Quand on parle de fin du monde, nous sommes obligés désormais d'en préciser le genre. Zombie apocalypse, holocauste nucléaire, catastrophe naturelle ou même Apocalypse judéo-chrétienne, voici seulement quelques exemples de ce que la culture populaire a pu imaginer comme fin du monde convenable. Un thème récurrent qui est inscrit dans chaque religion, même celles de la plus lointaine Antiquité, l'Armageddon aura hanté l'esprit de l'humanité depuis son plus jeune âge.
Pourtant, la Doomsday Clock n'aura jamais été aussi proche de minuit, le défilement de la trotteuse s'accélérant sous nos yeux demi-clos. Malheureusement, il n'y a pas de signe annonciateur de la véritable fin du monde. Même si le principe d'entropie disait que tout allait forcément finir un jour, nous avons joyeusement donné un coup de pouce à cette fin programmée. Aucun ange n'est venu souffler dans sa trompette céleste, aucun extraterrestre ne s'est emparé de tous les écrans du monde et le ciel ne s'est pas mis à s'illuminer d'un rouge funeste. Non, on nous a juste appris que le "jour de dépassement" avait été atteint au plein milieu du mois d'août.
Le "jour de dépassement", c'est un terme qui a été établi lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992. Il désigne le moment où l'humanité a consommé plus de ressources naturelles que la Terre ne peut en produire, le moment où nous produisons plus de déchets biologiques que Mère Nature ne peut traiter. S'ils avaient décidé d'établir ce concept, c'est qu'en 1992, il avait été atteint depuis novembre, où l'on vivait depuis lors à crédit jusqu'à la fin de l'année. "Grand bien leur fasse, s'étaient dit les lobbys, un petit mois ce n'est pas grand chose". Au début des années 2000, ce jour arrivait en octobre. Désormais, à peine plus de vingt ans après que la sonnette d'alarme ait été sonnée, le "jour de dépassement" a été atteint presque à la moitié de l'année (il y a deux semaines, pour être exact).
Actuellement, tout ce que nous expirons en dioxyde de carbone ne sera pas éliminé, toute l'eau que nous tirons du robinet est une eau qui ne coulera plus dans les nappes phréatiques et tous les kilomètres parcourus le sont au prix d'énergies fossiles qui ne seront jamais réinjectées dans les veines de la Terre. C'est certes un schéma grossier, mais assez proche des faits. Nous avons réussi à épuiser les ressources d'une planète entière. Au moins, nous n'aurons pas laissé la primeur à des extraterrestres qui traverseraient la galaxie comme des sauterelles. Les affreux aliens d'Independance Day n'avaient pas besoin de faire péter la Maison Blanche, nous nous sommes déjà chargés de rendre notre monde inhospitalier.
Le problème, c'est qu'avec Hollywood, il y avait un moyen pour sortir de la torpeur. Quand les océans déferlent sur les mers, que les glaces envahissent des hémisphères entiers et que les forêts brûlent, la planète envoie des signes assez flagrants de fin du monde, mais une petite Apocalypse qui se prépare en douce, ça ne se fait pas remarquer. C'est insidieux, pernicieux et surtout très lâche, la fin du monde façon réalité, elle, fait dans la subtilité de mine anti-personnelle, tu ne la vois pas jusqu'à ce qu'elle te pète à la gueule. Les prophètes du dimanche commencent déjà à nous asséner les fameux "je-vous-avais-prévenu" et répandent leur sagesse médiatique, les politiques ont remplacé les idées par des solutions comptables et la philosophie nihiliste ne s'est jamais aussi bien portée. On notera d'ailleurs que la plus belle sonnette d'alarme a été tirée par un Alfonso Cuaron en forme de prédicateur pragmatique avec Les Fils de l'Homme en 2006, alors qu'il nous présentait les conséquences de cet hédonisme auto-destructeur et dicté par des besoins de productivité pyramidaux en vogue au siècle dernier.
Après, on peut se dire que tout n'est qu'une histoire cyclique et que ce qui a dépérit retrouvera de nouveau le chemin vers le soleil et que l'humanité aura traversé tellement de crises qu'on peut toujours compter sur notre bonne fortune. Au pire, la Baie des Cochons, c'était salement tendu aussi comme situation, pourtant on s'en est plutôt bien tiré. Sauf que dans le milieu des années 60 justement, on ne consommait que trois-quarts des ressources de la planète. Il y a seulement cinquante ans, nous vivions encore dans l'opulence alors que nous désossons à présent un cadavre. Les zombies que nous affronteront à l'Apocalypse ne seront pas des infectés purulents, mais nos voisins qui chercheront la dernière goutte d'eau potable. Et pas de remède miracle caché au fin fond d'un labo du CDC.
Pourtant et encore une fois, tant que tout n'est pas fini, il reste un espoir non ?
"Have the water wars started yet or is it still about the oil ?"
Only Lovers Left Alive - Jim Jarmusch