Le mentor est une créature polymorphe où s’incarnent plus de figures que ne laisse deviner ce nom seul. Le terme vient du précepteur de Télémaque, Μέντωρ, dans l’Odyssée : c’est un professeur, et c’est ainsi qu’on entend ce terme couramment. Mais il s’agit aussi de l’initiateur au monde magique, au sens caché des choses : c’est un prêtre. C’est lui qui révèle au héros le déséquilibre dont souffre le monde, et qu’il ne peut rétablir d’abord que par son propre accomplissement : c’est la fée aussi, qui donne l’objet magique ou le mot de pouvoir par lequel la magie pénètre le monde.
Par son rôle de révélateur, le mentor est un être merveilleux, intimement lié au récit. Prenons son visage de fée. Ce mot-ci est pour sa part issu du latin fateor, qui veut dire parler ; de là, confession (aveu), profession (déclaration publique) ; de fateor vient aussi fatum, le destin, et fata, ses avatars par lesquels il s’accomplit, les fées. Et bien sûr : fatal, c’est-à-dire la mort qu’apporte toujours et pour tous le destin.
Le mentor a donc cette fonction de faire advenir le héros, restaurateur d'un monde où sont réconciliés sens, transcendance et matière. Son lien au récit ne veut pas dire que le mentor s’y trouve confiné : c’est que l’ordre retrouvé symboliquement dans l’histoire n’existe à son tour, dans la réalité, que dans la mesure où cette histoire est racontée. Le mentor, à la fin, c’est donc le conteur.
Il y a un twist, bien évidemment : le mentor peut l’être malgré lui, le mentor peut être malveillant, ou bien agir par pur égoïsme, avec violence et mépris. Ce que racontent ces histoires pleines de fées malsaines, c’est la révolte ; l’appropriation de sa volonté par le héros, le sens entraperçu qui s'échappe, la peau qui se recouture et l’âme qui s’établit. Enquête : qui sont ces mentors vicelards ? Garanti spoilers free (ou presque).
L’Assassin Royal, 1
Galen est vraiment un gros bâtard. Fils illégitime de la reine Désir, il grandit dans la solitude à Castelcerf, jaloux des princes dont il aurait voulu être l’égal. Par bonheur, il fait montre de talent - maigre mais réel - pour l’Art, grâce auquel on peut connaître les pensées d’autrui et ses émotions et les façonner. Elle fait passer son enthousiasme pour un caprice, mais Désir n’en magouille pas moins pour faire devenir Galen le maître d’Art de la forteresse.
Puisqu’il n’a pas pu être leur égal, Galen cherche à les dominer, les princes Chevalerie et Vérité. Maître d’Art, c’est à lui de leur apprendre la magie. Et son talent sera souillé deux fois par son fiel : il développe une doctrine de rigueur, d’ascèse qui convient mieux à des chiens qu’à des élèves - et encore - afin de les faire souffrir. Lui-même s’y contraint, devenant un personnage de plus en plus âcre, méprisant, insensible.
Deuxième souillure : alors que Galen cherche par sa magie à soumettre le prince Chevalerie qu’il hait ; à, sur son esprit, asseoir sa tyrannie, Chevalerie trouve le moyen de briser Galen. C’est finalement ce fils illégitime et inconnu de la reine qui sera un fanatique dévoué au dauphin du royaume des Six-Duchés. Mais les taches qu’il a lui-même versé sur son âme ne disparaîtront pas.
Quand Galen doit enseigner la magie à Fitz, le bâtard - qui, lui, a le grand bonheur d’être reconnu - de Chevalerie, la haine qu’il portait à son père remonte, indicible. D’accord avec son demi-frère, le prince Royal, il veut l’assassiner. Mais pas sans l’avoir torturé auparavant, par des exercices absurdes, qui n’ont d’autre but que de lui faire croire en son incompétence. Fitz se rabougrit. Le jour où le bâtard de Chevalerie se révolte, par instinct, devant l’injustice de trop, la lutte l’écrase, Galen déchiquète son esprit. Fitz cherche à se suicider.
Après cet évènement, Fitz est coupé sa magie d’Art. Non qu’il ne puisse plus artiser : il souffre de crises, de migraines, avoir perçu la magie l’empêche de revenir au monde creux qui la précédait, à son être, qui se révèle insuffisant. Pour recouvrer son intégrité et accomplir sa quête, il devra tant bien que mal lutter contre les stigmates de cette maltraitance.
Mais Galen, malgré lui, aura fait à Fitz découvrir la magie par laquelle il détiendra ce pouvoir de se venger.
D'ailleurs, L'Assassin Royal va être réadapté en BD !
