1.
| Théophile Gautier : le maître du fantastique
Aujourd'hui, nous inaugurons ce dossier avec Téophile Gautier ! Né à Tarbes en 1872, est à la fois poète, essayiste et auteur, reconnu pour son roman Capitaine Fracasse. Mais il est aussi un grand amoureux du fantastique, ayant écrit de multiples histoires courtes devenues des références en la matière, et un roman qui l'est tout autant : Le Roman de la Momie.
Il est aujourd'hui au centre de notre rétrospective fantastique, avec au programme une sélection de ses plus beaux récits fantastiques, faite par les soins de Syfantasy.
2.
| La Morte Amoureuse (1836)
La femme joue un rôle clé dans l'œuvre de Théophile Gautier : tantôt tentatrice, tantôt entité surnaturelle, elle incarne la figure absolue de la beauté pure. Tel le récit Omphale, La Morte Amoureuse garde cette lancée en illustrant le récit halluciné et terrible d'un jeune pasteur ayant rencontré l'amour unique.
C'est au détour d'un échange intense de regards que notre jeune homme découvre la mystérieuse Clarimonde, véritable ange à la peau blanche et aux formes fines, dont il s'éprend de suite. Mais, ayant fait vœu de servir Dieu, il ressent d'abord un profond chagrin et est dévoré d'une tentation que seul le Malin aurait pu instiller dans son esprit.
Pourtant, c'est bel et bien un amour dévorant qui l'envahit petit à petit, et alors que la mort de cette dulcinée qu'il a entre-aperçue lui déchire le cœur, il n'est pourtant pas étonné de la revoir chez lui, prête à partir à ses côtés en quête d'une vie de luxure totale. Rapidement, le jeune pasteur devient un preux dévot le jour mais un seigneur insatiable la nuit, et ce rythme de vie schizophrènique pourrait bien causer sa perte...
Cette nouvelle charnière dans l'œuvre de Gautier, longue d'une trentaine de pages, dévoile une histoire d'amour à mi-chemin entre rêve et réalité. Ce qui fait la qualité majeure de ce récit, c'est encore une fois son héroïne, dont la description déstabilisante laisse imaginer une femme d'une beauté indescriptible, tentatrice et maternelle, à l'aura impalpable et au rayonnement quasi-divin, voire surnaturel.
Si le final met le pied dans le genre vampirique et dénote avec le reste du récit, il n'en reste pas moins que cette histoire d'amour surréaliste métaphorise très bien les premières amours incandescentes et passionnées, où la raison se perd dans un flot d'émotions nouvelles.
3.
| Omphale (1834)
La célèbre Omphale, reine de Lydie ayant acheté la servitude du légendaire Hercule, fait partie des figures iconiques de la mythologie grecque. L'une de ses plus belles représentations picturales fut par le peintre Rubens, mettant en scène l'inversion des rapports avec une Omphale conquérante brisant la figure d'un Hercule mythique et imperturbable.
Si je vous raconte cela, c'est car cette fameuse toile sert ici de support à Théophile Gautier pour narrer, avec un mélange d'humour et de fantastique, l'histoire d'un jeune homme tombé amoureux d'une Omphale prenant vie et quittant la tapisserie dans laquelle elle était enclavée. En pleine période de candeur et de naïveté juvénile, ce simili de chérubin s'éprend de l'impossible et de l'inanimé, à la manière d'un certain Onuphrius (nous en parlons juste après).
Hercule et Omphale, Rubens, 1603
Les mots me manquent alors pour montrer avec quel talent et quelle richesse de mots l'auteur parvient à développer cet amour étrange, hors du temps et de l'espace, côtoyant deux dimensions : le réel et le pictural.
Omphale synthétise cette fascination de Téophile Gautier pour la figure de la femme tentatrice et surnaturelle et fait partie de ses plus beaux récits.
4.
| Onuphrius (1832)
Onuphrius est un jeune poète et peintre dont le problème majeur qui lui empoisonne l'existence est celui-ci : de l'arche du réel, il s'est éjecté depuis longtemps en quête de fantastique. Désormais, tout devient source de raisonnement fantasmagorique, tout peut être interprété comme un acte du Diable tapi dans la pénombre du seuil entre réalité et rêve, avec pour seul dessein que de faire chuter le pauvre artiste fou.
Avec cette nouvelle longue d'une vingtaine de pages, Gautier rend un très bel hommage à la carrière du conteur allemand Hoffman, que ce soit en faisant référence à plusieurs de ses personnages comme dans le style d'écriture très semblable. Mais au-delà de la lettre d'hommage, il y a à creuser la possibilité d'une vision cynique sur le fossé existant entre interprétations alambiquées et amour pour le fantastique, et jusque dans quels travers malheureux ils peuvent nous emmener si l'on y prête trop d'attention.
Avec un style sublime, Gautier offre à la fois le plus beau pied de nez comme la plus belle lettre d'amour au récit fantastique initié par Hoffman, en brassant de multiples thèmes clés du genre, allant du sabbat d'objets jusqu'à l'apparition constante du Diable.
5.
| La Cafetière (1831)
Une simple cafetière au cœur d'un sabbat d'objets donne lieu à l'incarnation de tout les fantasmes d'un homme, au cœur d'une nuit étrange et hallucinée.
Car il le sait au moment même où il pose les yeux dessus : c'est l'amour de sa vie qui se tient devant lui, au milieu de sa chambre... et cet amour n'est autre qu'une cafetière !
Si le récit est court, la mise en place du récit est toujours aussi savoureuse, et il est toujours bon de rappeler ces thématiques chères à Gautier, que sont les espaces et temps infinis. Il explore une fois encore le thème de la mort d'une femme aimée, par l'usage de la métaphore, avec cette cafetière étrange qui, le temps d'un soir et d'une danse, aura symbolisé l'être aimé absolu.