Chapelier Fou sous des traits féminins !
Il y a aussi un aspect profondément humaniste dans la vision qu'a l'autrice anglaise de la magie. On peut s'en convaincre par la galerie de personnages attachants, par la jeune Sarah Brown et son rapport naïvement touchant avec le monde... mais surtout car, d'après ses dires :
"Plus un monde sombre dans la perversion, plus facilement la magie ressurgira pour le sauver."
C'est donc l'esprit serein que nous suivrons les aventures hallucinées de Brown, sa traversée de la Forêt enchantée, cette "accumulation de songe", et bien sûr son lien incongru avec la Sorcière !
3.
| Les Chevaliers du Tintamarre, par Mooncake
En cette saison estivale qui annonce des températures toujours plus élevées quoi de mieux que de s’allonger au bord de la plage, sous l’ombre du parasol, près de la fraîcheur de l’océan et du doux son de son remous. Et à cette occasion, autant en profiter et s’ouvrir un bon bouquin.
Aujourd’hui je vous présente la pépite de l’imaginaire 2020 de chez Mnémos, Les chevaliers du Tintamarre écrit par Raphaël Bardas.
Le résumé
Silas, Morue et Rossignol rêvent d'aventures et de grands faits d'armes tout en vidant chope de bière sur chope de bière à la taverne du Grand Tintamarre, qu'ils peuvent à peine se payer.
Alors que Morguepierre devient le théâtre d'enlèvements de jeunes orphelines et que des marie-morganes viennent s'échouer sur ses plages, les trois compères se retrouvent adoubés par un vieux baron défroqué et chargés de mener l'enquête.
Les voilà lancés sur les traces d'un étrange spadassinge, d'un nain bossu et d'un terrible gargueulard, bien décidés à leur mettre des bâtons dans les roues... et des pains dans la tronche.
Notre avis
Les trois héros, Silas le preux charcutier, la Morue le bourrin bourru et Rossignol le ménestrel douteux, forment un groupe atypique, ce sont des sauveurs de demoiselles en détresse paraît-il. Dans les faits, ce sont surtout de sacrés soiffards en quête de noblesse et de richesses et qui sont prêts à tenter bien des choses pour y parvenir.
Ce groupe à la relation si particulière et fraternelle vous fera parcourir les rues de Morguepierre, une cité construite dans le cratère d’un ancien volcan marin au sein d’une enquete mélant meurtre et enlevement.
Morguepierre est une cité sans égale, un personnage à elle seule, sa population douteuse aussi bien chez les humains que les créatures fantastiques qui la compose lui offre un sacré charme, la décadence est présente jusque dans la bourgeoisie, son aspect est à l’image de ses habitants, tortueuse et crasseuse.
Les descriptions de la cité et son atmosphère poisseuse m’ont parfois même fait penser aux récits lovecraftiens.
Sacré contraste avec notre groupe d’anti héros qui, s’il possède un physique correspondant à leur cité, font tout de même montre d’une certaine grandeur d'âme contrairement au reste de la population.
Les chevaliers du Tintamarre est unique en son genre, il possède l’esprit d’une light fantasy, avec ses dialogues leger et son lot de jeux de mots hilarant, dans le corps d’une crapule fantasy, le tout habillé d’une intrigue de polar noir, un mélange peu conventionnel vous en conviendrez, mais qui s’avere au fil de la lecture diablement efficace.
Raphaël Bardas offre ici une histoire aussi rafraîchissante que prenante, suivre l’intrigue de ses plages aux côtes rocheuses à son cratère volcanique dans cet univers inspiré des mythes et de la féérie océanique fut une découverte sublime et peu commune.
Par contre si vous voyez une marie-morgane échouée sur une plage, un conseil, passez votre chemin !
4.
| Stardust de Neil Gaiman, par Alex Moon
Stardust de Neil Gaiman
Cet été va être torride.
Non, ce n'est pas le début d'une publicité racoleuse ! Entre la situation climatique, politique et sociale il va faire chaud, très chaud. Du coup j'ai choisi de m'octroyer une bouffée d'air frais. J'ai choisi les vertes campagnes anglaises, la légèreté des histoires d'amour et la fantasie du pays des fées.
J'ai choisi un classique.
J'ai choisi Stardust, de Neil Gaiman.
Tristan Thorn est un jeune homme de 18 ans, amoureux de la belle, mais hautaine, Victoria. Cette dernière lui promet un baiser, en échange de l'étoile filante tombée du ciel durant la nuit. Seul problème, l'étoile est tombée de l'autre côté du Mur, au pays des fées.
Bien décidé, Tristan parvient à manipuler les gardes du mur, censés empêcher les humains de se rendre dans les terres magiques, pour accéder à ce monde fantastique. Là bas, il découvre que l'étoile en question n'est pas un simple caillou mais une jeune fille prénommée Yvaine. Loin de se démonter, Tristan se dit que s'il la ramène à Victoria il obtiendra son dû. Mais la route du retour vers le monde des humains va s'avérer plus ardue que prévu car de nombreux protagonistes convoitent également l'étoile. Sorcières, licorne, pirates, prince en quête de légitimité... A travers les rencontres et les embûches, Tristan et Yvaine vont tous les deux apprendre et grandir.
Conçu comme un conte mais sans jamais être enfantin, Stardust est à la fois une œuvre douce, poétique, parfois effrayante et souvent très drôle. Une bulle d'oxygène féérique et l'histoire parfaite pour un été léger et joyeux.
5.
| Daevabad, de S. A. Chakraborty, par Lapagefranche
Ça y est, l’été approche. Vous vous imaginez sans doute au bord de la plage avec votre délicieuse boisson sucrée. Le soleil cuit votre peau, l’odeur salée de la mer emplit vos narines, les enfants jouent dans le sable... Vous contemplez la scène sans vous départir de votre sourire. Enfin, vous êtes en vacances, loin des bureaux froids et austères, des bruits des téléphones qui sonnent et de toute cette agitation qui vrille votre cerveau. Seul bémol : vous ne savez pas quoi lire. Vous avez parcouru votre bibliothèque, mais aucun de vos romans ne correspond à la légèreté et au climat estival auquel vous aspirez. Avant de perdre espoir, laissez-moi vous présenter La cité de Laiton de S.A chakraborty, un roman fantasy au climat aride et oriental dans lequel Nahri, une jeune femme qui n'a connu que la misère, tente de survivre en passant par tous les moyens possibles : voler et escroquer de riches hommes en échange d'une séance de voyance et de guérison.
Au cours d'une de ses séances de guérison, elle convoque par accident Dara, un djinn qui lui révèle ses origines : plus qu'une simple humaine, elle est, en réalité, issue de la lignée des Nahids, de talentueux guérisseurs qui régnaient autrefois dans Daevabad. Poursuivis par des efrits (des créatures sanguinaires qui ont vendu leurs âmes), Dara et la jeune femme s'enfuiront du Caire pour rejoindre Daevabad où Nahri pourra évoluer en toute sécurité.
Vous serez sans nul doute happés par les pérégrinations de ces héros dont la singularité est une véritable bouffée d’air frais. Il y en a pour tous les goûts : si vous aimez les héros solitaires, railleurs et tourmentés par un passé tumultueux, Dara saura vous satisfaire, car derrière sa façade d’anti-héros se cache une sensibilité touchante.
Peut-être préférez-vous les héros valeureux et droits dans leur bottes ? Si tel le cas, alors Ali, prince cadet de Daevabad, fervent religieux et excellent guerrier fera chavirer votre cœur lorsque déchiré par un dilemme, ce dernier devra choisir entre sa loyauté pour la couronne et ses convictions personnelles.
Ainsi, cette histoire partagée entre Nahri et Ali m'a conquise, car on y découvre deux quotidiens et deux personnages qui paraissent différents de prime abord, mais qui se rejoignent, en réalité, par leurs sacrifices pour survivre. Sans compter que ces héros ne tombent dans la caricature : Nahri n'incarne pas la jeune femme éplorée qu'il faut à tout prix sauver. Pragmatique, elle pense d'abord à ses propres intérêts avant ceux des autres, convoite les objets de valeurs pour les revendre et déborde de curiosité et d'impétuosité, ce qui s'accorde parfaitement avec son passé de voleuse et de pauvresse.
Ali, personnage cher à mon cœur se rapproche davantage d'un érudit et d'un guerrier avisé que d'un prince. À l'inverse de ses pairs, il n'étale pas sa richesse et se comporte humblement.
Toutefois, si ce roman offre une galerie de personnages hétéroclite, l’intrigue s’installe lentement : le voyage entrepris par Dara et Nahri concerne quasiment la moitié du roman, et l’on peut ressentir une frustration face à cette lenteur abusive, quand bien même elle permet de se familiariser avec les différentes tribus qui cohabitent dans la cité. Toutefois, S.A Chakraborty, véritable tisseuse d’histoire, parvient à éclipser ce désagrément en créant un univers si complexe et réaliste que j’ai adhéré malgré moi à cette intrigue originale et crédible. En somme, vous croirez parfaitement à ces personnages qui ont chacun une personnalité propre. Vous croirez aux paysages arides et luxuriants décrits par l'autrice, lesquels vous rappelleront les vacances au soleil qui vous attendent. Cette explosion d’images constellera votre imagination qui abreuvera à son tour vos songes d’une vision tout aussi agréable. Ainsi, l'univers ne manque pas d'originalité, et l'alternance des points de vues entre Ali et Nahri permettent d'avoir une vue d'ensemble sur ce monde fantastique et oriental.
Je regrette simplement la fin qui me semble précipitée. Le rythme s'accélère jusqu'à aboutir à la résolution finale qui ne me paraît pas justifiée sur le plan logique. À mon avis, la longueur conséquente du roman a conduit l'autrice à l'abréger, ce qui donne l'impression d'une accélération soudaine dans l'enchaînement des événements. Néanmoins, le roman se conclut sur un suspense insoutenable auquel il est difficile de résister !
En résumé, il s'agit d'un roman très réussi qui se démarque des autres récits fantasy que j'ai pu lire. Si le roman débute sur la découverte des origines de Nahri, l'univers créé par S.A Chakraborty se détache ensuite des récits habituels en lui conférant une originalité et une personnalité qui lui sont propres. Un bon roman à savourer durant l’été !